Le gouvernement Macron n’en a pas fini avec les précaires. Après la réforme de l’assurance chômage, celle du Revenu de solidarité active (RSA) pointe déjà le bout de son nez. Depuis le début du mois d’avril, l’expérimentation d’un RSA sous condition a débuté dans 18 départements. Objectif : conditionner le versement de cette allocation (607,75€ pour une personne seule qui ne touche pas l’aide au logement) à 15 ou 20 heures d’activités hebdomadaires. A titre d’exemple : dans le Nord, l’expérimentation aura lieu à Tourcoing dans les secteurs du Virolois et de l’Epideme. Dans ces quartiers classés « politique de la ville » 3000 allocataires du RSA (2000 nouveaux entrants et 1000 bénéficiaires actuels) vont faire l’objet d’un suivi renforcé en matière d’emploi. Première étape obligatoire : l’inscription à Pôle emploi – bientôt renommé France Travail.
« Théoriquement, ces personnes seront reçues 15 jours après l’ouverture de leurs droits et seront encadrées à la fois par un agent du département et par un conseiller de Pôle emploi », détaille Olivier Treneul, agent du département du Nord et syndicaliste SUD. « A partir de là, ils seront inscrits dans trois parcours différents : un parcours strictement social, s’ils ont de gros freins à l’emploi et un parcours socio-professionnel, voire uniquement professionnel, si ces freins sont moindres. Ce sont les agents de Pôle emploi qui prendront prioritairement en charge ces deux derniers parcours », explique Alexandra Nougarede, agente pôle emploi et syndicaliste FSU. A la suite de ces rendez-vous des emplois du temps de 15 à 20 heures hebdomadaires d’activité pourront être mis en place. Les allocataires seront alors tenus de les suivre.
Quelles sanctions ?
Quelles contraintes, quelles sanctions pour les allocataires qui ne respectent pas ces emplois du temps ? Impossible à savoir pour l’heure et cela dépendra des départements et de leurs sensibilités politiques. La métropole de Lyon, à majorité écologiste, a d’ores et déjà et déclaré qu’elle refuserait de conditionner le RSA à une contrainte d’activité et souhaite limiter l’expérimentation à une contrainte d’accompagnement. En revanche, parmi les départements de droite, on ne cache pas la volonté d’exiger des contreparties. « Je ne veux pas m’interdire de parler de contreparties au versement du RSA. Si c’est trop sur du volontariat, cela ne fera pas bouger les lignes », déclare Oliver Amrane, président (LR) du Conseil départemental de l’Ardèche au journal Les Echos.
De plus, les sanctions pour les allocataires du RSA existent déjà, même si elles sont plutôt rares. S’il n’existe pas de statistiques générales à ce sujet, la Cour des comptes donne des exemples dans plusieurs départements.
« En Gironde, l’équipe pluridisciplinaire a prononcé en moyenne 2 600 sanctions par an entre 2014 et 2019, la plupart liée à l’absence au rendez-vous d’orientation et à l’absence de contrat. Le non-respect du contenu du contrat n’a donné lieu qu’à 150 saisines environ par an entre 2017 et 2019, et à 115 sanctions. Ce même nombre de saisines annuelles pour non-respect du contenu du contrat est de 85 dans l’Aude en 2019, de 104 pour la ville de Rennes en Ille-et-Vilaine pour 2018, et de 56 en Martinique entre 2017 et 2020. »
Dans son récent rapport sur le dispositif France Travail, Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises juge ce dispositif trop peu contraignant pour les demandeurs d’emploi et annonce que le système de sanction va être revu. Une nouvelle sanction pourrait être appliquée pour suspendre temporairement les droits à une allocation sans suspendre l’accompagnement. Ironiquement nommée « suspension remobilisation », elle permettrait « d’assurer que toute mise en place d’une allocation se conjugue avec le démarrage d’un accompagnement permettant le retour à l’emploi », selon les mots du haut-commissaire. La décision de suspendre une allocation reste toutefois la prérogative du département. « L’idée pour le gouvernement c’est surtout de distiller l’idée qu’il faut une contrepartie à l’aide sociale. A force de dire aux gens qu’ils ont des devoirs, ils vont finir par l’intérioriser », suggère Mathieu Béraud, maître de conférence en économie à l’Université de Lorraine.
