lettre à un.e ami.e de loin (compte rendu partiel et subjectif du week-end à Entraigues)

Ep salut

tu m’as demandé comment c’était le week-end anticarcéral à Entraigues-sur-la-sorgues les 7/8/9/10 moi j’étais pas là tout le long mais j’ai trouvé ça plutôt enthousiasmant. C’est la première fois que je repars en étant sûr d’y retourner, parce que ça me fait du sens et de l’envie. C’est lié en partie au fait que les citoyen.es sont moins présentes qu’au début de mes passages par là-bas. Il paraît que les autres collectifs qui luttent contre la bétonisation de ces terres-ci "nous" trouvent un peu trop speed à leur goût. En l’occurrence ça me va bien, j’avais pas trop kiffé le moment où une des personnes de ces collectifs c’était permise de déclarer une manif contre l’avis des copaines qui l’organisaient. Ni celui ou un gars de la france insoumise avait tenté une prise de parole pour vendre sa soupe en parlant de peines alternatives (mais ça va pas,non ?). Heureusement il s’était fait rembarrer immédiatement. On est pas tous-tes d’accord sur tout, loin s’en faut ! Y a des gros morceaux qui restent inexplorés / pas discutés ou qui font désaccord. Par exemple le fait que les copaines de crève la taule aient invité les journalistes des médias locaux (la Provence, var matin etc) en amont du week-end ; ce qui a fait qu’iels ont pu se pointer sur le camp et faire leur truc avant qu’il y ait une discussion collective à ce sujet. Quand on en a finalement parlé on était une majorité à ne pas vouloir leur parler, ni qu’il.es soient présent.es, ni qu’iels puissent prendre des images. On a finalement décidé de leur dire qu’ils n’étaient pas les bienvenues (et de les dégager si besoin), mais c’était trop tard (et symbolique) parce qu’ils avaient déjà eu l’occasion de faire leurs articles et qu’ils ne sont plus revenus du week-end. ça me fait une vraie limite. Ceci dit j’ai pas vu des gens dégainer leurs smartphones pour prendre des images à tout va ce week-end ci et c’était cool de pas avoir à batailler là-dessus ; et j’ai trouvé ça beaucoup plus peinard en terme de genres, sans doute parce qu’il y avait beaucoup de personnes "queer" et anti-autoritaires. ça fait de l’air. Pour autant ça reste un contexte avec une très large majorité de personnes jeunes, blanches, et valides (en tout cas sur un plan physique). Dans le bilan à la fin quelqu’un.e a posé que ça serait bien d’aborder la question du racisme.

