« On est comme des oiseaux dans une cage ». Témoignages de personnes enfermées dans le centre de rétention de Nîmes

Voici trois témoignages de personnes (A., B. et X.) actuellement enfermées dans le centre de rétention administratif (CRA) de Nîmes. Elles dénoncent les conditions qu’elles subissent dans le centre, par exemple les fouilles à nu après les parloirs, le manque d’accès aux soins, l’indigence de la nourriture. Elles disent que ces conditions étaient encore plus difficiles pendant le ramadan à cause des keufs de la PAF (Police aux frontières), qui servent de matons dans les CRA. Personnes sortantes de prison, A. et B. disent qu’en plus de leur condamnation au pénal, c’est la préfecture qui s’attaque à elles en cherchant à les expulser après la fin de leur peine. Elles sont alors directement mises en CRA après la prison. Concernant A., ses refus de test PCR sont pénalisés en CRA (condamnation à de la prison) mais aussi en taule (placement au mitard). Le covid sert l’État à criminaliser aussi B. : il l’envoie en prison parce qu’il n’a pas quitté le territoire français, ce qu’il ne pouvait pas faire puisque les frontières étaient fermées. X., dans son témoignage, insiste sur le manque de nourriture décente, et de graves problèmes de soins. Il dit que les gamelles sont cachetonnées, pleines de calmants. Attention : une tentative de suicide est évoquée dans son témoignage. X. rappelle aussi brièvement que dans la nuit du 9-10 mai 2021, deux autres personnes enfermées au CRA de Nîmes ont réussi à s’évader. On a malheureusement appris qu’elles ont été arrêtées depuis.

Force à tou·te·s les prisonnier·e·s, à bas toutes les prisons !

Témoignages de A. et B.

A. : Bon je vais commencer par vous résumer le parcours. Eh ben j’ai été condamné à 17 ans pour outrage et rébellion. Chez les mineurs, à 17 ans, je suis rentré en prison. Je suis arrivé en France à l’âge de 9 ans.

M. : C’était quelle prison ?

A. : À Villeneuve-lès-Maguelone [la prison de Montpellier]. J’ai toujours été à Villeneuve-lès-Maguelone.

M. : Et c’était combien de temps cette première condamnation ?

A. : La peine de prison c’était 4 mois. Il y a 13 ans en arrière. Et puis je suis rentré encore plusieurs fois, pour des vols, des rébellions, outrages, des cambriolages. Et puis là en 2019, ils m’ont… je me suis battu avec la police, ils m’ont frappé. Ils m’ont frappé, ils m’ont ramené à l’hôpital, ils m’ont mis par terre ils m’ont mis des coups de pied dans la tête et tout. Comme je les ai les insultés et tout, ils m’ont mis « apologie du terrorisme » alors que c’était même pas vrai. J’ai été condamné à 18 mois de prison. Et j’avais une carte de séjour de 1 an. Elle s’est périmée en prison. Avant j’ai demandé au SPIP [1], j’ai demandé au SPIP pour qu’il me refasse ma carte de séjour et tout. Et il voulait pas, il voulait rien comprendre. J’ai demandé au SPIP pour qu’il me refasse la carte de séjour encore, il m’a dit : « Je peux pas, vous avez une peine elle est trop petite, je vais vous envoyer vers la Cimade. » Mais j’ai jamais vu la Cimade.

M. : Ok. Ils ont pas voulu prolonger ta carte de séjour ?

A. : Ouai il a pas voulu me renouveler la carte de séjour. Et puis, dès que je suis sorti de prison – je savais pas – il y avait les gendarmes ils m’attendaient. Ils m’ont fait signer un quitte-le-territoire-français [2], avec l’interdiction de trois ans [3]. Et puis ils m’ont ramené à Sète, au CRA de Sète. J’ai fait un mois, j’ai refusé 2 fois le test. Ils m’ont mis 4 mois de prison. Et j’étais passé aussi au Tribunal administratif pour qu’ils m’enlèvent le quitte-le-territoire et l’interdiction. Ils m’ont laissé que le quitte-le-territoire mais ils m’ont enlevé l’interdiction. Ça veut dire j’ai plus d’interdiction, j’ai que le quitte.

