6h00 du matin, le soleil n’est pas encore levé sur le bocage du nord Deux-Sèvres. Une douzaine de tracteurs se met à ronfler doucement. Les chaufeur.euse.s se sont levé.e.s tôt pour se mettre en route et être sûr.e.s d’être arrivé.e.s pour le banquet paysan à midi. Il.elle.s étaient parti.e.s la veille depuis St Colomban en Loire Atlantique. Le convoi s’étire sur la départementale accompagné d’un vélo et quelques véhicules supplémentaires. Le rythme est lent et constant. La traversée des villages suscite l’interrogation des riverains. Chaque pause, permettant de laisser passer le bouchon qui se forme derrière le convoi, nous conforte dans notre détermination et notre confiance dans l’opération. L’arrivée sur Niort se fait sans tracas d’abord par un bout de quatre-voies où les tracteurs se déploient sur toute la largeur, puis par des rues plus étroites, en rang serré. Nous arrivons place de la Brêche à 11h en avance, satisfait.e.s. Nous terminons notre route par un tour de place, banderole et drapeaux flottant au vent, klaxon et sirènes tonitruantes.
Les stands d’information des associations posent leurs tables sur la pelouse. Les cantines militantes les rejoignent et préparent le banquet paysan. Habitant.e.s, paysan.e.s, et militant.e.s remplissent peu à peu l’espace. Le moment est convivial et festif. Le déjeuner est accompagné d’un groupe musical qui à pris place sur une remorque d’un tracteur. La Zbeulinette nantaise est là et sert de scène aux prises de paroles des différentes organisations présentes. Sa banderole "Rage Against The Bassines" traduit bien la détermination de tou.te.s les présent.e.s sur la place. Comme prévu vers 14h l’annonce de la manif’action est donnée ; la destination reste secrète. Chacun.e rejoint son véhicule et le convoi démarre sous l’œil des renseignements territoriaux et de l’hélicoptère de la gendarmerie. Un long convoi se met en route, tracteurs en tête. Ils sont désormais une vingtaine rejoints par ceux qui arrivaient du sud.
Le cortège motorisé et à vélo traverse le centre ville en se dirigeant vers le rond point des gilets jaunes à la sortie de Niort. Le convoi est maintenant très long. Plus d’une centaine de véhicule emprunte maintenant la quatre-voies en direction de La Rochelle, toujours sous la surveillance de l’hélico qui ne nous quittera pas de la journée. La vitesse est calée sur celle des tracteurs qui nous indique la route. Après quelques kilomètres nous sortons de la nationale pour emprunter une départementale puis des chemins de plus en plus étroits. La direction se précise, une pancarte indique Mauzé sur le Mignon.
Nous atteignons enfin notre but. Le convoi s’arrête progressivement le long d’un chemin de campagne entouré d’immense champ de maïs et tournesol. Le chantier du cratère de Mauzé est tout proche, juste derrière la haie. Tout le monde sort des véhicules et s’équipe (banderoles, outils, protections, déguisements...) Quelques grilles tombent, tracteurs et activistes pénètrent rapidement sur le site et s’élancent vers les engins encore en service. Tractopelles et bulldozers sont contraints de reculer et de s’abriter dans un coin du chantier derrière un cordon de gardes-mobiles (GM). L’ensemble des militant.e.s s’installe sur le site appuyé.e.s par un troupeau de brebis et de quelques chèvres qui prennent d’assaut les GM circonspects.
La situation stagne. Le site est immense. Même les 600 manifestant.e.s sont comme un moustique sur le dos d’un ogre. Le cratère est apocalyptique. Le chantier a démarré depuis une quinzaine de jours. Les engins ont déjà gratté l’ensemble du site, et excavé une partie du cratère. Pas un brin d’herbe ou de végétation n’a subsisté. Le sol est lunaire, talus de cailloux, sol de pierrailles. Les syndicats et organisations prennent la parole au micro et prennent la pose pour la photo alors qu’un goûter est apporté sur le site.
Pendant ce temps, les activistes les plus déterminé.e.s se dirigent vers une pelleteuse oubliée au milieu du cratère. Elle devient vite la cible d’un concours de lancer de projectiles de peinture. D’abord simplement redécorée elle est rapidement "désarmée", des durites disparaissent, la cabine de pilotage est murée de rochers, le réservoir de carburant agrémenté d’un additif. Une consigne avait circulé "on ne la brûle pas aujourd’hui, on verra la prochaine fois..." elle a été respectée...
Sans doute étourdis par le soleil qui tape fort, les GM décident de récupérer la pelleteuse. Un détachement d’une vingtaine de playmobils, en sueur, se dirigent vers nous, non casqués, au milieu d’un champ de cailloux. La réaction est immédiate, une banderole renforcée et un groupe déterminé va à leur rencontre pour les empêcher de passer au cri de "la pelleteuse elle est à qui ? elle est à nous !". Les bleus sont vites arrêtés puis encerclés par d’autre manifestant.e.s. Heureusement pour eux, les pierres restent au sol. Ils sont loin de leurs renforts et décident de se replier en catastrophe, ils trébuchent, tombent, reculent dans la confusion. Ils rejoignent le reste du détachement sous les quolibets.
La satisfaction est palpable, les sourires sur les visages. Nous sommes maître.esse.s du terrain. Les corps se mettent à danser au son de la sono poussée à fond. Le moment du départ est annoncé. Nous ressortons du chantier groupé.e.s en cortège avec les tracteurs et le troupeau. Une fois rejoint les véhicules, nous nous remettons en route pour rejoindre la soirée qui nous attend pour célébrer la victoire dans une ferme amie en bordure du Marais Poitevin.
Le moment est venu de nous féliciter. Bassines Non Merci se réjouit avant tout de cette victoire car le chantier s’est enfin arrêté pour la première fois. Les riverain.e.s se sentaient impuissant.e.s, coincé.e.s derrière les grilles du chantiers, les engins hors d’atteinte. Ce combat amorcé depuis longtemps sur le terrain local, a trouvé un écho plus large grâce aux soulèvements de la terre Cette victoire a été rendue possible par l’alliance entre syndicats, associations citoyennes, et activistes déterminé.e.s. Même si cela a pu susciter des frictions, la diversité des tactiques a été respectée. Cette convergence et manif’action a nécessité beaucoup de forces qui sont parfois restées dans l’ombre mais sont néanmoins indispensable : cantines et réseaux de ravitaillement, legal team, équipe com...
Si cette première bataille a été gagnée il faut rester réaliste. Le chantier a repris dès le lendemain. La guerre de l’eau ne fait que commencer et va être longue. Le modèle agricole et social des méga-bassines s’accapare la ressource en eau au profit de quelques gros agriculteurs industriels, au détriment d’une agriculture paysanne et des populations locales. Il est massivement porté par la FNSEA et soutenu sans réserve par le gouvernement. Il dispose de moyens disproportionnés. La semaine dernière nous nous sommes levé.e.s et nous nous sommes battu.e.s dans les Deux-Sèvres contre cette "rampe de lancement" qui veut servir d’exemple pour le reste de la France.