Neuf mois après le massacre d’Etat dans les prisons italiennes

A propos des révoltes de mars dans les prisons italiennes et des 14 meurtres commis par l’Etat.
Traduction d’un article publié le 10 décembre sur RoundRobin.

Pendant les révoltes dans les prisons du mois de mars, l’Etat italien a fait un massacre : 14 détenus ont été retrouvés morts dans les taules de l’Etat. Treize d’entre eux dans les couloirs des centres pénitentiaires de Modena, Alessadria, Verona, Ascoli, Parma, Bologna, Rieti ; un d’entre eux mourra après l’hospitalisation à Rieti. Pas un mot prononcé par l’Etat sur ces morts au cours de ces mois, même pas aux familles, prévenues - et peut-être même pas toutes - bien plus tard et par les avocat.e.s qui suivaient les situations légales de leurs proches incarcérés. Si ces morts ont aujourd’hui un nom, c’est grâce à celleux qui individuellement se sont activé.e.s pour les chercher et les rendre publics.

Ce qu’on a vu jusqu’ici, ce n’est qu’un scénario digne des pires dictatures : dissimuler ce qui s’est passé, construire une vérité officielle en brouillant les cartes, trouver quelqu’un à inculper (les morts eux-mêmes, détenus et tox, ou la régie externe de mafieux ou d’anarchistes), faire disparaitre les témoins ou les terroriser à mort. Un scénario qui a été répété souvent dans l’histoire de la démocratie italienne : à partir des massacres d’Etat connus, même si officiellement jamais reconnus comme tels, jusqu’aux morts dans les prisons ou les CPR (équivalent des Centres de Rétention Administrative NdT), de la mort de Cucchi à celle de Vakhtang Enukidze, tué par la police en janvier 2020 dans le CPR de Gradisca d’Isonzo.

On sait très bien que les enquêtes officielles menées par le parquet ne diront JAMAIS la vérité sur ces morts, dont l’Etat s’est déjà débarassé avec des hypothèses de suicides, plus précisemment survenues pour tous à cause d’une overdose de médicaments. Nous en sommes persuadées, pas seulement parce que nous n’avons pas confiance dans l’Etat et parce que sa conception de la justice nous est ennemie. Nous le sommes aussi parce que face à ce qui s’est passé, il serait trop naïf, même contradictoire, de penser qu’un Etat pourrait se condamner lui-même en s’accusant de massacre de détenus, le plus grand après la deuxième guerre mondiale.

Les tortures, avec les passages à tabac et les humiliations et menaces, infligées aux survivants du massacre sont un advertissement clair, surtout vis-à-vis de ceux qui sont toujours détenus et donc toujours entre les mains de leurs bourreaux. Les enquêtes des parquets et les sanctions disciplinaires qui visent à punir tou.te.s les revolté.e.s de toutes les prisons suite à ces journées ne font que réproduire la violence de ces tortures, en contribuant même à la légitimer. Pour le moment, les enquêtes connues sont celles de Bologna, Modena, Frosinone, Milano Opera, Milano San Vittore et Roma Rebibbia, avec des accusations de "dévastation et saccage", séquestration, incendie, résistance et violences sur personnes détentrices de l’autorité publique. A ces recours punitifs, il s’ajoute ensuite l’exclusion explicite des bénéfices des peines alternatives liés au Covid, de façon spécifique pour tous ceux qui ont pris part aux révoltes de mars. Selon Bonafede (ministre italien de la Justice, ndT) et ses alliés, le message est clair : qui ne garde pas la tête basse peut mourir en taule.

