Et donc, il convient de souligner d’emblée la nature prolétarienne de ce mouvement contre toute tentative de le falsifier en le qualifiant d’« émeutes raciales » ou de mouvement réformiste de partisans du Parti démocrate ou contrôlé par George Soros.
Ce mouvement n’est pas la première explosion massive de rage contre la violence meurtrière que les forces de répression de l’État capitaliste mondial sur le territoire des États-Unis commettent contre « leurs » prolétaires ; répression qui cible de façon disproportionnée les prolétaires qui sont racialement « noirs » ou « basanés ». En fait, les meurtres de jeunes prolétaires « noirs » par des porcs en uniforme ont récemment provoqué au moins deux grandes vagues d’agitation (des semaines d’émeutes et de pillages dans la région de Ferguson et de Saint-Louis en 2014 ainsi que dans la région de Baltimore en 2015, ainsi que des actions de solidarité dans d’autres villes).
Ce mouvement est cependant sans précédent à bien des égards devant la réalité crue : des sacs mortuaires noirs empilés des victimes du Covid-19 (et de plein d’autres problèmes sanitaires que les hôpitaux débordés n’ont pas pu gérer), l’aliénation débilitante de la quarantaine, la montée en flèche du chômage, le nouveau « plan de relance » cynique de plusieurs milliards de dollars apportant des fonds à la bourgeoisie et des miettes aux prolétaires. Tout cela, ajouté à des années de brutalité policière, a créé un mélange explosif qui a pris feu lorsque les images du meurtre de George Floyd sont devenues virales sur Internet. Et quand ça a finalement explosé, tout le monde s’est senti concerné. Toutes les séparations fondées sur la race, imposées à notre classe par la société bourgeoise, ont été sérieusement ébranlées pour la première fois depuis longtemps sur le sol américain.
A Minneapolis, des prolétaires « blancs » ont rejoint leurs frères et sœurs de classe « noirs » dans de violents affrontements avec la police. Ensemble, ils ont mis le feu au commissariat de police du 3ème district de Minneapolis, ensemble ils ont tabassé des flics et, ensemble, ils ont exproprié des marchandises et détruit le « saint business ». Les chauffeurs de bus de Minneapolis ont également fait un énorme bras d’honneur aux porcs, lorsqu’ils ont refusé de transporter les manifestants arrêtés. Mais écoutons le récit de nos ennemis de classe – les médias bourgeois – et savourons leur panique ! Voici ce qu’en dit un journal de Minneapolis, le Star Tribune :
« Dans les premiers jours qui ont suivi la mort de George Floyd par la police de Minneapolis, des émeutiers ont ravagé en guise de représailles des zones densément peuplées de Minneapolis, de Saint-Paul et d’autres quartiers métropolitains, causant des millions de dollars de dommages matériels dans plus de 1 500 endroits.
Dans leur sillage, les vandales ont laissé une traînée de portes et de fenêtres brisées, ils ont recouvert de graffitis des centaines de commerces aux accès condamnés et ont mis le feu à près de 150 bâtiments, dont des dizaines ont été réduits en cendres. Des pharmacies, des épiceries, des magasins de spiritueux, des bureaux de tabac et des boutiques de téléphonie mobile ont été saccagés, perdant des milliers de dollars en marchandises volées. Nombre d’entre eux ont été pillés à plusieurs reprises pendant plusieurs nuits consécutives.
D’autres biens – comme des stations d’essence, des restaurants et même des voitures garées – ont été incendiés, et la plupart ont été complètement détruits. »
Les médias bourgeois aux États-Unis et dans le monde entier répéteront plus tard une version similaire de ce discours effrayant – et pour cause !
