Zones sans-flics : réflexions à partir d’expériences autonomes aux USA (1/3)

Cet article fait suite aux différentes expériences de "cop-free zones" aux Etats-Unis du printemps dernier.
Il analyse dans un premier temps l’intérêt stratégique de cette forme d’action dans une perspective d’autonomie et d’abolition de la police (1/3). Sont ensuite relayés différents récits de personnes qui ont participé à ce genre d’expériences ou de tentatives dans différentes villes étatsuniennes, inspirées par le siège du comico du 3e arrondissement de Minneapolis à la suite du meurtre de George Floyd (2 et 3/3).
- initialement publié le 02 juillet 2020 sur CrimethInc. -
Traduit de l’anglais au français.

Une zone sans-flics n’est pas un pâte de maisons, un rond-point ou un parc. C’est un engagement commun pour défendre un espace et éliminer les dynamiques de maintien de l’ordre et de suprématie blanche. Dans ce qui suit, nous explorons quelques expériences de personnes qui tentent de créer des zones autonomes sans police dans différentes régions des Etats-Unis.

Hier, la police de Seattle a expulsé la Zone Autonome de Capitol Hill (CHAZ), également connue sous le nom de Manifestation Organisée de Capitol Hill (CHOP), mettant fin à une expérience d’autonomie, qui s’étendit sur plus de trois semaines de créativité inspirante et de tragédies déchirantes. Pourtant, la légende de cette zone s’est répandue à travers le monde, inspirant des actions de solidarité et autres tentatives à travers le monde : de New York à Portland et Washington DC, et même jusqu’à Tokyo. Pour un aperçu de l’histoire de l’occupation à Seattle, vous pouvez commencer par ici.

→ La Zone Autonome de Capitol Hill à son apogée.

Introduction : à propos d’autonomie

Créer une zone sans-flics est une démonstration de force, que cela dure une seule soirée comme plusieurs années. Cela peut considérablement élargir l’imagination populaire : tout comme l’abolition de la police était impensable jusqu’à ce que le soulèvement de Minneapolis démontre que des émeutiers pouvaient vaincre la police dans une confrontation ouverte, même la zone autonome la plus temporaire peut permettre aux gens de repenser leurs hypothèses par rapport à la police.

Avant tout, une zone libérée offre un espace de mémoire et de recueil. Tout comme en 2011 Occupy Oakland a rebaptisé la place qu’iels occupaient en l’honneur d’Oscar Grant, les récentes zones sans-flics ont servi de mémoriaux pour celleux dont les vies ont été prises par la violence policière, accueillant des installations artistiques participatives à couper le souffle. Ce sont dans ces lieux que se réalisent aujourd’hui aux USA les expériences artistiques et les rassemblements communautaires les plus importants.

→ Mémorial au sein de la Zone Autonome de Capitol Hill à ses premiers jours.
→ A Richmond, dans la zone autonome rebatpisée Marcus-David Peters Circle (NDT. enseignant noir de 24 ans tué par la police le 14 mai 2018), des manifestant.es ont transformé un monument confédéré en un mémorial communautaire émouvant aux couleurs de Jean-Michel Basquiat.
→ Marcus-David Peters Circle, Richmond. Un des mémoriaux au pied du momument confédéré repensé.

Dans le même temps, alors que la police reste encore si puissante et que la classe dominante qu’elle sert se démène pour la légitimer aux yeux de l’opinion publique, établir des zones sans-flics implique divers risques et défis. En réponse à la soudaine popularité de l’abolition de la police, l’Etat a urgemment besoin de créer l’impression que l’abolition de la police est plus horrible que la continuelle violence policière elle-même.

Essayer de contrôler un territoire fixe nous met sur la défensive, faisant de nous une cible stationnaire et nous exposant aux attaques de suprémacistes blancs ou autres fascistes. Ces attaques peuvent aller de la fusillade, comme ce que DeJuan Young a subi à Seattle, à la flagrante campagne diffamatoire de Fox News sur la CHAZ. Au même moment, la police et les gouvernant.es cherchent à pousser la violence et des activités antisociales dans des zones qu’iels ne contrôlent pas afin de discréditer celleux qui y vivent. En Grèce, cette tactique a longuement été utilisée par la police contre les quartiers ingouvernables comme Exarcheia ainsi que dans des zones autonomes au sein d’universités grecques.