L’ambiance sur le camp était très peinarde. Peu (voir pas) de keufs à l’horizon. Ils ont pas tenté du tout de venir au contact, nous dégager ou quoi. Les premier-es arrivées ont pu s’installer dès le vendredi soir sans soucis particulier. On était posé.es sur le terrain qui jouxte celui de la future prison, parce qu’ils sont venus il y a quelques mois raser les arbres et arbustes qui poussaient sur celui de la future taule et qu’il faisait déjà trop chaud pour se passer d’ombre. On était installées sur la parcelle qui correspond au futur cimetière communal, qui est beaucoup plus accueillant avec ses dizaines d’aubépines en fleurs. J’imagine qu’on a tourné entre 40 et 60 personnes à dormir sur place tout le long du week-end. Les personnes qui invitaient avaient encore une fois dépoté sur l’organisation, et c’était hyper confortable en terme de bouffe, chiottes secs, et même une serre avec poêle (s’il vous plaît) pour se réchauffer la couenne le soir (il fait vite frisquet). il faut que tu imagines un terrain plat, plutôt petit, ouvert et bordé entre plusieurs routes, à côté d’une zone qui a déjà été bétonnisée il y a du temps et transformée en zone "industrielle". ça renvoie pas du tout une impression de marécage ou d’endroit ou tu peux te perdre ou être perdu par ceux en face. le tout au milieu du vaucluse. Intense. En passant à Entraigues on a bloqué sur un portail bleu-blanc-rouge chez un particulier, et on compte pas les drapeaux fRançais déployés dans les jardins. Tout un programme. en parlant de programme je sais pas si tu as vu passer le fly d’invitation mais c’était très dense. en vrac il y a eu des émissions de radio aïoli tous les jours (sur une table à l’arrache au milieu du camp. C’était beau). un moment de diff (avec sono), où on s’est retrouvées à une quarantaine de clampin.es sur la place principale d’ Entraigues.. Moi j’ai pas eu des masses de discussions avec des gens du cru à ce moment-là mais certain.es avaient l’air d’attraper plus de bouts de tchatches, dont des retours assez cools. je me suis demandé si on était pas trop nombreux-ses, si ça aurait été plus intéressant à une poignée, mais de fait ça faisait une présence très visible et difficilement esquivable. ça a duré un moment puis on a fait une manif moitié foutraque dans des rues quasi désertes avant de reprendre la route qui menait au camp. au passage le préfabriqué qui se trouve sur le rond point a été tagué à nouveau. bien fait ! d’autant que ce truc et la machine qui l’accompagnent préparent le chantier qui nous intéresse (décalage et élargissement de la route qui mènera à la future taule). et... dans la fin de cette journée certain.es sont parties à Carpentras pour un théâtre forum contre la taule, et d’autres à Avignon pour la présentation du bouquin "un peu de bon sens !". ça faisait petite ambiance peinarde sur le camp, à discuter de plein de trucs. les personnes qui revenaient de ces deux endroits (le fenouil à vapeur et le fenouil tout court, je sais pas ce qu’ils ont avec ce légume dans le coin !) avaient l’air plutôt contentes aussi. ça a l’air que le théâtre forum a rendu visibles des gros décalages dans les positions des unes et des autres. et le lendemain grosse journée à nouveau. Je zappe certainement des trucs mais ça a fait au moins une pièce de théâtre à deux voix qui raconte le vécu d’une personne qui a une amie proche enfermée (le rapport au parloirs, notamment). D’autres personnes proposaient un atelier sur comment répondre aux arguments qui sortent systématiquement quand on dit qu’on est contre toutes les prisons. ça fonctionne avec des phrases prêtes à l’avance qui sont tirées au fur et à mesure et cell-eux qui le veulent racontent comment iels réagissent à ça. La parole circulait assez bien, et cette forme à permis de mettre à jour impensés et différences de fond. (Est-ce qu’on a des propositions alternatives, ou pas ?) Après ça t’as plus de mal à fantasmer un nous hyper fort et d’accord sur tout. des gens proposaient un truc "d’escape game" (?) qui causait aussi de la taule mais je sais pas ce que ça a donné.

Dans l’après midi des copain.es proposaient un bout de tchatche qui revenait sur la lutte contre le 41bis et les bouts de solidarité avec Alfredo Cospito et qui ont fait le lien avec les situations de Boris et Serge (en parlant de la continuité entre l’enfermement et le rapport au corps médical. Le dimanche soir on est allé.es à une cinquantaine faire un parloir sauvage à la taule du pontet (avignon). dis toi qu’on a passé une bonne heure et demie à causer de comment on faisait sur place (en cas de rencontre avec les keufs, etc) et qu’on a zappé de faire un point sur le trajet. on a failli se paumer sur le trajet aller, du coup. Boulets. on a fini par se trouver au bon endroit, sous le pif de deux miradors avec une quinzaine de cellules qui dépassent du mur d’enceinte. On était à une centaine de mètres des personnes les plus loin. y a pas eu de grande discussion mais pas mal de cris de part et d’autres de ces maudits murs ("liberté !" "pierre par pierre, mur par mur, nous détruirons toutes les prisons !")... Ça donnait l’impression que ça faisait de l’air, que ça se captait bien pourquoi on était là. on est reparties sans encombre après avoir tiré un petit feu d’artifice. avec une petite escorte de gendarmes (deux-trois voitures ?) qui nous ont raccompagné.es jusque nos caisses et se sont fait un malin plaisir de prendre les plaques en photo. C’est cool parce que c’est le premier parloir sauvage que les copaines du coin faisaient là depuis un moment et iels se demandaient si les gens en parleraient sur leurs prochaines diffs’ aux parloirs (y avait eu ça la veille, aussi). en rentrant au camp ce soir là y avait deux concerts qui avaient l’air chouettes, entendus de loin. Moi ça m’brasse toujours ces moments de parloir sauvage, j’avais pas trop le jus pour partir en mode festif, on était quelques un.es à préférer se poser au bord d’un feu pour continuer à discuter enrobés d’un délicat parfum de saucisses/merguez. c’est un bout qui te ferait serrer si tu venais j’imagine : l’absence de tchatches sur le spécisme qui dépolitise complètement le fait de manger de la viande (ou du fromage) ou non. au moment de bilan qui a eu lieu une personne au moins a nommé ça et l’envie d’avoir de la discussion de fond là dessus, mais en attendant ça fait que les produits d’origine animale prennent une place difficile à remettre en cause.