Alors que le mouvement s’est rapidement étendu à d’autres villes et régions, son orientation militante a persisté. Les bâtiments attaqués comprenaient le siège de CNN à Atlanta, qui abrite également un commissariat de la police d’Atlanta, de nombreuses agences bancaires, des rues commerçantes du centre-ville, des restaurants, des hôtels de ville et même des hôtels particuliers de maires et de gouverneurs. Des voitures de police ont été systématiquement démolies et incendiées. Le choix des cibles confirme une fois de plus la nature de classe de ce soulèvement : on se concentre sur les infrastructures de l’État, sur les symboles de l’accumulation capitaliste, les sources de marchandises à piller et à redistribuer entre camarades, en plus de porter la lutte dans la « sphère privée » des représentants de l’État bourgeois. Le choix des cibles établit également un parallèle avec les mouvements de classe actuels ou antérieurs dans d’autres parties du monde : en Irak, au Liban, en Égypte, en Grèce, au Chili, en France, etc. Et une vague d’agitation a surgi dans le monde entier en solidarité avec le mouvement aux États-Unis, tout en s’attaquant aux séparations bourgeoises racistes chez soi : en France, au Royaume-Uni, au Brésil, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Mexique…
Alors que le mouvement s’étendait à d’autres villes, il a soulevé le problème d’autres meurtres racistes commis par la police, ainsi que d’autres questions comme la résistance aux saisies et aux expulsions, la gentrification des villes, la lutte du personnel médical et autres « travailleurs essentiels » pendant la pandémie de Covid-19, etc.
Il faut aussi ajouter que bien que le mouvement ait atteint une qualité insurrectionnelle limitée dans ses expressions les plus militantes – en attaquant directement l’infrastructure du pouvoir d’État, en expropriant des marchandises et en les redistribuant de manière organique, en appréhendant la question des armes, etc. – il est néanmoins resté dans son ensemble enfermé dans son principe initial de manifestations de rue contre les brutalités policières envers les prolétaires « noirs » en particulier (les victimes « non-noires » des violences policières sont rarement mentionnées) et de confrontation avec une police bien préparée. Nous avons vu et critiqué maintes fois des limites similaires lors d’autres expressions récentes du mouvement de classe comme les manifestations des « Gilets jaunes », le mouvement à Hong-Kong, etc. Ce que nous considérons comme l’un des aspects communs de ces mouvements est l’apparente contradiction entre leur continuité militante conflictuelle (que nous considérons en fait comme l’une de leurs forces) et l’absence de toute avancée programmatique et stratégique ou d’un saut qualitatif.
Comme dans d’autres mouvements de classe d’une telle intensité, nous voyons l’émergence de groupes affinitaires qui sont capables de proposer l’organisation de tâches pratiques importantes comme la logistique des manifestations, la distribution de nourriture, la planification des attaques contre les forces de répression, l’organisation de la défense armée, etc. Ce qui est également visible, c’est une vague d’énergie nouvelle apportée par ce mouvement aux structures révolutionnaires préexistantes qui tentent de saisir la dynamique du mouvement, d’y participer et de lui donner une orientation programmatique.
Reste à savoir quelles leçons programmatiques, tactiques et organisationnelles seront tirées de cette interaction. Rappelons que nous ne croyons pas que des structures communistes révolutionnaires « achevées » puissent apparaitre comme par magie au sein d’un quelconque mouvement de protestation prolétarien, des structures qui seraient prêtes à mener l’assaut contre la totalité de la société capitaliste mondiale dans une unité dialectique des moyens tactiques et programmatiques. Historiquement, ces structures ont toujours été plutôt le produit du processus de partage des expériences de lutte, des discussions et des ruptures organisationnelles se déroulant à l’intérieur et à l’extérieur des structures militantes préexistantes comme des structures ponctuelles.