M. : T’as plus l’interdiction ?

A. : J’ai plus d’interdiction.

M. : Ok t’as « juste » l’OQTF ?

A. : Ouai OQTF. Et dès que je suis ressorti là, dès que j’ai pris 4 mois de prison, pour refus de test, pour euh… pour exécution je-sais-pas-quoi… comme si je refusais de partir dans mon pays.

M. : « L’obstruction à mesure d’éloignement » là ?

A. : Ouai, c’est ça, « obstruction à une mesure d’éloignement ». Et 4 mois j’ai fait, sur 4 mois j’ai fait 2 mois et 3 semaines. Et je suis sorti le 7 mai, là. Le 7 mai, les gendarmes encore ils sont venus me chercher pour me ramener au CRA de Nîmes, au centre de rétention de Nîmes, et depuis le 7 mai je suis ici. Je suis passé au tribunal, ils m’ont rajouté 28 jours. Je leur ai montré le justificatif de domicile, j’ai tout, j’ai mes parents, j’ai mes frères et sœurs, je suis arrivé à… normalement ils ont pas le droit de m’expulser quand t’arrives avant l’âge de 13 ans. Comme je suis arrivé à l’âge de 9 ans, ils veulent rien savoir. Ils disent que j’ai pas de justificatif de domicile, alors que je l’ai donné le justificatif de domicile, et tout, de mes parents. Mes parents ils habitent à Gignac [près de Montpellier]. J’ai été condamné pour « apologie du terrorisme », ils disent que je suis une « menace publique » alors que y a pas de menace publique, y a rien. Juste avant de rentrer en prison, j’avais un CDI. Je travaillais un CDI et j’ai donné à la préfecture le CDI, comme quoi c’est là où ils m’ont donné la carte de séjour de 1 an, alors que normalement ils doivent me donner une carte de séjour de 10 ans normalement au moins, parce que ça fait 20 ans je suis en France. J’ai fait l’école ici, je suis arrivé à l’âge de 9 ans. Je suis plus Français que Marocain. J’ai 30 ans maintenant là, j’ai fait 20 ans en France. J’ai fait 10 ans au Maroc à peu près, 9 ans et demi, je suis arrivé à l’âge de 9 ans et demi, avant 10 ans. Je suis plus Français que Marocain. Je parle même pas arabe, je parle pas arabe. L’arabe, c’est… s’ils me ramènent au Maroc, je vais faire comment pour vivre, je vais faire comment ? J’ai pas de famille là-bas, j’ai toute ma famille ici. Je sais pas comment faire. C’est trop dur. Et… voilà, et maintenant j’ai fait appel pour les 28 jours. Je vais passer demain matin à 10 heures, 10 heures et demi.
Ici franchement, ça se passe mal, on est enfermés, on est comme des oiseaux dans une cage. C’est trop fermé. Y a pas de télé, y a rien. C’est encore pire que la prison. Encore en prison on a le sport. On connaît mieux, on est mieux en prison que le centre. Ils nous font des fouilles tous les jours, tous les jours à midi ils nous réveillent, alors qu’on fait le ramadan, exprès. Juste pour... ils disent que c’est pour nettoyer la cellule mais en fait c’est pour faire des fouilles. On fait le ramadan. Ils nous donnent une petite bouteille d’eau par jour, normalement c’est 1,5 L par jour. Ouai c’est ça… pour nous mettre la pression… et voilà. Tout le temps à midi, ils nous font des fouilles à midi, il nous a fouillé la cellule tout à l’heure alors que y a rien. On n’a rien, on n’a rien nous. Ils viennent, ils soulèvent les matelas, ils enlèvent les couvertures, ils jettent tout par terre. Ils fouillent les habits, ils les remettent pas en place. Y a plein de choses, hein. Alors qu’on n’a rien nous. On est venus de prison. […]

M. : Ok, et ils viennent de quelles maisons d’arrêt ?

A. : De partout, y en a de Draguignan, y en a de Nîmes, y en a de Villeneuve, de Marseille, Nice.

M. : Ok, et… ouai vas-y, vas-y, si t’as d’autres trucs à dire vas-y.

A. : Comme ça, on leur dit le pays d’origine, comme ça, mais moi ils ont tout sur moi depuis que je suis arrivé, je suis arrivé en regroupement familial. J’ai toute ma famille ici. J’ai personne au Maroc. J’ai personne. Je vais aller où ? Je vais me retrouver à la rue. Si je vais au Maroc je vais faire comment ? Alors qu’ici je suis suivi par un psychiatre depuis mineur. Et, voilà hein.

