Pour rappel, le Darfour est le théâtre d’un conflit sanglant depuis 2003 quand des insurgés ont pris les armes contre le pouvoir de Khartoum. Le président soudanais Omar al-Bachir avait alors lancé une contre-insurrection violente qui ne cesse à ce jour de faire des morts. Celui-ci est d’ailleurs recherché depuis 2009 par la cour pénale internationale pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide. Selon l’ONU, environ 300000 personnes auraient été tuées lors de ces conflits, et 2,5 millions auraient été déplacées.
Si les expulsions vers des pays en guerre et les dictatures ne représentent pour l’instant pas une pratique courante, celles-ci tendent à se généraliser. De nombreux accords ont été récemment conclus entre l’Union Européenne et des pays dits de provenance ou de transit afin de permettre ce type de renvois et de renforcer à la base l’endiguement des exilés.
Ainsi, peu importe que ces pays transgressent les conventions internationales des droits de l’Homme, commettent des crimes de guerre, ou exercent une répression dictatoriale de leur population. La priorité pour l’UE est de stopper l’immigration clandestine au plus loin de ses frontières afin d’éviter de trop nombreuses demandes d’asile sur son territoire, et d’intégrer les partenaires concernés dans le contrôle des routes migratoires.
En effet, les accords conclus entre l’UE et la Turquie en mars 2016 ont permis le blocage d’une partie du transit venant du proche orient, le développement d’une grande capacité d’enfermement dans des camps ou centres de rétention, le financement de moyens de sécurité, et la reconduite des exilés arrivés en Grèce qui n’ont plus qu’à attendre patiemment leur retour forcé en Turquie.
Les accords signés entre l’Italie et le Soudan en mai 2016 s’inscrivent dans le processus de Karthoum afin d’assurer une gestion plus efficace des flux migratoires. Son application concerne les pays de la Corne de l’Afrique et les pays méditerranéens de transit les plus importants (Libye, Égypte et Tunisie). Pourraient ainsi en témoigner les 48 personnes raflées au mois d’août 2016 à la frontière franco/italienne qui furent justement déportées à Karthoum, et pour bon nombre, emprisonnées dans les geôles du dictateur soudanais Omar al-Bachir dès leur arrivée.
L’accord de réadmission conclu le 5 octobre entre l’Afghanistan et l’Union européenne vise à systématiser et à faciliter les expulsions vers ce pays. Sa mise en œuvre a commencé avec un charter parti d’Allemagne emmenant à son bord 34 personnes, et un autre vol conjoint entre la Norvège et la Suède (22 personnes). L’UE a pour objectif le renvoi de 80000 personnes vers l’Afghanistan.
En France, notamment depuis le démantèlement de la jungle de Calais, plusieurs personnes ont fait l’objet de mesures similaires avec pour destinations des pays comme le Soudan (une personne expulsée le 2 décembre à partir du CRA de Vincennes, et une autre enfermée à Fresnes dans l’attente de son procès pour s’être opposée à son expulsion), l’Erythrée (trois personnes menacées et enfermées au CRA du Mesnil Amelot le 26 novembre), et l’Afghanistan (une personne hébergée dans les Cévennes menacée de dublinage vers la Norvège puis de renvoi en Afghanistan).
Il y a une dizaine d’années, le processus de Rabat, qui fut établi avec les pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest, a initié l’idée de mettre en place une politique commune visant à empêcher les exilés d’atteindre l’Europe. Quelques années plus tard et aujourd’hui encore, il se traduit au Maroc par un ensemble de mesures répressives : destruction des campements auto-organisés autour des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, rafles, détentions arbitraires…
La signature cette année de ces accords et leur mise en application concrète ne semblent pour l’instant pas éveiller de protestations trop importantes qui soient à même de poser un rapport de force significatif. Pourtant, lutter contre la généralisation et la banalisation des expulsions, particulièrement vers des pays en guerre, est une priorité. Et même si les moyens pour s’opposer aux expulsions restent difficiles à mettre en œuvre à grande échelle, il est plus que jamais temps de s’atteler à cette tâche et de dénoncer avec force cette politique mortifère.