L’ANTIRACISME – LE PIRE PRODUIT DU RACISME
Bien sûr, comme toujours, les forces de la social-démocratie – l’organisation bourgeoise à destination des prolétaires – ont appelé à livrer bataille. Une armée de pacifistes libéraux et de gauche – y compris l’organisation officielle Black Lives Matter – est venue pour calmer et apaiser les manifestants et transformer le mouvement en une nouvelle mascarade impuissante. Ils se sont immédiatement mis au travail afin de masquer la nature de classe du mouvement, de mettre l’accent sur la « solidarité noire » interclassiste, de réduire au silence les militants de classe et de les dénoncer à la police. En même temps, les « nationalistes noirs » comme la Nation of Islam, le New Black Panther Party et surtout la milice NFAC (Not Fucking Around Coalition – La Coalition Qui Ne Plaisante Pas) tentent de dominer le mouvement, de le présenter comme une question de « noir contre blanc », et de coopter et militariser sous leur propre direction ses expressions armées qui se sont développées organiquement.
Afin d’usurper une certaine crédibilité, ils ont enrôlé une pléthore de vétérans issus de ce qu’on appelle le « Mouvement des droits civiques » et du mouvement Ferguson – en utilisant la vieille tactique de la social-démocratie historique consistant à parader derrière des militants du passé, récupérés et édentés.
Il en a résulté que, jusqu’à la résurgence de la tactique de confrontation après que des porcs aient mutilé Jacob Blake à Kenosha, dans le Wisconsin, le visage militant du mouvement s’était à peu près limité à plusieurs localités comme Seattle, Portland et Chicago, tandis que la majorité du mouvement était canalisée dans des marches fatigantes vers nulle part, des discours interminables de militants d’ONG et des expressions artistiques d’identités positives. Ces sociaux-démocrates ont également réussi à exploiter les faiblesses présentes dans le mouvement et à s’en servir comme d’une arme : l’identité raciale et l’idéologie intériorisée de la « culpabilité blanche ». Selon les nombreux témoignages de camarades engagés dans le mouvement, il est fréquent, dans les assemblées publiques du mouvement, que les intervenants les plus crétins et réformistes, s’ils se trouvent être « noirs », soient capables de faire taire la critique radicale, s’il se trouve que ça vient d’une personne « blanche ».
Selon ces camarades, il existe également un niveau de méfiance à l’égard des « personnes extérieures » (les « outsiders »). Dans le contexte de ce mouvement, l’aspect racial joue bien sûr un rôle dans le fait de savoir qui est considéré comme un « outsider ». C’est en partie à cause des récits propagandistes – inventés par les médias bourgeois et répétés par les gauchistes – selon lesquels la destruction de la propriété privée et le pillage des marchandises (qui sont des expressions pratiques de la subjectivité de classe ainsi qu’une nécessité dans toute lutte prolétarienne) relèveraient en fait de la responsabilité des groupes « suprématistes blancs ».
Il est vrai que certains groupes d’extrême droite « accélérationnistes » ont essayé d’utiliser les manifestations pour exacerber la confrontation armée, soit en attaquant les manifestants, soit en se mêlant à eux et en tirant sur les flics. Selon l’idéologie de ces rêveurs réactionnaires, cela provoquera une riposte encore plus violente de la part du gouvernement et discréditera également le mouvement aux yeux de la soi-disant « majorité silencieuse » (majoritairement « blanche »), qu’ils supposent être intrinsèquement raciste et conservatrice. Cela devrait servir d’étincelle pour déclencher une nouvelle guerre civile.
Cet aventurisme d’extrême droite relativement marginal a été monté en épingle par la gauche et, dans « la meilleure tradition » du front uni antifasciste, utilisé pour dénoncer toute expression d’une critique de classe pratique de la réalité sociale capitaliste comme étant une provocation fasciste. La même stratégie est utilisée par exemple par la « Bolibourgeoisie » au Venezuela (et par ses alliés dans le monde entier) qui accuse les prolétaires participant à des grèves, à des affrontements avec les flics et des unités de l’armée, et aux pillages, etc. d’appartenir à la clique « néolibérale » des partisans de Juan Guaido.
Nous avons pu constater l’impact pratique de ce modelage idéologique sur le terrain, lorsque des militants qui avaient outrepassé les limites démocratiques établies par les groupes d’autodéfense contre-insurrectionnels « noirs » ont été dénoncés ou même remis à la police par ceux-ci et que personne ne s’est proposé de les protéger. Si en plus il se trouve qu’ils étaient « blancs », cela était justifié par le fait qu’il s’agissait de dénoncer des « infiltrés suprématistes blancs ».