M. : Ok. Et, je me demandais, en fait, du coup tout ça, c’est lié à quand ils t’ont collé « apologie du terrorisme », quand ils t’ont tabassé les keufs quoi ?

A. : Oui c’est ça, oui.

M. : Et depuis en fait, t’as perdu tous tes droits à rester ici quoi ?

A. : Ouai, j’ai perdu tous mes droits, ils m’ont pris ma carte de séjour, ils veulent pas me refaire. Ils veulent me mettre en prison. Le juge il m’a dit : « Si vous refusez le test vous allez faire que de la prison, centre, centre de rétention. » Ça fait déjà la 2ème fois, là.

M. : Ils t’ont demandé de faire les tests déjà ?

A. : Non, ils m’ont pas encore demandé, parce que le Maroc était fermé. Il est fermé jusqu’au 21 juin. Et ils me gardent encore ici, je sais pas. Alors que j’ai toute ma famille, j’ai ma petite sœur elle est née en France, elle a la nationalité française. J’ai mes parents ils habitent là, j’ai ma maman, j’ai mon frère. J’ai mes trois sœurs. J’ai toute ma famille. J’ai rien à faire au Maroc moi, je peux rien faire. Si je vais là-bas je vais me retrouver à la rue, je vais faire comment pour vivre ?

M. : Est-ce que, quand t’étais en prison, et qu’ils ont refusé de prolonger tes papiers, ta carte de séjour…

A. : Ouai, le SPIP il a voulu rien savoir. Il m’a dit : « Je vais vous envoyer vers la Cimade. » Mais la Cimade elle est jamais venue me voir. Ouai normalement, ils devaient me refaire ma carte de séjour, mais juste lui, lui comme c’est le… le SPIP que j’avais, c’est le chef des SPIP, il travaille avec eux. Même là, là avant de sortir, je lui écris pour lui dire : parce qu’il l’a pas fait, ils vont venir me chercher, est-ce qu’il y a une prise en charge ? Il m’a dit : « Nan, y a pas de prise en charge », alors qu’ils sont venus me chercher.

M. : C’est le SPIP de Villeneuve-lès-Maguelone ?

A. : Le SPIP, monsieur H. ouai.

M. : L’OQTF, elle t’a été donnée à la fin de ta peine de prison ? L’interdiction de territoire et l’OQTF ?

A. : Ouai à la fin, le jour de ma sortie. Le 4 janvier, et j’allais sortir le 5 janvier.

M. : Ça veut dire qu’ils t’ont informé de ça la veille de ta sortie ?

A. : Ils m’ont même pas informé, ils m’ont informé le jour de ma… l’heure de ma sortie.

M. : Ah ouai, ils t’ont pas informé avant ?

A. : Ils m’ont pas informé avant. Et la PAF ils sont venus me voir, moi j’ai pas voulu leur répondre. Parce que moi je lui dis : « J’ai toute ma famille ici, j’ai rien à vous dire, j’ai mes papiers, j’ai tout ça. » Et le mec de la PAF il a écrit un rapport sur moi comme quoi j’avais pas de famille, j’ai rien, « apologie du terrorisme », et je suis une « menace publique »… alors que j’ai rien de tout ça moi. Je suis pas terroriste. Je suis rien du tout. J’ai jamais touché d’arme. J’ai rien, j’ai rien.

M. : Et à quel moment, la PAF elle a fait ça ?

A. : Quand j’étais pendant les 18 mois de prison.

M. : Ok, donc pendant la peine de prison, t’as vu la PAF une fois et ils ont fait un faux rapport quoi ?

A. : Ouai, et c’est là où il a mis le rapport pour la préfecture pour me mettre l’OQTF et l’interdiction.

M. : Mais après t’as pas été informé, et du coup t’as pas pu faire recours contre l’OQTF, par exemple ?

A. : Si, j’ai fait recours contre l’OQTF, ils m’ont enlevé l’interdiction. Mais le Tribunal administratif, ils ont laissé l’OQTF.

