Le 26 avril, Le Pen s’est rendue sur les piquets de grève de l’usine Whirlpool à Amiens, et ce alors que Macron rencontrait les représentants syndicaux à la Chambre de Commerce et d’Industrie. Elle est parvenue à retourner la situation à son avantage en prétendant vouloir être du côté des travailleurs, amenant les grévistes à crier "Marine, Marine !" et à faire siffler Macron à l’aide de sifflets distribués juste avant par son équipe.
Une façon comme une autre de fustiger ce Macron "candidat des banques et de la finance" et de prétendre représenter les classes populaires contre "l’oligarchie" et "les riches". Le slogan de sa campagne, "Au nom du Peuple", en dit bien assez long sur cette volonté de se faire passer pour une personne qui lutterait avec ceux qui n’ont rien, "la France d’en bas", contre ceux qui ont tout. Cependant, elle est l’héritière d’un gros patrimoine immobilier [1] et est la cible de plusieurs instructions judiciaires pour détournements de fonds.
Comme le dit cet article de Basta Mag à propos des délocalisations, "que Marine Le Pen se préoccupe du sort des salariés dont les usines sont délocalisées est une nouveauté". Qu’elle se préoccupe du sort des salariés d’usine n’est cependant pas nouveau, mais uniquement intéressé, et surtout pas systématique. En semant les divisions entre les travailleurs selon leurs origines, par exemple, elle met la pagaille dans la gauche et récupère les fruits pourris.
Lors de sa visite d’aujour’hui 30 avril à Gardanne, les ouvriers ne l’intéressent pas. Ce qu’elle veut récupérer cette fois, comme à chaque fois, c’est le mécontentement social qui s’est exprimé autour des rejets polluants de cette usine [2]. Cette fois, pas un mot sur les risques de perte d’emploi. C’est "la situation environnementale" qui importe, ce qui pourrait prêter à rire venant de quelqu’un qui défend ouvertement le maintien du programme nucléaire, entre autres joyeusetés furieusement écolos.
Au bout du compte, peu importent les ouvriers, peu importe l’environnement. Le Pen se construit sur les frustrations et les mécontentements, sur les déchirements sociaux et sur la récupération hypocrite et biaisée des luttes et des dynamiques d’opposition, à une période où la désintégration de la gauche militante classique et de l’extrême-gauche laisse un vide de références collectives et d’enjeux politiques qui dépassent les situations individuelles.
Elle se nourrit de l’absence de pensée révolutionnaire et de solidarité chez celles et ceux qui souffrent, pour utiliser les uns contre les autres et surtout dans son intérêt, pour réorienter les colères créées par des situations d’exploitation et d’opression vers ses propres objectifs politiques, sans jamais avoir participé à aucune lutte, et surtout pour se substituer à elles.
Parce que le Front National est l’antithèse des luttes réelles pour une société plus juste. Il ne peut que mourir quand il s’en approche, parce qu’il se révèle alors tel qu’il est vraiment : un parti qui ne vise qu’à maintenir sa richesse, mes privilèges de certaines catégories de personnes aux dépends des autres, qui se basent sur l’exclusion, la xénophobie, le mépris, la peur et la bêtise. Il profite de sa médiatisation (tout en crachant sur les médias) pour faire semblant d’apporter un soutien à des ouvriers à Amiens, à la cause environnementale à Gardanne. Parce que c’est trop facile quand on a personne en face, ou seulement ceux contre qui on lutte déjà.
Ces dernières années, le néo-libéralisme a grandement favorisé la croissance du Front National et le retour aux nationalismes. Les crises économiques à répétition ont ébranlé les structures sociales et poussé de grandes franges de la population vers un repli identitaire.
Ce n’est pas en allant voter pour le candidat de ce néo-libéralisme que nous ferons "barrage au Front National", puisqu’il a lui même posé les bases qui l’ont fait grandir et se développer.
Il n’y a que par les luttes et par la diffusion d’une culture de la solidarité que l’on barre la route à la fois au capitalisme, au Front National et à l’extrême-droite en général. C’est l’antifascisme militant, au jour le jour, qui freine son ascension. Ce n’est pas en attendant que d’autres fassent les choses à notre place que l’on changera les choses. Encore moins que ces "autres" sont à la tête des appareils d’Etat et des structures économiques qui accentuent un peu plus chaque jour la misère dans laquelle se décompose le quotidien. Et ça, toutes les manifestations qui ont eu lieu ces derniers jours contre les congrès du Front National, mais aussi celles à la suite des résultats du premier tour ("Ni Macron, Ni Le Pen"), l’ont bien compris.
C’est dans la rue qu’il faut combattre. Ici et maintenant.]