Il existe également une théorie, implicitement acceptée par une grande partie de ce mouvement, selon laquelle le sujet révolutionnaire est ici « le peuple noir » ou « le prolétariat noir » dont le programme révolutionnaire est l’abolition du « capitalisme racial », et le rôle des « blancs » est réduit à celui d’« alliés » – pour « soutenir la lutte des Noirs ». Mais en réalité, il n’existe qu’un seul capitalisme mondial, indépendamment de toute caractéristique formelle superficielle qu’il pourrait prendre aux États-Unis ou dans une autre région, et la seule façon de l’abolir passe par l’action révolutionnaire du prolétariat mondial unifié. Toute fragmentation basée sur des caractéristiques sociologiques comme « la race », « l’appartenance ethnique », « le genre », « la nationalité », « la sexualité », etc. ne conduit qu’à la division de nos forces de classe et cela permet à la social-démocratie de coopter et de canaliser le mouvement vers le réformisme et la collaboration interclassiste. Les militants prolétariens « blancs » doivent se révolter avant tout (et essentiellement) contre leur propre existence misérable dans la réalité capitaliste, contre l’exploitation et l’aliénation, contre la violence de l’État qui les tue, tout en pratiquant – organiquement et indissociablement – la véritable solidarité militante internationaliste avec les prolétaires d’autres « races » (par opposition au simple spectacle de la solidarité demandé par les réformistes).
A un autre niveau, « l’agitateur extérieur » est une vieille construction idéologique qui tire sa force d’un manque de conscience de classe (le prolétariat en tant que classe unie par les mêmes intérêts, indépendamment du lieu et de la manière dont les prolétaires individuels vivent ou travaillent) et d’un manque d’internationalisme dans le prolétariat. Les forces contre-révolutionnaires l’utilisent et en profitent pour briser l’émergence de l’associationnisme prolétarien, pour cibler les minorités militantes qui essayent de donner une direction à la lutte, de clarifier les cibles et d’organiser les tâches insurrectionnelles. Soulignons ici que les communistes refusent totalement toute construction bourgeoise qui proclamerait l’existence de minorités militantes en tant qu’entités séparées de la classe, tant dans le sens négatif de l’« agitateur » mentionné ci-dessus que dans le sens positif léniniste d’un cadre d’« experts révolutionnaires », apportant « la conscience politique aux masses prolétariennes ». Les communistes n’ont pas d’objectifs différents des objectifs historiques du reste de la classe : l’abolition de la société de classe reposant sur l’exploitation du travail humain et la création d’une communauté humaine mondiale sans classe !
Si nous voulons comprendre pleinement l’aspect racial spécifiquement américain de la stratégie bourgeoise globale de division et de conquête, nous devons jeter un rapide coup d’œil sur ses racines historiques. Comme on le sait, la colonisation européenne des Amériques repose en gros sur trois déplacements massifs de population. Tout d’abord, un nombre relativement restreint de conquistadors et de colons européens bien armés ont dépeuplé la terre des indigènes par les maladies et la violence. Dans le même temps, des Africains ont été capturés, vendus et transportés vers les Amériques pour servir de main-d’œuvre esclave dans les plantations de cultures de rente comme le coton, le tabac et le sucre. Une terreur aussi brutale n’a bien sûr pas été sans résistance et sans violentes rébellions d’esclaves. Parmi celles-ci, la plus connue est bien sûr « la révolution haïtienne », mais il y a eu d’autres soulèvements importants : dans le nord-est du Brésil, dans le sud des États-Unis, à Trinidad…
Avec le développement du capitalisme et la propagation des rapports sociaux capitalistes par le biais de ladite « révolution industrielle » sur le territoire des États-Unis d’aujourd’hui (et des Amériques en général), le travail salarié – de celui qui pouvait être licencié et embauché librement par le capitaliste – est devenu la forme de plus en plus dominante d’extraction de la valeur. Ceci était étroitement lié aux derniers grands changements démographiques en Amérique – une vague d’immigration massive en provenance d’Europe : les paysans dépossédés de leur terre par l’accumulation primitive du Capital (par exemple les enclosures en Irlande et en Ecosse ou la réforme agraire en Galice autrichienne) ou les travailleurs représentant soudainement une main-d’œuvre excédentaire en raison de la crise dans un pôle d’accumulation du Capital (par exemple l’exode de Naples après l’unification italienne). Ce n’est que dans les régions tropicales, comme le Sud des États-Unis, avec plusieurs récoltes par an, qu’un système économique basé sur la propriété d’esclaves pouvait rester compétitif. Dans le Nord des États-Unis, ce fait a servi de base matérielle à l’abolition en droit complète de l’esclavage.