M. : Et ça c’est quand tu venais d’arriver au CRA de Sète, que t’as pu faire recours ?

A. : Eh oui, quand je suis arrivé au CRA de Sète.

M. : Tu confirmes que tu as été condamné à de la prison pour refus de test après deux refus de test, « seulement » ?

A. : Ouai, après deux refus de test, oui.

M. : Ok, et pas trois ?

A. : Moi je leur ai dit : « J’ai envie de partir au Maroc mais moi j’ai pas envie de faire les tests, j’ai peur des tests. » On a essayé de me le faire en prison. Et j’ai refusé déjà même en prison le test. Ils m’ont mis 15 jours à l’isolement.

M. : Ils t’ont fait 15 jours de mitard pour refus de test ?

A. : Ouai pour refus de test, parce qu’ils suspectaient qu’il y a avait le covid dans les cages. [Une personne parle derrière.] Et là, ici, au centre de Nîmes là, y a 20 policiers qui ont été touchés, ils sont partis à Paris et tout. Y a le corona.

M. : Et il y a des soucis de santé du coup dans le CRA ?

A. : Ouai, il y a des soucis ouai. Hier on a vu même des cafards. Des petits cafards et tout, qui marchaient par terre. On a pas voulu les tuer parce que… Y a des gens, ils se grattent ici, je pense ils ont la gale. En plus on n’a pas le droit de faire rentrer… au CRA de Sète, on a le droit de faire rentrer des gâteaux, des trucs, ici on n’a pas le droit. Donc on mange mal, on est obligé de manger la gamelle. La gamelle qu’ils nous donne c’est des trucs euh…

M. : Ils refusent les paquets de gâteaux ?

A. : Ouai.

M. : Et le linge ?

A. : Les habits, le linge, ils mélangent tout. Ça veut dire mes habits, ils mettent les habits de quelqu’un d’autre, ils les mettent tout en même temps. Ils mettent dans la machine, si le mec il a la gale ou quoi, ça veut dire mes habits aussi ils vont être contaminés.

M. : Les mandats, ça se passe comment au CRA de Nîmes ?

A. : Y a pas de mandats ici. Ça prend un mois. Je sais pas, il faut que c’est ta famille qui vienne, et qui te dépose l’argent ou te ramène des cigarettes.

M. : Et ça se passe comment les parloirs, que ça soit dans les CRA ou même à la prison de Villeneuve, tu peux nous décrire ça ?

A.. : Les parloirs ? Les parloirs, ça fait des fouilles, c’est des fouilles à poil. On est obligés de se mettre à poil alors que des fois même on fait le ramadan. Ils disent d’écarter… Il reste devant toi, il te fait la fouille encore devant on dirait…

M. : Il y a des fouilles à nu au CRA de Nîmes ?

A. : Ouai il y a des fouilles après… ouai ils te mettent à poil. T’as même pas le droit de rentrer même un déodorant, un déodorant en plastique, un shampooing. Alors que Sète t’avais le droit du shampooing, déodorant en plastique t’as le droit. Ici t’as pas le droit au gel douche, t’as pas le droit… t’as le droit à rien. Ils sont tout dans les bagages, ça met du temps, il faut demander les bagages. Y a tout le monde qui demande les bagages des fois ils viennent pas.

M. : Et ils le font où les fouilles à la fin des parloirs ?

A. : À la fin des parloirs, ils le font dans la chambre du parloir. Il y a des chambres spéciaux.

M. : Une fois que les gens sont partis quoi ?

A. : Ouai, une fois que les gens ils sont partis ils fouillent.

M. : Est-ce qu’il y a des vitres qui séparent les proches des prisonniers ?

A. : Des vitres ? Ouai il y a des vitres entre les personnes. Y a deux chaises et y a une vitre.

M. : Du coup vous pouvez pas vous toucher ?

A. : On peut pas, ouai, on peut pas se toucher. On peut rien faire. Y a deux vitres sur la porte : y a un surveillant derrière, y a un autre surveillant derrière l’autre porte. Y a deux portes en fait. Y a une fenêtre avec une vitre, et ils sont là ils sont en train de surveiller pendant tout le parloir.

M. : Y a deux surveillants pendant le parloir ?

A. : Ouai. Même pour couper les ongles là, ici, il faut que t’appelles la police... Pour couper les ongles il faut aller voir l’infirmière, ça prend du temps, ça prend une semaine. Ça prend du temps.

M. : Ok. Et je me demandais, est-ce qu’il y a eu des moments où il y a eu des protestations collectives ?

[Plusieurs personnes discutent à part.]
A. : Nous, on veut qu’ils nous relâchent, ou ils ferment le centre, ils nous ramènent dans un autre centre parce que ce centre de Nîmes il… c’est trois mois, trois mois de centre de rétention, c’est 90 jours, c’est trop dur.