Quelles activités ?
Reste à savoir ce qui sera concrètement attendu des allocataires auxquels ce dispositif test sera imposé. En septembre 2023, le cabinet d’Olivier Dussopt s’est fendu d’un courrier adressé aux présidents des départements. En guise d’activités hebdomadaires, il retient : « la formation, l’immersion, la démarche sociale accompagnée, les ateliers collectifs », et termine sa liste, déjà floue, par un ambigüe « etc ». Globalement, les activités imposées devraient se rapprocher de celles proposées aux jeunes des missions locales dans les contrats d’engagements jeunes (CEJ), expose un document interne de Pôle emploi consulté par Rapports de Force.
Quoi que comprenne en réalité cette liste d’activité, qui sera sans doute adaptée en fonction des départements, la marche franchie par le gouvernement Macron inquiète. « Le RSA est une aide sociale, un minimum vital, bien en dessous du seuil de pauvreté (ndlr : 1128 € mensuel pour une personne en 2022). Pour nous il ne doit pas être conditionné à des activités », soutient Alexandra Nougarede, agente pôle emploi et syndicaliste FSU.
Autre souci : effectuer 15h à 20h d’activités hebdomadaires, prend beaucoup de temps. Et penser qu’un allocataire du RSA dispose forcément d’un tel temps est une idée reçue – qui sent bon le mépris. Puisque le RSA conditionné prend exemple sur les CEJ, ATD Quart Monde rappelle que ces derniers ont été évalués par le Conseil d’orientation des politiques jeunesse en décembre 2022. Or, ce rapport insiste « sur les difficultés rencontrées pour atteindre ce quota d’activité hebdomadaire compte tenu des réalités de vie des personnes très précaires et des freins à l’emploi auxquels elles se heurtent ». Peu de chance qu’il soit autrement pour les adultes bénéficiaires du RSA.
Le RSA conditionné : vers du sous-emploi ?
Enfin, différents présidents de conseils départementaux de droite ont clairement exprimé dans la presse leur volonté d’utiliser les bénéficiaires du RSA pour pourvoir des emplois dans les secteurs en tension (restauration, BTP…). « J’espère qu’on nous donnera la capacité de prescrire des emplois, ce que nous ne pouvons pas faire actuellement. Ma priorité, c’est de pourvoir les postes vacants, et il y en a des milliers dans mon département », souligne Stéphane Haussoulier, président divers droite du Conseil départemental de la Somme, dans Les Echos.
Or ces secteurs exigeants en termes de charges horaires et de contraintes physiques ne sont pas forcément faciles d’accès pour les allocataires au RSA. « Parmi les bénéficiaires du RSA, il y a beaucoup de familles monoparentales, des contraintes de mobilité, des accidents de la vie à réparer. La logique de remise au travail rapide est souvent contrecarrée par ces réalités », explique Mathieu Béraud.
Malgré tout, les positionnements politiques qui surfent sur la dénonciation de l’« assistanat » ont le vent en poupe et s’appuient sur une opinion publique plutôt favorable. Selon un sondage Elabe de 2022 « 65% des Français considèrent qu’il y a trop d’”assistanat” en France et que notre modèle social a trop d’effets pervers et n’encourage pas à faire des efforts ». A coup sûr, l’expérimentation du RSA conditionné est aussi l’un des moyens de flatter cette opinion. Quitte à faire oublier une donnée capitale : en France, environ 30% de la population qui devrait toucher le RSA ne le demande pas, soit près de 600 000 ménages.