La fraction nordiste du Capital, victorieuse de la guerre de Sécession et poussée par le militantisme abolitionniste, s’est débarrassée de l’anachronisme de l’esclavagisme sudiste et, ce faisant, a prolétarisé les anciens esclaves « noirs » et libéré leur force de travail pour les besoins de l’industrie nordiste en plein essor.
L’économie du Sud est restée tributaire de la production de coton qui, de son côté, l’était tout autant du travail des anciens esclaves, qui ont été libérés sans argent ni terre et n’ont donc eu d’autre choix que de continuer à travailler pour leurs anciens maîtres ou d’émigrer. Il était également crucial pour la classe dirigeante sudiste d’empêcher la solidarité de classe entre les prolétaires « noirs » et « blancs » – l’exploitation et la consolidation des divisions existantes dans notre classe ont toujours été l’une des principales armes de la bourgeoisie contre nous. Le système de servitude pour dettes et les lois sur le « vagabondage » ont été créés pour maintenir les anciens esclaves « noirs » liés à la plantation. Dans le même temps, un système de séparation et de hiérarchie basé sur la race a été créé au sein de notre classe, qui est encore reproduit socialement de nos jours.
Par la suite, le fait que son camarade « noir » se soit davantage fait niqué, vivant dans des conditions pires et subissant une plus grande répression de l’État, est devenu une partie importante du mécanisme d’intégration du prolétaire « blanc » dans le projet démocratique bourgeois, dans la participation à la gestion de sa propre misère et de son exploitation. Cela a permis à la partie « blanche » racialisée de la force de travail d’intérioriser l’idéologie de la suprématie blanche et de privilégier les considérations raciales au détriment du potentiel de solidarité de classe.
Avec la « conjoncture économique » de l’après Seconde Guerre Mondiale, le « rêve américain » est devenu la version la plus réussie et la plus prolifique de l’idéologie qui fabrique l’existence (et se revendique) de la « classe moyenne ». Une idéologie qui a depuis été reproduite dans le monde entier, afin de falsifier et de cacher le rapport antagoniste essentiel de la société capitaliste, c’est-à-dire la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. L’idéologie de la classe moyenne mélange pêle-mêle les couches inférieures de la bourgeoisie (les petits propriétaires) avec les couches de travailleurs hautement qualifiés et « créatifs » et les niveaux inférieurs de la gestion et de la bureaucratie d’État. En échange de leur pacifisme et de leur fidélité envers l’ordre bourgeois, ils sont récompensés par un « statut social ». Dans la réalité des États-Unis, cette construction idéologique bénéficiait d’une qualité supplémentaire primordiale : la peau blanche. Tout « travailleur valeureux (grâce à l’adoption généralisée du travail à la pièce et à beaucoup de propagande patriotique, les États-Unis ont réussi à créer leur propre équivalent du mouvement stakhanoviste), obéissant et BLANC » pouvait rêver d’atteindre ce statut et les signes extérieurs de richesse qui en résultent comme une maison en banlieue, une voiture personnelle, etc. Il va sans dire que cela a également été possible grâce à l’apparition, après la Seconde Guerre Mondiale, du crédit bon marché et largement accessible, car les salaires seuls ne suffisaient généralement pas pour permettre cela.