M. : Ouai, c’est dur.

A. : Trop dur. On a rien, on a rien à faire pendant toute la journée. Y a pas d’activités. Y a rien du tout, y a une petite promenade. On a même pas de baby pour jouer. Y a même pas de télécommande, une seule télé pour 18 personnes. Même des prises pour charger des téléphones y a rien. [Une personne parle derrière.] Au centre de Marseille, ils ont droit au téléphone internet, mais juste ils cassent la caméra. Ici on a pas le droit, on a que le droit à des petits téléphones.

M. : Ouai, et je me demandais aussi, Forum Réfugiés [4], au CRA de Nîmes, ça se passe comment ?

A. : Eh ben ça se passe un peu mal, c’est pas comme le CRA de Sète. Le CRA de Sète tu demandes à voir le Forum, ils te ramènent direct. Alors que ici… là ce matin j’ai fait appel, ils sont venus juste me faire signer comme quoi j’ai fait appel. Ils m’ont donné le papier pour que je passe demain et je les ai même pas vus.

M. : T’as aucun soutien juridique en fait ?

A. : Ouai y a pas trop de soutien, ouai. C’est comme si j’étais pas défendu. Je leur ai donné un justificatif de domicile, ils me disent que y a pas de justificatif. Les juges ils disent qu’il y a pas de justificatif de domicile alors que moi j’ai toute ma famille ici. J’ai mon frère, j’ai ma sœur. Je peux habiter chez mon frère, je peux habiter chez ma sœur, je peux habiter chez mon père et ma mère, je peux habiter de partout. Ils disent que j’ai pas de justificatif alors que j’avais donné une attestation sur l’honneur de prise en charge de mes parents, avec un compte bancaire avec l’adresse… ils disent qu’il y a pas de justificatif.

M. : Est-ce que tu sais pourquoi t’as été renvoyé au CRA de Nîmes et pas au CRA de Sète à la fin de ta peine de prison ?

A. : Parce qu’ils ont fermé le CRA de Sète. Ils font des travaux. Quand j’y étais il y avait des douches ils étaient bouchées, y avait plein de problèmes. Ça puait et tout, c’est pour ça qu’ils ont fait des travaux. Et en plus moi j’ai mon frère à Sète il peut venir me voir tout le temps alors qu’à Nîmes c’est un peu loin.

M. : Ouai c’est loin de Montpellier.

A. : Ouai c’est un peu loin. Et moi mon père il a fait une opération du pied puisqu’il a fait un accident du travail, il peut plus conduire. Il peut plus conduire et donc il peut pas venir me voir. Ma sœur aussi elle a un problème avec sa voiture, elle peut pas. Si elle vient elle va mettre du temps à venir, elle va mettre 2 h ou 3 h. C’est trop pour elle.

M. : C’est compliqué… Et est-ce t’as entendu parler de l’histoire qu’à Nîmes, au CRA de Nîmes, ils mettent des gens parfois en prison pour des refus de test, mais parfois ils donnent du sursis après avoir passé 1 ou 2 ou 3 jours en taule, et après ils remettent les gens dans le CRA pour mettre la pression en disant : « Tu risques d’arriver en taule vraiment si tu refuses le test à nouveau ? »

A. : C’est comme ils m’ont fait à moi. Moi j’ai refusé le test, ils m’ont mis 4 mois de prison : c’est pour me dire qu’il faut pas refuser le test ! Alors que le test il est pas obligatoire. Y a pas une loi qui dit qu’il est obligatoire le test !

M. : Nan, c’est même l’inverse. Par exemple à Douai, dans le Nord de la France, récemment ils ont reconnu le fait, sur le plan légal, qu’on avait le droit de refuser le test PCR.

A. : Ouai, ben ici, c’est comme si « obstruction » là, obstruction de… [Discussions.] Y a mon collègue il a fait appel, ils lui ont mis 30 jours. Il a son fils, il a une adresse. C’est sa première fois en prison, c’est sa première fois au centre. En plus le Maroc, ils ont fermé les frontières jusqu’au 21 juin. Ils veulent pas nous lâcher ici. C’est juste ici qu’ils relâchent pas trop de gens. Ici le CRA de Nîmes, c’est trop dur. Je crois que c’est le centre le plus dur. Je pense.