ah oui ! une question qui a traversé ces rencontres c’était la possibilité de continuer l’occupation du terrain à la fin du week-end. puis finalement pas, vu le peu de personnes motivées et dispos pour se lancer dans cette aventure pour le moment. Il y a eu différentes phases par rapport à ça : c’est d’abord passé par un moment d’abattement ou de presque culpabilité quand on s’est demandé une première fois qui se sentirait de rester pour ça (ou plutôt pas). Puis j’ai eu l’impression que ça bougeait et que les questions qui découlaient de ça : c’est quoi nos envies, fantasmes, peurs quand on pense "zad" ? pourquoi ça nous semble pertinent ou non dans le contexte de cette lutte là ? est-ce qu’il y a des trucs à penser autres qui pourraient apporter certains aspects qu’on trouve intéressants dans une zad ? par exemple on était plusieurs à avoir envie d’un lieu de la lutte qui serait pérenne et qui permettrait de la spontanéité / un espace de rencontre et approfondissement. j’me doute que ça fait de la déception aux personnes qui avaient cet imaginaire de partir en mode occupation à la suite du week-end mais je trouve super nourrissant de discuter avec d’autres de ce qu’on a (très mal) vécu dans des expériences précédentes, d’amorcer des échanges autour des dynamiques de récupération qui ont été mises en place à NDDl (entre autres), de se demander comment se prémunir des dynamiques autoritaires en général et dans ce genre de contexte. de pas faire d’évidence de à quoi ça "devrait" ressembler une lutte mais ce poser la question de ce qui nous fait envie, nous semble pertinent dans ce contexte spécifique (avec ses avantages et ses inconvénients) .. On a parlé de la suite tu t’en doutes... y a un prochain temps de rencontre qui a été décidé pour juin, en essayant de trouver un équilibre entre une envie partagée de prendre un temps plus long avec moins de choses prévues, histoire de laisser plus de place pour de l’informalité (là c’était vraiment très dense) ; et une proposition portée par certain.es d’un moment tourné plus vers le faire. C’est fragile, comme équilibre... l’aller-retour entre les expérimentations et les tchatches est précieux mais ça fait peur de tomber dans un rapport activiste qui esquiverait des discussions nécessaires. Or pour le moment les assemblées sont un peu poussives. C’est souvent les mêmes personnes qui parlent/ qui écoutent. les ateliers et les moments en petit groupes avaient l’air de permettre davantage de circulation de la parole ; et pendant le bilan il a été proposé de faire circuler un papier pour permettre des prises de paroles écrites, ce qui a bien marché. Ça va être un gros enjeu des fois suivantes. Qu’arrive t’on à inventer pour fluidifier les moments d’assemblées ? est-ce que c’est complètement chéper ou décalé de commencer le week-end avec un ou des jeux qui permettraient un peu de casser la glace, se sentir plus à l’aise ?
Un des aspects fort présent pendant le temps de clôture du week-end c’était l’envie que la préparation repose sur plus de collectifs/individus différents et que les personnes de CLT soient moins centrales de ce point de vue là. ça va être un petit défi mais ça m’semble hyper important et ça pourrait permettre de rééquilibrer des choses. C’était déjà présent cette fois ci au niveau des contenus proposés (y a plusieurs discussions/ ateliers qui étaient portés de fait par des gens d’ailleurs) mais moins au niveau logistique. je me demande ce que ça décalle si cet aspect là réussi à être réaproprié plus largement. J’imagine que ça change des manières d’arriver ou que ça facilite le fait de se sentir légitime à porter ou proposer des trucs. si y a plus un collectif central dans l’organisation les personnes de ce collectif peuvent moins se permettre de prendre une décision qui implique l’ensemble des participant.es.

