Nos imprimeurs en lutte : Gaffe au Ricco-bonneteau !
En langage courant, ça s’appelle un hold-up. Mais pas dans le monde de l’économie dérégulée. On n’y traite pas de voleurs les gens qui se comportent comme tels. On les laisse poursuivre leur fructueux bonhomme de chemin, basé sur la prédation et l’exploitation. Le constat n’a rien de neuf, bien sûr. Surtout pas pour les lecteurs du Chien rouge, habitués à l’entendre aboyer. Mais s’il fait œuvre de critique sociale, le journal – sans chef, ni proprio – y est rarement directement confronté.
Cette fois, si. Pour le coup, le Chien rouge s’est retrouvé la truffe plongée au cœur d’un conflit social, opposant ouvriers en lutte et patronat. On vous explique : les exemplaires de CQFD sont imprimés depuis trois ans à l’imprimerie Marseille Offset Print (MOP), à Vitrolles. Mais depuis plusieurs mois, ses 60 salariés (et 27 intérimaires) sont entrés en conflit avec leur proprio, le groupe Riccobono.
En début d’année, MOP était placée en redressement judiciaire. Les salariés ont depuis multiplié les propositions pour sauver leur travail. En pure perte. À tel point que la liquidation de l’entreprise devrait être prononcée par le tribunal de commerce de Salon ce 5 octobre [1]. Le conflit est donc monté d’un cran : les salariés ont opté le 26 septembre pour le seul moyen de pression dont ils disposaient encore. Le blocage total du site.
Ou plutôt, presque total. Le 1er octobre, les salariés ont décidé en AG de faire une exception pour CQFD (ainsi que pour La Marseillaise). C’est parce qu’ils l’ont bien voulu que ce numéro a été imprimé. S’ils en avaient décidé autrement, on aurait suivi. Pas question de jouer les jaunes et d’aller imprimer ailleurs.
Ce traitement de faveur fait bien sûr la fierté de CQFD. Que des salariés décident de prendre sur leur temps de grève pour l’imprimer nous conforte dans ce que nous essayons d’être : un journal au cœur de la lutte. Et opposé aux exploiteurs de tous poils - à l’image de Riccobono.
Il faut ici rentrer dans les détails. En France, le groupe s’est taillé un véritable empire, en une quinzaine d’années. Prenant le contrôle de huit sites de production disséminés sur le territoire, il s’est arrogé un quasi-monopole sur l’impression de la presse quotidienne nationale. De quoi imaginer pouvoir tout se permettre.
À commencer par le pillage de l’activité en France. Les bénéfices des différents sites sont ainsi envoyés au Luxembourg, et tombent directement dans la poche de la société-mère, la holding RPI. Les charges et dépenses, elles, restent en France, grevant lourdement les bilans comptables des sites. De sorte que le groupe affiche de confortables excédents (11 millions d’euros en 2016) pendant que ses entités perdent de l’argent.
Pour réussir ce tour de magie comptable, Riccobono s’est débrouillé pour que tous les actifs dépendent de la holding luxembourgeoise. L’immobilier, les machines, la trésorerie et les contrats s’y trouvent externalisés, via des contrats de sous-traitance. Exemple : « L’une de nos machines, utilisée depuis 2003, coûte 3,9 millions d’euros, précise Mickaël Pinci, secrétaire du syndicat Filpac-CGT Vitrolles. Mais elle appartient en fait à la holding, à qui nous payons un loyer exorbitant – au total, 17 millions d’euros en 14 ans. » Plus de quatre fois le prix réel. Voilà le premier étage du hold-up évoqué plus haut.
S’y ajoute un deuxième, qui repose sur un pur jeu d’écritures comptables : faire artificiellement passer d’une usine à l’autre une partie du chiffre d’affaires (CA), sans tenir compte de la production réelle. Entre novembre 2016 et avril 2017, 60 % du CA généré par l’impression de Paris Turf a ainsi été transféré de Vitrolles à Paris – c’est pourtant le premier site qui continue à l’imprimer. Une manipulation permettant au groupe de prétendre que celui-ci n’atteint pas ses objectifs.
Il y a un troisième étage à cette entourloupe. Qui s’inscrit dans le cadre du redressement judiciaire. Et qui repose sur la mauvaise foi du groupe, lequel ne tient nullement compte des efforts des salariés - « Depuis quelques années, nous avons privilégié l’emploi à l’argent, résume Mickaël Pinci. En moyenne, nos salaires sont plus bas que ceux des autres sites. » Riccobono n’en a cure. Plus encore, il s’ingénie à repousser les solutions des salariés pour maintenir leur activité. À chaque fois qu’ils ont proposé un plan de sauvegarde, le groupe a réagi en révisant à la baisse les prévisions de CA. « Nous avons mitonné quatre plans successifs, tous refusés, poursuit le syndicaliste. Systématiquement, le groupe a formulé des contre-propositions très inférieures, pour présenter nos plans comme irréalistes. Alors que notre site a réalisé ces trois dernières années un CA de près de 11 millions d’euros, il est allé jusqu’à estimer à 6 millions celui de 2017. »
Les salariés sont ainsi persuadés que le groupe a décidé de tirer un trait définitif sur le site. Leur seul espoir réside dans une mise en cause de la stratégie du groupe à l’échelle nationale. Pas impossible. Grâce à « l’excellent travail de l’administrateur judiciaire », convaincu que le groupe se livre à un jeu malsain, les pouvoirs publics y songeraient. Riccobono n’a pas encore gagné !