M. : C’est pas facile. Pour les refus de test, en gros comment ça se passe, comment tu fais pour refuser un test ? Juste tu dis « je refuse » ?

A. : Ils viennent, ils te demandent : « Est-ce que vous voulez faire le test ? » Ils demandent si vous voulez faire le test et si vous dites oui ou vous dites non. Après eux ils font un procès-verbal comme quoi vous avez refusé, ils l’envoient au procureur et le procureur voit : « Ouai, il a refusé le test, il a pas envie de repartir. » C’est la PAF ça.

M. : Et après, du coup, il y a une garde-à-vue et un procès, c’est ça ?

A. : Oui, directement en garde-à-vue, directement en CRA. Moi j’ai été directement en garde-à-vue au CRA de Sète. Au CRA de Sète, il y a une garde-à-vue. Ils m’ont mis une garde-à-vue la journée. Après ils m’ont envoyé à Montpellier, au grand commissariat de Montpellier, pour passer la nuit. Le lendemain matin, je suis passé au tribunal. Au tribunal, jugement, jugement… comment on dit ça ?

M. : « Comparution immédiate » ?

A. : Voilà, « comparution immédiate ». Ils ont voulu me mettre une interdiction de 10 ans aussi [5].

M. : Ah ouai, le procureur il a demandé ça ?

A. : Il a demandé ça, mais moi comme j’ai eu des preuves comme quoi ça fait 20 ans j’ai toute ma famille ici, ils me l’ont pas mis. Comme le tribunal administratif, ils annulent les 3 ans d’interdiction, ils peuvent pas me mettre 10 ans d’interdiction !

M. : Du coup, il y a eu 4 mois ferme, c’est ça ?

A. : Ouai ils m’ont condamné à 4 mois de prison. Et je suis rentré à Villeneuve-lès-Maguelone, et voilà.

M. : Et juste, est-ce que t’as d’autres choses à rajouter, ou ça va ?

A. : Y a mon collègue, il voulait vous dire là, qui est assis à côté de moi, il dit qu’il était dans une voiture.

[B. prend le téléphone.]
B. : Les contrôleurs ils sont venus, ils m’ont contrôlé comme quoi j’avais pas de papiers. J’avais une interdiction de territoire français. Ils m’ont pris, ils m’ont ramené en garde-à-vue, et je suis tombé sur un OPJ [6] raciste : « Soit on t’envoie au CRA, soit la prison. » Moi je lui dis : « J’ai pas envie d’aller ni au centre-dépôt, ni en prison, j’ai envie de sortir. » Il me dit : « Nan, oublie la sortie. Choisis un des deux : soit tu vas en prison, soit tu vas au centre de dépôt. » Après moi je choisis le centre, ils m’ont ramené en prison pour 6 mois !

M. : Ils t’ont mis en prison pourquoi ?

B. : Pour l’interdiction, parce que je suis pas quitté la France. Je suis resté, alors moi la frontière de l’Espagne elle était fermée. C’était le 29 novembre 2020, la frontière de l’Espagne elle était fermée.

M. : Mais du coup, il y a eu une condamnation avec un procès et tout ?

B. : Ouai, j’allais au jugement le lendemain direct. J’en ai fait 2 jours de garde-à-vue. Le lendemain, ils m’ont ramené direct au tribunal. Je lui dis : « Monsieur, la frontière elle est fermée nanana. » En plus y avait une autre personne, lui aussi il avait l’interdiction. Mais lui il devait aller à l’Italie. L’Italie c’était fermé, lui il est sorti, ils l’ont relâché. Moi ils m’ont pas lâché, ils m’ont ramené en prison. Ils m’ont dit : « T’as pas respecté le contrôle judiciaire. » J’ai pris 6 mois à cause de ça. Et normalement, il y a plein de gens ici, ils rentrent au centre, ils sortent, ils les attrapent dehors, ils les ramènent au centre. Ils les ramènent pas en prison. Moi je sais pas pourquoi ils m’ont fait ça. Et moi dehors, la frontière elle était fermée. Vraiment si je savais la frontière ouverte, avec un grand plaisir j’y vais. Moi vraiment je savais pas tu vois ? En plus c’était le week-end. Et ils m’ont fait rentrer pour ça.

Témoignage de X.