Cette configuration a été remise en question par ce qu’on appelle le « Mouvement des droits civiques », qui a débuté en réponse à l’oppression quotidienne, aux terribles conditions de vie des prolétaires « noirs » et à la violence de l’État – et qui en soi faisait partie d’une vague plus large de lutte des classes aux États-Unis et dans le monde entier. Pour canaliser une fois de plus l’activité subversive du prolétariat en lutte et pacifier sa rage, la social-démocratie aux Etats-Unis a dû redistribuer les cartes et essayer d’intégrer les « noirs » dans le contrat social bourgeois. Cela engendra l’apparition de toutes sortes de militants professionnels noirs : les « dirigeants du mouvement des droits civiques », les groupes trotskystes et maoïstes « dirigés par des Noirs », les groupements religieux « noirs » politiquement engagés, la Nation of Islam, etc. Ceux-ci sont devenus à leur tour une base pour les ONG « noires », les « universitaires radicaux noirs » et les « artistes radicaux » d’aujourd’hui, chargés par l’État de gérer la distribution des miettes de pain de la table bourgeoise aux prolétaires « noirs » et de les empoisonner avec une identité raciale positive afin de diviser notre classe selon des critères raciaux (allant ainsi de pair avec les groupes racistes « blancs »).
En substance, la séparation raciale aux États-Unis sert le même objectif de mobilisation des prolétaires pour défendre les intérêts de leur « propre » fraction de la bourgeoisie que le nationalisme à l’échelle mondiale. L’avantage spécifique (pour notre ennemi de classe bien sûr) du système américain de division raciale, c’est le maintien d’une hiérarchie claire entre les prolétaires « noirs » et « blancs ». Il n’est pas étonnant que cela se soit traduit historiquement par un alignement politique international naturel des « suprématistes blancs » avec les mouvements réactionnaires nostalgiques de la « grandeur impériale » de leur nation, et des « nationalistes noirs » avec le front « anti-impérialiste » et de « libération nationale ».
En 2020 donc, nous pouvons voir ce duo – qui s’oppose formellement sur le plan idéologique – une fois de plus à l’œuvre, occupé à essayer de canaliser et d’aider à la répression étatique du plus grand mouvement prolétarien militant sur le territoire des États-Unis au cours des cinquante dernières années et à essayer d’empêcher ou de tuer toute convergence possible avec d’autres luttes. Ce faux choix idéologique a bien sûr été pleinement exploité par les machines de propagande adverses des partis républicain et démocrate et par leurs médias, qui valent des milliards de dollars.
Malheureusement, cela a été plutôt efficace et en novembre 2020, presque tout le mouvement a été coopté dans l’anti-Trumpisme et l’antifascisme.
AU-DELA DU NOIR ET BLANC : LA FLAMME ROUGE DE L’INSURRECTION PROLETARIENNE MONDIALE
Mais tout n’est pas perdu pour autant. Malgré la répression brutale de l’État et la canalisation partisane de l’énergie du mouvement pour soutenir les Démocrates dans le processus électoral, son courant prolétarien militant a réussi à se regrouper et à trouver de nouvelles expressions. Cela se manifeste par exemple par la poursuite des manifestations de rue dénonçant à la fois les deux partis politiques et leurs dirigeants, ainsi que le concept de politique bourgeoise en tant que tel, et culminant souvent par des attaques contre des biens des deux partis.