voilà. tu me demandes si ça "vaut le coup" que tu viennes pour le moment de juin, et je sais pas trop quoi te répondre. c’est sûr que j’y serais, parce que je suis hyper curieux que ça me fait une bulle d’air, cet espace en dehors de la ville et de l’urgence pour rencontrer des gens qui arrivent nourri.es par des contextes différents et qui portent des idées proches. Et parce que je trouve ça riche de faire ça tout en tentant de mettre des (petits) bâtons dans les roues à cette construction de taule. Bien sûr que ça ferait envie de voir débarquer d’autres compagnon.nes,et que ça nourrirait ce qui s’élabore là. Ça me donne envie de te demander si t’as la patience de débarquer dans un contexte qui se donne l’espace pour tâtonner, ou y a pas de grand moment spectaculaire pour le moment (et peut-être y en aura jamais). de fait il s’agit d’une configuration un peu hybride : on peut décrire ce qui se passe là comme une sorte de "coordination anti-carcérale" et y a l’envie que les personnes qui se retrouvent là soient mobiles et puissent appuyer ponctuellement des initiatives venant de différents groupes/individus.. en même temps ça fait plusieurs fois qu’on se retrouve au même endroit, avec l’envie de lutter contre la construction de cette taule-ci en particulier, et ça fait des zones de flou importantes sur la place que ces moments collectifs occupent dans ce parcours de lutte et dans le quotidien des personnes qui viennent d’ailleurs. Genre est-ce "qu’on" vient élargir/nourrir de façon ponctuelle une lutte qui existe de toute façon (localement et nationalement), Est-ce que ce sont ces moments collectifs partagés qui deviennent en quelque sorte le "cœur" de la lutte contre ce projet en particulier ? (ne serait-ce que parce que ça pompe beaucoup d’énergie aux personnes sur place en terme d’organisation et que ça en laisse moins pour d’autre trucs). Que tu viennes ou pas sur place, ça vaut le coup de garder l’oeil ouvert : y a l’idée de faire circuler d’ici pas si tard des outils (affiches ? tracts ?) qui visibiliseraient les différentes boîtes impliquées dans ce chantier, et il y aura sans doutes d’autres invitations après juin (ça parlait déjà de sptembre à un moment...)

Est-ce que ce début est le moment le plus pertinent pour rejoindre ? Vaste question... d’un côté j’serais tenté de te dire "oui carrément", parce que ce qui se construit est tissé de cette pluralité de regards/expériences/propositions/ manières de porter les idées : qu’il y a des rôles qui se dessinent déjà mais qui sont pas encore complètement verouillés : c’est un moment qui laisse peut-être plus de place à chacun.e pour mettre son grain de sel et faire en sorte que la suite lui ressemble plus... en même temps ça me fait pas sens de construire un narratif de "c’est le lieu où il faut être" (je crois que ça me fait jamais vraiment sens... faut que j’y re-réfléchisse)... J’trouverais dommage que ça vienne empiéter sur le reste de nos/tes activités ou temporalités, et je sais pas si le fait d’être beaucoup plus nombreux nombreuses sur place pour le prochain temps serait forcément intéressant.. J’me dis qu’il y a plein de manières ou d’endroits pour mettre son grain de sable, qu’il y a énormément à faire partout tout le temps et dans cette période ci en particulier, et ce qui se tente ailleurs me semble tout aussi pertinent/nécessaire... Sens toi de débarquer en tout cas, on verra bien ce qui se partage ou non (si t’es pas journaliste, ni uniforme, ni élu, ni...)

À plus tard alors, à Entraigues ou ailleurs, pour continuer à zbeuler ensemble ou pas ce monde étouffant !

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