[TW/Avertissement : tentative de suicide]

X. : Écoute, tu vois, moi je suis inconnu, je m’appelle euh… X. Je suis à Montpellier, Montpel. J’ai toute ma famille à Montpellier, j’ai mon oncle, mes tantes, mes cousins, mes cousines. Ils me manquent trop. Mes petits cousins me manquent, mes petites cousines me manquent, mes tantes, mes [???]... Ils me manquent tous, tu vois ? Même pour ils viennent me voir de Montpellier jusqu’à ici à Nîmes ça prend du temps, t’as compris. Moi j’ai mon oncle il a jamais fait l’école. Hier j’ai parlé avec lui au téléphone, je lui dits : « Mets l’adresse sur GPS. » Il me dit : « Je sais pas. » Tu vois c’est quoi ?
Et franchement les habits les gens, y en a ils ont la gale. Tu vois, il y en a qui ont la gale. Par exemple ils prennent les habits à moi, les habits à lui et l’autre, et ils les mélangent ensemble. Comme ça nous aussi on attrape la maladie.
Et ici franchement les gens ils vivent mal, tu vois. On mange mal. Tu vois ce qu’on mange il sort des boutons. Y a des boutons qui sortent du visage des gens. Les gens attrapent des boutons à côté de manger. T’imagines ils donnent un petit sachet de sel, et un petit sachet de poivre.
Et ils nous mettent des cachets. Ils nous mettent des cachets... des cachets... des cachets... Ils mettent trop de cachets dans le manger ! Comme ça nous on reste calmes, tranquilles. Moi j’ai en fait 4 ans et demi de la prison, j’étais toujours motivé, bien. Ici on mange, franchement, je descends fumer une cigarette, après je me sens mal, fatigué. Je m’allonge, je dors k.-o. Et alors que l’habitude je dormais pas. Maintenant je dors k.-o. Ils nous donnent des cachets comme ça nous on reste tranquilles. 4 fois ! T’imagines, normalement les gens ils dorment une fois ou deux. 4 fois c’est juste trop. À un moment donné, ils nous ont hagar ceux-là.

M. : Est-ce que tu veux nous expliquer comment ça se passe quand t’es malade ? Est-ce que t’arrives à voir le médecin, les infirmières, les infirmiers ?

X. : Tu vois quand on est malade ici, quand on est malade, on demande, on appuie sur le bouton, on demande les policiers. C’est les policiers qui nous font monter chez l’infirmière, tu vois ? [Discussions.] Y a mon collègue, mon collègue il a mal. Tu vois mon collègue ils le libèrent pas, il arrive pas à respirer. Et des fois il tape sur les portes. Quand il se met une cigarette, il est mal dans la tête. Lui il tape sur les portes. Et t’à l’heure, il a demandé l’infirmière, il a dit : « Ouai, Madame, moi je suis malade, moi j’arrive pas à respirer, nanana... » Il a dit : « Écoute, la [???] elle est pas là jusqu’à vendredi prochain. » Et alors quand t’es malade normalement ils demandent. Ils demandent pas de regarder est-ce que t’es bien, est-ce que t’es pas bien. Eux ils s’en fout, ils veulent on meurt.
Tu vois comme hier, il y en a un il s’appelle D. Eux tous les jours ils surveillent caméras. Si y a une bagarre ou quoi, ils viennent tout de suite. D., hier, il a mis la corde. Rien il y a une porte, là, ils expulsent la porte : la police elle vient direct il croit est-ce qu’on va casser la porte, il vient direct. D. il a mis la corde, et ils sont pas venus. Les [autres personnes enfermées] sont venues ils l’ont pris par les jambes et ils l’ont fait monter en haut chez l’infirmière. Et après l’infimère ils ont demandé : « Il faut le sortir lui. » On espère ils vont pas le piquer. Il est mal, il a envie de sortir. Il avait 15 ans quand il est venu en France, ça fait 14 ans il est là en France. Il est venu mineur, il avait l’âge de 15 ans. Et lui, t’as compris, il avait des papiers, en plus il a fait asile deux fois. Et lui, il a son père il est malade, son père il est handicapé, il marche avec un fauteuil roulant dehors. Lui, il avait la haine, il avait la haine. Parce qu’il est sorti de la prison, lui il croit il est innocent il va sortir bientôt. Direct, ils l’ont ramené ici, il avait la haine. Tous les jours il parlait de son père : « Ouai mon père il est tout seul, je sais pas comment il fait, y a personne qui l’aide. » Et pour moi il avait la haine, il avait la haine jusqu’à hier. Après il a trouvé une solution, il a dit : « Pourquoi je vais rester ici ? Je vais me suicider. » C’est ça qu’il a fait hier. Et là ils l’ont fait sortir dehors. Ils l’ont fait sortir dehors, chez la psychiatrie, et j’espère qu’ils vont pas le piquer. Parce que les gens qui font ça, ils le piquent direct. Comme ça pour ils se calment.