Toute notre solidarité va à qui est accusé et sous enquête par l’Etat pour s’être revolté. Et maintenant plus que jamais cela devient nécessaire : pas seulement parce que ces révoltes étaient compréhensibles et justes, comme nous pensons l’être tout acte de rébellion fait pour conquérir la liberté. Mais encore plus en temps de pandémie, parce que déclenchées par la nécessité des détenus de se sauver de la diffusion non maitrisée du Covid dans les centres pénitentiaires et par la rage engendrée par l’adoption de mesures (arrêt des parloirs en premier) qui n’avaient rien à voir avec des enjeux de santé. La diffusion du virus dans les prisons a été causée par des mesures sanitaires pauvres ou absentes. Les entrées et sorties des matons et autres ainsi comme le choix délibéré de ne pas concéder de mesures alternatives de grande envergure ont provoqué la diffusion du virus et, selon les données officielles, 13 morts à cause du Covid entre avril et aujourd’hui. Ne pas exprimer notre solidarité manifeste envers qui s’est révolté et envers qui continue de le faire, ça voudrait dire légitimer le massacre qui a eu lieu pendant et après les révoltes de mars et reconnaître à l’Etat le permis de tuer ou de laisser mourir qui se retrouve incarceré, quand ça lui sert à défendre ses prisons.

A neuf mois de ce 7 mars, les prisons continuent d’être surpeuplées et dans la moitié des taules italiennes il y a de véritables clusters du virus enregistrés. La situation sanitaire continue d’être dramatique et dans le décret "Ristori" d’octobre Bonafede répète les mêmes mesures "mascarades" du décret "Cura Italia" de mars : à nouveau, si déjà le nombre de personnes détenues qui pourraient bénéficier de peines alternatives est restreint, dans les faits elles sont encore moins nombreuses que celles qui sortent. Les protestations recommencent dans plusieurs prisons, en particulier sous forme de grève de la faim.

Si pendant cette année interminable on a commencé à parler de prison et si quelques mesures autour de la situation, même insuffisantes, ont été adoptées, cela est arrivé seulement parce qu’en mars des personnes se sont révoltées. Il serait trop facile et incroyablement hypocrite ne pas l’admettre ou faire semblant de l’avoir oublié.

Nous avons toujours soutenu avec conviction que, même si 14 personnes étaient vraiment mortes d’overdose, la responsabilité aurait quand-même été claire : celle d’un Etat qui t’habitue, en prison, à la prise de la pillule quotidienne, qui t’inflige tous les jours sa dose de souffrance psychique et pas que et qui te rend tox. Exactement comme ça arrivait dans la prison de Modena, où pendant les premiers jours de la révolte et en même temps que l’approbation du décret qui causait la fermeture hermétique des prisons et des parloirs avec les proches, il y avait eu la rumeur des premiers détenus positifs dans la prisons, une des plus surpeuplées d’Italie.

Malgré la terreur infligée par l’Etat pour tout faire taire, certains prisonniers ont décidé avec un acte extrême de courage de casser le mur de silence qui était tombé sur ces morts. Leurs voix, qui racontent la vérité sur ce qui s’est passé le 8 mars 2020 dans la prison de Sant’Anna, ont été entendues pour la première fois publiquement le 3 octobre et le 7 novembre sur une place de Modena.

"Quand le corona est arrivé, il y avait un homme malade et ils voulaient pas le faire sortir et ils nous ont empêché de voir nos proches. Après ça, il y a eu une révolution et ils ont brulé la prison et les forces spéciales sont arrivées et ils ont commencé à nous tirer dessus. 12 personnes sont mortes, dont 2 de mes amis, ils sont morts sous mes yeux. Je suis encore en état de choc. J’avais fuit jusqu’au toit de la prison pour qu’ils me tirent pas dessus. Après ils nous ont tous pris et ils nous ont mis dans une pièce, ils nous ont enlevé tous nos vêtements et ils ont commencé à nous donner des coups de pied et des gifles. Ils nous ont redonné nos vêtements, ils nous ont aligné et ils nous ont tabassé avec la matraque. A ce moment là, j’ai compris qu’ils allaient nous amener dans une autre prison. Nous avont pris tellement de coups que... J’ai été amené dans l’autre prison sans chaussures. Après, quand on est arrivé à l’autre prison, ils nous ont tabassé à nouveau. A la fin, je suis arrivé à la fin de ma peine. Je suis très choqué pour mes amis. J’ai pas réussi à porter plainte contre les carabinieri parce qu’ils sont trop forts".

