L’assemblée générale de 13 en lutte était déjà prévue à 18h devant le kiosque des Réformés, et ce avant même que ce fameux article 49.3 soit autorisé par le conseil des ministres exceptionnel qui s’est tenu ce 10 mai.
On peut parier qu’en plus de l’annonce officielle de recours à cette arme du pouvoir exécutif, d’autres annonces ont été adressées aux diverses préfectures de l’Hexagone : celle de prévenir les manifestations de colère qu’une telle nouvelle ne manquerait pas de provoquer. Ainsi, encore une fois, Hollande-Valls-Khomri-Cazeneuve-etc. "privilégient le dialogue social, défendent la liberté de manifester et prêtent une attention toute particulière aux voix de la population" (fin de citation). Si c’est pas de gauche, ça, ma bonne dame.
Rien d’étonnant donc à ce que, quelques temps après que l’assemblée de 13 en lutte commence, plus d’une dizaine de fourgons de police (accompagnés de la BAC) prennent place aux alentours de la réunion et l’encerclent, interdisant à quiconque d’en sortir et contrôlant les identités et les sacs de celles et ceux qui voudraient y rentrer. La première nasse policière à Marseille, destinée à empêcher toute manifestation. Car - parait-il - une rumeur disait qu’une manifestation sauvage était envisagée à la fin de l’assemblée. Dans le même temps, les syndicats ont appelé à un rassemblement devant la Préfecture.
Les textos d’urgence ont vite fait de tourner, et la police d’être à son tour encerclée par plusieurs dizaines voire centaines de nouvelles personnes. Quelques slogans résonnent bien pour "libérer nos camarades", mais globalement personne ne bouge, et l’ambiance est assez étrange, avec les prises de parole qui continuent sous l’oeil porcin et vitreux des flics présents en nombre. A un moment, finalement, une personne parvient à s’extraire de la nasse en fonçant entre deux policiers un peu plus lents à la détente que les autres, et réussit à s’échapper malgré les efforts des flics pour la reprendre. Un petit mouvement de foule a lieu, mais tout se calme très vite de nouveau.
Et puis cinq-dix minutes plus tard, tout le monde décide qu’on en a marre d’avoir ces voisins-voyeurs en uniforme à côté, qu’on veut partir, et on se lève pour ça pour avancer. Et là, la police s’écarte. Que ce soit parce que la Préfecture était à présent fermée, parce que les flics se retrouvaient dans une position difficile ou pour autre chose, peu importe. Parce qu’au final, le cortège (car désormais, c’est un cortège) descend en manif sauvage sur la Canebière pour remonter Lieutaud, la rue Fongate et finalement descendre rejoindre le rassemblement syndical devant la Préfecture. Petit détail absurde, les ancêtres de la ’manif pour tous’ encadrés par les bas-du-front de l’action française faisaient aussi leur petit rassemblement là-bas, mais se font sortir par la police pour éviter qu’il ne leur arrive des problèmes.
Une fois le rassemblement et la manif réunis, après quelques moments de flottement et d’incertitude, une manif sauvage repart en direction du tribunal, passe devant le local du PS, serrée de très près par les flics en armure qui vont protéger les vitres (ce qu’ils n’ont manifestement pas réussi à faire à Lyon ou à Caen). S’ensuivra une petite heure du jeu du chat et la souris dans les rues, entre la rue Paradis, un bout de la rue de Rome, le Cours Julien, etc, avec pour objectif (au moins pour quelques personnes) de rejoindre le Vieux Port où se tenait l’assemblée de la Nuit Debout.
Mais le cortège se délite, n’a ni moyens de défense ni moyens d’attaque et la police attend au tournant, et la plupart des manifestant-e-s finissent par se disperser entre la Plaine et Noailles.
Au bout du compte, cette manifestation, quand bien même improvisée, a eu quelques mérites, comme le fait de réagir à l’annonce du 49.3 pour ne pas le laisser passer sans réponse, même minime, ou d’avoir relancé une manif sauvage dans les rues, même si aucun objectif n’était pensé ou n’a été réalisé : en effet, ça nous permet de nous revoir pour continuer à lutter ensemble, et que ça ne se fasse pas uniquement autour d’histoires de répression. Maintenant, il va falloir repenser un peu les choses.
La situation est en effet différente, ce 10 mai a marqué un tournant. Ne serait-ce qu’au niveau des objectifs les plus bas, c’est-à-dire si on s’en tient à la Loi Travail, il ne s’agit plus d’empêcher qu’elle passe, mais de la faire retirer. Ce qui suppose de faire monter la tension et la mobilisation de plusieurs cran, parce que c’est un objectif plus difficilement atteignable. De plus, il y a fort à parier que la répression va d’autant plus augmenter du fait de ce changement de statut, sur la base du maintenant c’est fait, rentrez chez vous. Il faudra être assez fort-e-s et menaçant-e-s pour gagner, et assez solidaires et organisé-e-s pour nous défendre.
L’heure n’est plus aux débats stériles sur la violence/non-violence. Il s’agit à présent de frapper fort à plusieurs niveaux et conjointement. A chacun-e son mode d’action.
Par les grèves, le sabotage, les manifestations, la confrontation et l’action directe, l’organisation concrète de la solidarité, les blocages stratégiques, l’intelligence collective. Il s’agit d’arrêter de crier ’révolution’ dans les rues si on ne se donne pas les moyens d’aller dans cette direction-là.
Vive la révolte !