[Bruits derrière.] Là il va monter chez le médecin mon collègue. Ils sont venus le chercher là.

M. : C’est celui qui avait des problèmes de respiration ?

X. : Ouai, il va monter chez le médecin.

M. : Ok, ok. Est-ce que t’as autre chose à nous dire pour le témoignage ?

X. : Sur le témoignage moi franchement je vais mal ici, hier je suis passé chez la juge, je lui ai dit : « Madame la juge, je suis trop fatigué ici, je mange pas bien, [???] des soucis dans la vie, tout le monde il fait des erreurs. On a même le droit d’avoir une petite chance. » Tu vois ? Je parle avec elle, je lui dis : « S’il vous plaît, ma famille me manque, je voudrais faire le ʿAïd Moubarak avec ma famille. » Et ils m’ont ajouté 28 jours encore ! Et moi le ʿAïd c’est demain, ça veut dire que moi à partir de demain, je vais manger plus, je vais manger plus pendant une semaine jusqu’à que je tombe k.-o. Et eux après ils vont démerder. Moi après je m’en fous, après ils vont me ramener à l’hôpital, le docteur il va me dire : « Pourquoi tu manges pas ? » Je vais dire : « Monsieur, moi ici je mange pas ici bien. Chaque jour ils nous donnent à manger y a des cachets dedans. Moi quand je reviens de manger je dors k.-o. » Tu vois c’est quoi ? Le moral, toujours, j’ai le moral il s’est tombé, le moral.

M. : Courage. Est-ce que tu peux réexpliquer cette histoire de un seul repas [par jour] pendant le ramadan ?

X. : Tu vois, avant, avant le ramadan, avant le mois jusque le ramadan, ils nous ont donné le petit-déjeuner à 8h du matin. Et y a un repas à midi, et y a le repas le soir. Ils nous ont donné 3 repas par jour. Et là, le ramadan, ils nous ont donné un repas par jour, avec une bouteille d’eau. Normalement le ramadan, tu vois, normalement de 4h et demie du matin on mange pas jusqu’à 8h55 du soir. Ils nous ramènent des plats que moi je peux pas les manger. Pendant la journée entière je fais le ramadan, je mange pas, et à la fin que je viens à la table pour que je trouve une chose bonne à manger, je viens je trouve le truc il est pas bon. Tu vois c’est quoi ? Moi je suis allergique, je mange pas. On dit que je vais mourir, eux ils s’en fout est-ce que tu manges ça est-ce que tu manges pas ça. [...] On a parlé avec le chef, le chef qui s’occupe de ça, on a dit : « Ça, ça, ça. » Eux ils s’en foutent. […]

Et en plus, c’était avant-hier, c’était quoi, c’était dimanche, dimanche soir, il y a deux personnes elles se sont échappées d’ici. Tu vois, tellement les gens ils peuvent pas rester ici, ils sont en train de chercher la sortie comme ça. On est tous pareils. Nous aussi au centre [???] on fait rien, on est dedans, on est enfermé. On est dans la cage, comme des oiseaux.

Notes :

[1SPIP : Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Il dépend de l’administration pénitentiaire.

[2OQTF ou « quitte » : Obligation à quitter le territoire français. C’est une décision administrative d’expulsion ordonnée par la préfecture.

[3IRTF : Interdiction de retour sur le territoire français. C’est une décision administrative d’expulsion associée à certaines OQTF. Elle est ordonnée par la préfecture.

[4Forum Réfugiés : une des associations qui travaille dans les CRA et qui théoriquement sont censées aider les personnes enfermées pour leurs démarches juridiques. En réalité, elle travaille aussi avec la PAF.

[5ITF : Interdiction de territoire français. C’est une condamnation au pénal. Elle est décidée par un juge lors d’un procès et non pas par la préfecture.

[6OPJ : Officier de police judiciaire.

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