A l’attention de Monsieur le Président
et Monsieur le Premier ministre
Marseille, le 13 février 2024
LETTRE OUVERTE :
La France refuse d’être complice d’un génocide
Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de Justice (CIJ) dans une ordonnance historique, a estimé qu’Israël commettait actuellement à Gaza des exactions susceptibles de constituer des violations claires et évidentes de la Convention relative à la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
Cette Convention a été ratifiée par la France le 14 octobre 1950. L’article 55 de la Constitution le consacre, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie".
La CIJ en 1996, avait affirmé en ce sens que « les droits et les obligations consacrés dans la Convention sont des droits et des obligations erga omnes », jurisprudence constante qu’elle a rappelée le mois dernier dans son ordonnance. Des mesures conservatoires fortes ont été imposées à l’encontre d’Israël dans cette affaire pour mettre fin aux souffrances du peuple gazaoui dont les exactions du Gouvernement israélien sont à l’origine.
Ces dispositions et cette ordonnance nous engagent en droit et moralement. Ainsi, notre pays doit tout mettre en œuvre pour faire cesser ce massacre qui s’apparente à un génocide, à commencer par l’arrêt immédiat de tout soutien financier, militaire et logistique à l’endroit du Gouvernement israélien. Soutien qui nous rendrait complice de crime de génocide.
Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre,
4185 de nos concitoyens ont rejoint une armée en passe d’être condamnée pour génocide sur le fondement de la Convention susmentionnée. Notre droit le consacre, quiconque commet un crime de guerre ou contre l’Humanité est susceptible de condamnation à la réclusion criminelle à la perpétuité (article 211-1 et 212-1 et s. du Code pénal). Notre pays, défenseur historique des valeurs cardinales de respect des droits de l’Homme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes va-t-il faire fi du droit international, qu’il a largement contribué à ériger ? Va-t-il mépriser son propre droit, celui qui, chaque jour, lutte contre l’impunité et bâtit la paix sociale ? La France va-t-elle ouvrir une information judiciaire en la matière pour établir la responsabilité des uns et des autres comme elle l’a très justement fait à l’encontre des français revenus des théâtres de guerre syriens ?
Allez-vous, comme vous l’avez fait pour ces derniers, mettre en œuvre, notamment le 4° de l’article 25 du Code civil qui dispose que quiconque "s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France" peut être déchu de sa nationalité, et autres dispositions civiles similaires en la matière ?
Enfin, nous vous épargnons la reproduction ici des articles 23-7 et s. du Code civil qui prévoient les possibilités de déchoir de leur nationalité Française les binationaux qui rejoignent les rangs d’une armée étrangère ou officient dans un service public étranger.
Concrètement, Chers Messieurs, qu’allez-vous faire pour permettre à notre pays de respecter ses obligations nationales et internationales, car il va sans dire que tout immobilisme procédural et mutisme politique condamne notre pays dans son essence d’Etat de droit ?
De surcroît, malgré les sanctions immédiates et sévères prises par l’UNRWA, témoignant de la condamnation de cette dernière sans équivoque des terribles évènements survenus le 7 octobre, la Communauté internationale dont la France, par un communiqué en date du 28 janvier 2024,a immédiatement suspendu ses paiements à cette agence des Nations Unies dont le rôle, depuis des dizaines d’années, de soutien protéiforme et vital aux réfugiés palestiniens n’est plus à prouver.
Nous nous réjouissons que le Quai d’Orsay soit revenu sur cette décision qui aurait couté la vie à de trop nombreux civils innocents.
Messieurs,
« Nul n’est responsable que de son propre fait », si vous n’aviez pas rétabli l’aide de 60 000 000 d’euros à destination des civils gazaouis, vous auriez puni collectivement le peuple palestinien et violé par conséquent l’article 33 de la IVème Convention de Genève prohibant les sanctions collectives. Punir des civils pour des faits qui n’ont pas encore été avérés et avec lesquels ils n’ont aucun lien peut constituer un crime de guerre au sens de la Convention susmentionnée.
La France et l’ensemble de la communauté internationale ne doit pas condamner tout un peuple sur le fondement d’allégations en cours d’instruction concernant 12 individus parmi des milliers d’employés irréprochables qu’emploie l’UNRWA depuis des décennies ; d’autant plus que le média Sky News a publié ce qui suit : « nous avons consulté les preuves récoltées par les autorités israéliennes sur ces allégations et quand bien même vrai, rien ne permet d’établir entre eux et l’UNRWA un lien direct de participation de cette dernière à ces évènements ».
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre,
Vous le savez, si l’UNRWA cesse son activité d’ici fin février comme elle l’a annoncée dans le communiqué susmentionné, les allégations de risque de génocide, contre lesquelles la CIJ nous a alerté, se réaliseront.Et la France sera tenue pour responsable au même titre qu’Israël de la crise humanitaire causée par le gouvernement de cet Etat.
Nous vous invitons à ne pas vous rendre complice de l’horreur et vous sollicitons afin que la France continue à œuvrer en faveur du droit et de la justice. Au lendemain de la décision de la CIJ, les obligations erga omnes de la Convention de 1948 contraignent notre Etat à poursuivre son financement de l’UNRWA et à cesser le soutien militaire, financier et humain pour mettre fin à ces exactions. A défaut, nous nous dirigerons vers une décision judiciaire qui marquera du sceau de l’ignominie et de l’horreur l’histoire de notre nation.
Permettez-nous, pour clore nos propos, de rappeler que dans un avis de 2004, la Cour internationale de Justice avait considéré qu’Israël ne pouvait se prévaloir d’un droit à la légitime défense ou de l’état de nécessité pour s’en prendre militairement au peuple palestinien, et qu’ainsi tout argument arguant en ce sens, dans le but de se soustraire aux obligations sus-évoquées, est inopérant. C’est d’ailleurs toute la substance de la décision rendue il y a quelques jours par la majorité des juges de la CIJ.
Nous vous en conjurons Messieurs, prenez vos responsabilités et évitons à notre Etat, héritier d’une longue tradition humaniste, attaché au respect des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, de porter le poids coupable d’une décision qui trahirait les valeurs intrinsèques à notre nation.
En l’attente de vous lire, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, nous vous prions d’agréer l’expression de notre considération la plus respectueuse.
Signataires :
Ligue des juristes pour la paix
Avocats solidaires
Tsedek
Urgence Palestine Marseille
Urgence Palestine Lyon
Urgence Palestine Nantes
Urgence Palestine Avignon
Urgence Palestine Charleville-Mézières
Urgence Palestine Reims
Urgence Palestine Val-De-Marne
Urgence Palestine Essonne
Collectif 69
De Nice à Gaza