D’autres yeux, d’autres voix ont mieux précisé à qui étaient les bras qui ont visé avec leurs armes les détenus, en tirant et en tuant : de la police pénitentiaire et des centaines de carabinieri en anti-émeute, qui ont couru au Sant’Anna pour réprimer la révolte.

Les médias officiels, complices du silence autour de cet évènement et de la création d’une vérité exprès pour ne pas faire connaitre les faits, ces médias n’ont jamais cité ces détails pas négligeables les jours suivants les révoltes. Mais les tirs étaient audibles de façon claire même dans les vidéos qui avaient circulé.

Seulement des mois après, deux journalistes ont publié des témoignages anonymes de prisonniers témoins du massacre de Modena qui parlaient de détenus tués et non pas de mort par overdose. Le Parquet a ouvert un dossier pour homicide, demandant aux deux journalistes de témoigner.

La responsabilité que les médias ont eu dans la distorsion de la vérité sur ce qui s’est passé ces jours là est énorme. Ce qui a été raconté par télé et journaux comme une folie barbare commencée dans la prison de Modena (mais aussi dans d’autres prisons italiennes où il y a eu des protestations et des révoltes) a en réalité des origines bien précises. Qui était dans ces cellules avant et pendant la révolte le sait bien. Les premiers cas de détenus positifs à l’intérieur du Sant’Anna n’ont été rien d’autre que la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Un vase qui était plein de mesures de santé souvent absentes à l’intérieur des prisons. Les médias ont parlé de morts par overdose. Les voix de qui était présent témoignent d’un pillage de médocs par plusieurs détenus, mais font émerger aussi la responsabilité indéniable des matons qui, sans se soucier de l’état d’altération psycho-physique de certaines personnes, ont infligé des coups à leurs corps qui étaient allongés par terre, en les couvrant de coups de matraque au visage et à la tête. Probablement, sans ce règlement de comptes barbare mené par la police pénitentiaire et les carabinieri en anti-émeute, ces personnes ne seraient pas mortes. Au moment de la "capitulation", des dizaines de détenus ont été entassés entre les deux portes cochères de la prison et frappés sans pitié, laissé en t-shirt et sans chaussures. Dans ces conditions ils ont été chargés sur des camions et transférés par dizaines dans d’autres prisons. A leur arrivée aux nouvelles destinations, l’accueil a été le même : équipes de police pénitentiaire avec casque, bouclier et matraque. Dans certaines "nouvelles destinations" ce traitement brutal et vindicatif a continué pendant des jours. En particulier, il y a des personnes qui racontent que dans une prison, les nouveaux venus de Modena ont été tabassés et laissés sans chaussures pendant plus de 10 jours, en dénonçant tout ça à un très institutionnalisé garant des droits des détenus. Ce dernier, même en ayant vu de lui-même les conditions des détenus transférés, n’a rien dit. Evidemment c’est son rôle.

Salvatore Piscitelli est peut-être le nom qui a été le plus cité dans les journaux ces derniers mois, parmi les noms des détenus tués pendant et après la révolte de Modena. Son corps a été incinéré et les sources officielles, ensuite reprises par le garant même, parlent d’un décès qui aurait eu lieu avant son entrée dans la prison d’Ascoli. D’autres sources disent que la mort a eu lieu à l’hôpital, à l’entrée duquel Salvatore n’aurait pas présenté des lésions compatibles avec des violences ni des signes d’intoxication. Mais qui était avec lui dit qu’à l’arrivée à Ascoli Salvatore allait tellement mal que les autres détenus avaient du lui faire le lit pendant qu’il était effondré au sol. Le matin suivant, les détenus ont sollicité les matons à partir de 8h30 jusqu’à 10h pour faire venir le médecin, qui n’est jamais arrivé. A 10h30, les détenus qui étaient avec Salvatore ont appelé à nouveau les matons, en disant qu’il était mort. Constatant sa mort, les agents ont bougé leur compagnon de cellule dans une autre, ils ont mis le corps de Salvatore dans un drap et l’ont amené ailleurs.