La réalité de la crise économique, dévoilée et aggravée par les effets de la pandémie, a conduit à un grand nombre d’expulsions et de saisies de biens immobiliers par les banques partout aux États-Unis. Cela a créé un mouvement de résistance prolétarienne : squats et occupations de maisons, de bâtiments publics, de terrains ; confrontation avec la police et avec les compagnies de fourniture d’énergie qui viennent couper les services ; occupations ou saccages de mairies et de bâtiments de sociétés de logements ; création de réseaux d’entraide pour distribuer la nourriture, le carburant et les fournitures médicales. Des grèves sauvages ont balayé Amazon et des entreprises de livraison jugées « essentielles », qui ont imposé à leurs travailleurs des niveaux d’exploitation extrêmes afin de livrer les marchandises, et les ont ainsi exposés au Covid-19 sans protection. Des mutineries et des grèves ont également frappé le complexe industriel pénitentiaire. La résistance aux déportations de familles d’immigrants et à l’ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement – agence chargée de gérer les centres de détention d’immigrants) se poursuit également. Toutes ces luttes contre les autres visages de la dictature du Capital sur le sol américain ont toujours existé au second plan, partiellement éclipsées par la lumière vive du mouvement contre les aspects les plus directs de la brutalité de l’Etat. Aujourd’hui, ces mouvements se manifestent davantage sur le champ de bataille de classe aux États-Unis et des liens militants rassemblent les éléments les plus radicaux de toutes ces luttes, donnant naissance à une véritable communauté de lutte !
Les contradictions sociales qui ont donné naissance à cette vague de lutte ne vont pas disparaître – en fait, elles sont inhérentes au capitalisme. Comme nous l’avons souligné dans notre texte « Les luttes de classe en temps de pandémie », la profonde crise structurelle de valorisation du Capital révélée par la pandémie de Covid-19 ne peut pas être facilement résolue par les mesures adoptées par la bourgeoisie dans le passé. Elle tentera de la résoudre, mais de la seule manière qu’elle connaisse – en répétant à nouveau le cycle de l’exploitation. Cela entraînera inévitablement plus de misère et d’aliénation pour le prolétariat, plus de tentatives de l’État de nous dresser les uns contre les autres, plus de surveillance de l’État et de violence policière – plus de prolétaires « noirs », « basanés » et « blancs » assassinés, plus de maladies et une catastrophe climatique à venir.
En tant que communistes, nous voulons souligner ce que nous considérons comme essentiel à la généralisation de la prochaine vague de la lutte de classe prolétarienne sur le territoire des États-Unis et dans le monde, pour approfondir ses ruptures avec la société capitaliste et pour clarifier sa direction vers la communauté humaine mondiale. Ce ne sont pas là des idéaux imaginés par des « experts en théorie révolutionnaire », mais les éléments les plus avancés de la négation du Capital et de son État, aussi mineurs soient-ils, que nous pouvons reconnaître dans le mouvement prolétarien aux États-Unis d’aujourd’hui. Nous reconnaissons également qu’il est de notre devoir de renforcer et de clarifier ces expressions du mouvement communiste historique contre les tentatives de la social-démocratie historique de les canaliser dans l’antiracisme bourgeois, le soutien du processus électoral, les réformes de la police, etc.
Nous soutenons et revendiquons en tant que partie du projet révolutionnaire de notre classe :
• Les attaques coordonnées et systématiques contre les commissariats de police, les mairies, les QG des médias, les maisons des politiciens…
• L’abolition pratique, consciente et directe des séparations sociales selon des critères raciaux – les prolétaires « noirs » et « basanés » et « blancs » se battent et risquent leur vie ensemble, ils discutent et partagent leurs expériences…
• Le rejet de la politique bourgeoise avec ses élections, ses partis, ses syndicats, ses ONG…
• Le fait d’assumer la question de la violence armée pour défendre le mouvement contre la violence de l’État (violence gouvernementale aussi bien que paramilitaire) et pour s’attaquer aux représentants de l’ordre bourgeois…
• L’internationalisation directe de la lutte – partage d’expériences, coordination, solidarité avec les luttes au Mexique, en Europe, au Nigeria, à Hong Kong…
Organisons-nous en classe pour venir à bout de toutes les falsifications et séparations bourgeoises qui nous sont imposées, pour nous opposer à la violence d’État et pour détruire la société capitaliste fondée sur l’exploitation du travail humain !
# Guerre de Classe – Hiver 2020/21 #
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