Quand la presse régionale traque les réfugiés et leurs soutiens dans les Cévennes...

Comment en moins de 10 lignes faire passer des réfugiés pour des terroristes ? C’est la question qu’a récemment tenté de résoudre le journal Midi Libre en publiant un article aussi creux qu’abject sur des familles accueillies dans un village des Cévennes. Au delà du contexte local, ce type d’amalgame est précisément le reflet des politiques actuelles de criminalisation de l’immigration et du mouvement de solidarité avec les exilé.e.s.

Comment en moins de 10 lignes faire passer des familles de réfugiés pour des terroristes ?

Dimanche 21 janvier, un article du Midi libre reprend les gros titres nationaux de l’arrestation d’un présumé terroriste à Bagnols-sur-Cèze. Photo du RAID [1] en tenue d’intervention, discours sécuritaire habituel alarmant, le Gard compterait parmi l’un des départements les plus radicalisé de France, etc. Rien d’exceptionnel pour ce journal invariablement dénué de toute réflexion et de mises en perspectives. En dessous, un encart de quelques lignes est intitulé « La DGSI frappe dans les Cévennes » [2]. Il y est question de deux familles étrangères « en lien avec des entreprises terroristes » et prises en charge par une association locale qui auraient été interrogées par les services de renseignements. Mais comme souvent dans le traitement de l’information dite sécuritaire, le sensationnel l’emporte sur la rigueur.

Si l’article comporte son lot d’imprécisions et d’erreurs, il en demeure également fondamentalement creux et abject [3]. Le journaliste, Fabrice Andrès (connu notamment pour son suivi des enquêtes policières et pour s’être mis à dos bon nombre de militants lors du mouvement social contre la loi Travail à Alès à cause d’articles du même acabit) assimile ainsi, pour le bonheur de son lectorat le plus réactionnaire, deux familles de réfugiés à des terroristes. Faisant fi de toute conscience déontologique, il n’a rencontré ni les familles, ni les membres du collectif de soutien. Il se contente de jeter sur la place publique en huit phrases seulement un amalgame qui peut être lourd en conséquences. Les retombées en terme d’image et d’intégration pour des personnes étrangères, vivant dans un village cévenol de plusieurs centaines d’habitants et où l’anonymat n’existe pas, n’ont ainsi aucune importance ni pour l’auteur, ni la rédaction de ce journal régional [4].

Fabrice Andrès ne se contente pas de dramatiser la situation et s’attaque également aux soutiens des familles. Il cite des propos du préfet du Gard, Didier Lauga, qu’il met en relation avec cette affaire. Ce dernier avertit que les personnes et les associations « qui hébergent des gens fichés, même si on évoque des raisons humanitaires, […] sont aussi susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires ». Les bénévoles sont donc ainsi criminalisés tout comme les réfugiés. Quel est le but de ce genre d’invective si ce n’est de susciter la suspicion et instaurer la peur chez les personnes solidaires des réfugiés ?

Comment instrumentaliser la peur de l’immigration à des fins sécuritaires ?

La « crise migratoire » et la recrudescence des attentats alimentent depuis quelques années déjà une propagande gouvernementale largement relayée par de nombreux médias qui joue sur la stigmatisation des populations immigrées. Celle-ci laisse dangereusement croire à l’existence d’un lien entre immigration et terrorisme, et s’accompagne dans les faits par des mesures répressives.

L’attentat du 14 juillet 2016 à Nice avait par exemple justifié le déploiement de troupes militaires dans la vallée de la Roya. Si celles-ci ont officiellement été dépêchées pour lutter contre le terrorisme, elles ont en réalité servi à pourchasser les exilés tentant de traverser la frontière franco-italienne. L’attentat du 1er octobre 2017 à Marseille – dont l’auteur de nationalité étrangère ne possédait pas de titre de séjour – a quant à lui permis au ministre de l’intérieur de donner une instruction à ses préfets afin d’enfermer un maximum de personnes en situation irrégulière. Cette pression s’est immédiatement traduite par une hausse sans précédent du nombre de personnes placées en rétention [5].

Plus largement, ce type d’amalgame est précisément le reflet des politiques actuelles de criminalisation de l’immigration. La loi sur la sécurité intérieure entrée en vigueur le 30 octobre 2017, les circulaires adressées aux préfets par le ministre de l’intérieur les 20 novembre, 4 et 12 décembre 2017, et le projet de loi sur l’immigration de 2018 comptent parmi les dernières orientations sécuritaires du gouvernement français. Celles-ci viennent toutes intensifier le contrôle, l’enfermement et l’expulsion des personnes issues de l’immigration [6].

Parallèlement à ces mesures, le mouvement de solidarité venant en aide aux exilés se voit également dénigré et menacé. Que ce soit à travers la répression et les poursuites judiciaires des personnes solidaires notamment présentes à la frontière, le refus de prendre en considération les revendications d’une très large partie des acteurs concernés, ou les prises de positions du gouvernement. La récente déclaration du chef de l’état, qui met en doute la réalité des violences policières et le harcèlement des exilés dans le Calaisis ou à Paris et fustige les associations les dénonçant, en est un parfait exemple. Celle du ministre de l’intérieur dépêché à Calais qui attribue la responsabilité de « graves troubles à l’ordre public » à certaines structures d’aide aux migrants organisant des distributions de repas est tout bonnement ahurissante [7].

Avec cet article, le journaliste Fabrice Andrès et en conséquence la rédaction peu regardante du Midi Libre se rangent pleinement dans la veine sécuritaire actuelle. Ce type d’attaque s’insère dans une politique exercée par la plupart des états européens et propagée par de nombreux médias. Face à des assimilations aussi inacceptables que révoltantes entre réfugiés et terroristes, face à la criminalisation et la stigmatisation d’une large partie de la population, il convient d’apporter des réponses aussi fortes que collectives. Aucune terreur d’état ne peut entraver les solidarités avec les exilé.e.s.

Notes :

[1Recherche Assistance Intervention Dissuasion : le RAID a pour mission de lutter contre le grand banditisme, la criminalité organisée et le terrorisme.

[2Direction Générale de la Sécurité Intérieure.

[3Les faits se limitent à une convocation libre en tant que témoin des membres de l’une des familles pour une affaire concernant un parent décédé et dont elle n’a plus eu de nouvelles depuis 5 années. L’autre famille n’a aucun lien avec cette affaire et n’a fait l’objet d’aucune convocation...

[4Les nationalités des familles, nom du village et de l’association sont cités explicitement.

[7Dans son discours du 16 janvier à Calais, le chef de l’état s’en était pris aux associations qui « encouragent ces femmes et ces hommes à rester là, à s’installer dans l’illégalité, voire à passer clandestinement de l’autre côté de la frontière ». Le 1er février dans la même ville, c’est au tour du ministre de l’intérieur de fustiger le rôle de certaines structures d’aide aux migrants, qui organisent des distributions de repas plusieurs fois par jour. « J’appelle les associations, et notamment celles qui ont refusé de rencontrer le président de la République à Calais, je les appelle à réfléchir sur ce qui s’est passé ce soir, a-t-il déclaré. Ce qui s’est produit confirme une fois de plus ce que nous disions : ce type d’attroupement mène à de graves troubles à l’ordre public. » (sources : Le Figaro – 2 février 2018)

PS :

Article initialement publié sur https://cevennessansfrontieres.noblogs.org

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