Comment croire que ces détails sont le fruit de fantasie ? Comment ne pas attribuer une responsabilité aux coups infligés de façon volontaire par les matons sur des corps impuissants ou à la négligeance voulue dans l’assistace de ceux qui montraient déjà une énorme souffrance à cause des passages à tabac et des substances ingérées ? Comment dire juste "morts par overdose" même quand les autopsies ont confirmé cette version ?

Selon les enquêtes du Parquet, les témoignages qui racontent la vérité en contradiction avec la version officielle n’ont pas de valeur, justement parce qu’anonymes et peut-être parce qu’il démentent complétement les versions émergées jusqu’à présent. Mais pour nous tou.te.s ils ont énormement de valeur. Nous comprenons bien les raisons de ces anonymats et nous savons qui croire, de quel côté se positionner. C’est à nous de donner écho à ces voix et de soutenir par tous les moyens celleux qui trouveront le courage de parler, en étant conscient.e.s que ce sera en mettant en danger sa propre vie.

Malgré le fait qu’il ait été le lieu d’un massacre, une partie de la prison de Modena est toujours ouverte et à l’intérieur sont aujourd’hui détenus 200 personnes dans la section des hommes en régime à cellules fermées, certaines depuis mars. Il y a des infos de nouveaux cas de covid à l’intérieur, mais malgré ça les ressources utilisées par le Département de l’Admnistration Pénitentiaire (DAP) vont à la restructuration des sections rendues inutilisables pendant les révoltes, aux systèmes de vidéo-surveillance et aux nouvelles importantes dotations de matraques, boucliers, casques, gilets pare-balles. Ces derniers mois, des dizaines de solidaires sont revenu.e.s plusieurs fois sous ces murs, pour montrer leur solidarité aux détenus, leur soutien et partager avec eux ce qui s’était passé en mars à l’intérieur du centre penitentiaire de Modena et dans d’autres villes.

Nous sommes conscient.e.s que l’Etat a tous les outils pour essayer des nous intimider et de dissimuler la vérité. Cependant il est fondamental que la vérité émerge. Cette responsabilité révient à tou.te.s celleux qui ont une conscience, parce que ce qui est en jeu n’est pas seulement la restitution d’une vérité historique, ce qui en vrai serait déjà beaucoup. Il est en jeu la vie de toute personne qui, enfermée derrière les barreaux, ne tient pas la tête baissée face aux vexations quotidiennes des administrations pénitentiaires, aux violences des matons, aux meurtres perpétrés par ceux derniers et par les autres uniformes.

Pour cette raison nous ne pouvons pas nous taire et réaffirmons, encore plus à l’occasion de l’anniversaire du massace de Piazza Fontana, que le terroriste c’est l’Etat.

Nous exprimons toute notre solidarité à Alfredo et Anna, compagnon.ne.s anarchistes condamné.e.s le 24 novembre dans le cadre du procès Scripta Manent à 20 et 16,6 années de prison, avec l’accusation de massacre, car pris.e.s pour responsable d’un engin explosif dans une école de police à Fossano.

STRAGISTA È LO STATO.

Liberté pour tou.te.s les détenu.e.s !

Liberté pour qui a toujours lutté contre la violence de l’Etat !

Parce que Marco, Salvatore, Slim, Artur, Hafedh, Lofti, Ali, Erial, Ante, Carlo, Samir, Haitem, Ghazi et Abdellah et tou.te.s les autres mort.e.s par la main de l’Etat ne soient pas oublié.e.s.