Contrôler a un espace délimité ne nous donne pas forcément les moyens d’interrompre les dynamiques à la source de la violence anti-sociale dont les autorités se servent pour justifier le maintien de l’ordre. La proposition d’abolir la police n’est pas une proposition de définancer une insitution particulière, mais de refonder la société toute entière, en abolissant les disparités qui rendent la police nécessaire pour maintenir l’ordre établi. Au sein d’une zone autonome, nous pouvons mettre en pratique et diffuser l’économie du don ou d’autres modèles basés sur l’entraide, mais cela ne suffira pas à protéger les participant.es aux pressions du capitalisme et de la suprématie blanche, qui nous traversent et continueront à imprégner nos rapports sociaux jusqu’à ce que nous puissions provoquer un plus large changement social.

Cela ne signifie pas que de nous devrions abandonner le langage de "l’autonomie" au profit de "l’occupation" ou "l’organisationg", comme certain.es l’ont soutenu. Plutôt, nous avons besoin de populariser une différente appréhension de ce qu’est l’autonomie. Selon notre compréhension du concept, être autonome ne signifie pas administrer une zone juridique indépendante comme le fait l’Etat ; plutôt, l’autonomie est une question de l’influence de tou.te.s les personnes dans un environnement sur ce qu’iels sont capables de faire et d’expérimenter en son sein. En ce sens, l’autonomie n’est pas une propriété d’un espace physique défini, mais plutôt une qualité de réseaux relationnels.

Concentrer le pouvoir sur une zone autonome dans une seule structure de direction ou de prise de décision est un handicap et non un avantage. Les monopoles de pouvoir profitent généralement aux personnes relativement privilégiées, qui sont les mieux équipées pour utiliser des cadres de légitimité pour se positionner favorablement, alors que celleux qui sont les destinataires des disparités raciales et de classe [1] sont souvent exclus même lorsque ces cadres sont censés les autonomiser. Si notre objectif est d’abolir la suprématie blanche, notre priorité absolue devrait être de soutenir les voix et les actions des personnes racisées et queer les plus privées de leurs droits, et non de suivre le leadership de ceux qui bénéficient déjà d’un statut quelconque. De même, une trop grande importance accordée à l’unité tend à restreindre les tactiques et les objectifs à long terme à un plus petit dénominateur commun, minant ainsi la diversité et l’imprévisibilité qui permettent aux mouvements d’établir des zones autonomes en premier lieu.

Toutes ces considérations suggèrent que, même si notre objectif est simplement de conserver un espace physique particulier, nous devons donner la priorité à la réalisation d’activités offensives dans toute la société en général qui peuvent garder nos adversaires sur la défensive, tout en investissant de l’énergie dans les activités qui nourrissent les mouvements et espaces plutôt que de se concentrer sur la défense de limites particulières. Nous devons comprendre les espaces occupés comme un effet de nos efforts, plutôt que comme la cause centrale autour de laquelle nous nous rallions.

D’autres mouvements se sont déjà attaqués à ces questions dans le passé. Nous pouvons apprendre beaucoup du mouvement des squats en Europe, du Movimento sem Terra (MST) au Brésil, du mouvement Occupy aux États-Unis et d’autres exemples dans le monde. Dans le pire des cas, se méprendre sur l’espace autonome comme un territoire physique plutôt que comme les relations et le courage qui le maintiennent peut conduire certains participants à faire des compromis désastreux avec les autorités dans l’espoir de pouvoir conserver ce territoire.

Enfin, la création et la défense de zones sans police nous obligent à développer une analyse solide de ce qu’est la police afin de s’assurer que nous ne la reproduisons pas. La mesure dans laquelle nous pouvons résoudre nous-mêmes les conflits dans ces espaces sera l’un des facteurs les plus importants pour déterminer si nous pouvons nous y accrocher et démontrer un modèle d’autonomie qui mérite de devenir contagieux. Nous ne devons pas confondre notre capacité à défendre des zones sans flics et notre capacité à employer la force meurtrière de la même manière que la police. Si nous commettons cette erreur, nous risquons de reproduire la dynamique des systèmes de police existants, et ceux qui en subiront les pires conséquences seront probablement de jeunes hommes noirs.

À cet égard, la première ligne de défense de la zone sans flics n’est pas la force violente avec laquelle elle est défendue, mais la manière dont les participant.es transforment les soins en une force significative.

→ L’allée derrière le troisième arrondissement de Minneapolis par laquelle la police s’est retirée avant que les manifestants ne l’incendient en réponse au meurtre de George Floyd.

Notes

[1NDLR : et de genre ainsi que d’autres systèmes de domination