Appel à soutien pour des militant·es face au risque d’expulsion après un camp pro-Palestine à Athènes

Article traduit et mis à jour depuis https://www.rs21.org.uk/2024/05/23/comrades-face-deportation-from-palestine-camp-in-athens/

Le 14 mai, le camp en solidarité avec la Palestine de l’École de Droit d’Athènes a été attaqué par la police et 9 militant·es originaires de pays de l’Union Européenne ont été détenu·es pour expulsion vers leurs pays d’origine. Voici le récit des évènements, le lien avec la politique anti-immigration brutale du gouvernement grec, et de ce que ça nous dit des occupations d’universités et de la solidarité internationale plus généralement.

Le soir du 13 mai, les étudiant·es d’Athènes ont rejoint le mouvement mondial étudiant en solidarité avec la Palestine et ont occupé l’École de Droit d’Athènes. Ils demandaient que les universités grecques cessent toute coopération avec l’État d’Israël, que celle-ci prenne la forme de projets de recherche, d’échanges ou de programmes de financement. Le matin suivant, la police attaquait l’occupation et arrêtait 28 personnes. Un certain nombre d’objets ont été saisis dans l’Université, sans qu’aucune preuve ne relie ces éléments aux personnes arrêtées.

À la suite des évènements tragiques de 1973, lorsque la junte militaire avait déployé ses tanks pour écraser la révolte de l’Université Polytechnique d’Athènes, les universités grecques avait été protégées par une loi d’asyle qui empêchait la police d’y intervenir. En 2023, cette loi a été abrogée par le gouvernement conservateur actuel, générant une vague de violence policière à l’encontre des étudiant·es sur leurs propres campus. En 2024 le gouvernement ouvrait la voie à la privatisation des universités. La présence policière s’est accrue et les tactiques d’intimidation contre des espaces jusque là libres et autonomes se sont étendues au delà des murs des facs. Qu’ils soient politiques ou non, les évènements, activités et rassemblements collectifs dans les espaces publics sont ciblés par la présence policière, la répression et la violence. La politique agressive de l’État est une tentative de faire disparaître toute forme de solidarité, d’anticapitalisme, de mouvement libertaire et de lutte en faveur des migrant·es.

Les 28 personnes arrêtées à la faculté de droit d’Athènes ont été immédiatement transférées au commissariat central d’Athènes (GADA). Les avocat·es n’ont été autorisé·es à rencontrer les personnes détenues que huit heures après leur arrestation, la police tentant de les forcer à donner leurs empreintes digitales avant l’arrivée de leurs avocat·es. Pendant ce temps, des centaines de personnes solidaires se sont rassemblé·es devant GADA, exigeant la libération immédiate des personnes arrêtées tout en affirmant leur soutien à une Palestine libre. Après avoir reçu l’information qu’elles seraient inculpées, les 28 personnes arrêtées ont passé la nuit à GADA.

Le lendemain, le jugement devait se tenir à midi, mais il a été délibérément retardé de quelques heures. Des dizaines de solidaires étaient présent·es devant le tribunal pour montrer leur soutien aux personnes arrêtées, criant des slogans pour une Palestine libre et la fin des tactiques d’intimidations. Finalement, les 28 personnes ont été présentées au procureur qui ordonna leur libération à tout·es et le report du procès au 28 mai pour les chefs d’accusation suivants : vandalisme, perturbation de l’ordre public, refus de coopérer avec les procédures policières (empreintes digitales) et possession d’« armes ».

Cependant, la police décida de ne pas suivre la décision du tribunal de première instance. Le département de la sécurité de l’État enregistra les neuf personnes internationa·les non grec·ques comme « indésirables » et décida de procéder à une détention administrative. Les avocat·es ont ensuite été informé·es qu’un ordre d’expulsion serait également émis. Les personnes ont d’abord été envoyé·es à la division des étrangers de la police de l’Attique, puis les huit femmes ont été transférées au centre de détention provisoire d’Amygdaleza, un camarade homme restant seul à la division des étrangers.

Après avoir interjeté un recours, 8 des 9 personnes incarcérées seront libérées le 23 mai. À l’issue d’une grève de la faim de 14 jours, la dernière des militantes encore détenue à été libérée le 8 juin. Iels sont actuellement sous le coup d’une procédure d’appel qui devrait prendre longtemps avant d’aboutir. Cette procédure d’appel contre leur expulsion administrative devrait, à elle seule, coûter environ 1400 euros de frais juridiques pour chacune des 9 personnes concernées. Par ailleurs, pour la partie judiciaire, qui concerne l’ensemble des 28 personnes grecques et non-grecques arrêtées, le procès qui devait initialement avoir lieu le 28 mai a été reporté à mars 2025. Une cagnotte de soutien est en ligne

Cette stratégie policière "administrative" rappelle l’incarcération et l’OQTF récente d’une camarade italienne en France, qui aurait d’après la police participer à l’appel national contre la construction de CRA. Dans ce cas aussi, la justice avait ordonné une remise en liberté, avant d’être court-circuitée par la préfecture.

L’Europe-forteresse et l’État d’Israël

La détention administrative et les déportations sont les stratégies quotidiennes que l’État grec pratique, l’une des composantes profondément racistes de la meurtrière Europe-forteresse. Le racisme flagrant de l’État est évident dans les arrestations, détentions, tortures et déportations massives qui se produisent quotidiennement et qui passent le plus souvent inaperçues aux yeux du reste de la société.

L’audace avec laquelle l’État grec agit s’explique également par des années de mise en œuvre d’une politique frontalière meurtrière à l’encontre des réfugié·es, des migrant·es et des sans-papiers. En Grèce, il existe quatre motifs d’expulsion administrative, ce qui donne à la police toute latitude pour juger si une personne constitue une menace pour l’ordre public, et sans procès pénal, la personne peut être détenue et expulsée dans le cadre de procédures administratives. La détention et la menace d’expulsion des neuf personnes détenues, de nationalité italienne, espagnole, française, allemande et britannique, est une nouvelle application de ces ordres répressifs destinés à intimider le mouvement de solidarité avec la Palestine.

La technologie utilisée par l’État grec pour refouler violemment voire entrainer la mort de demandeur·ses d’asile repose sur les technologies de confinement, de surveillance et de contrôle que l’État israélien teste sur les Palestinien·nes de Gaza et de Cisjordanie. La dissidence contre l’État israélien, son occupation militaire de la Palestine et les guerres qu’il mène à Gaza, au Liban et en Syrie, cette dissidence est une menace pour l’UE et le complexe militaire de sécurité frontalière de la Grèce.

L’Initiative Étudiante pour la Palestine a publié l’analyse suivante sur la façon dont cette affaire est utilisée pour soutenir le régime frontalier grec et son soutien à Israël :

D’une part, Nouvelle Démocratie et Mitsotakis (NdlT : parti au pouvoir en Grèce et son premier ministre) utilisent cette affaire pour renforcer la position de la Grèce en tant que premier flic de l’Union européenne, en vue des élections européennes. D’autre part, il ne s’agit de rien d’autre que de la politique profonde de l’État grec, de sa participation à la guerre raciste et classiste contre les pauvres. Des gardes-côte racistes et meurtrier·ères des frontières maritimes et terrestres à l’expansion des camps de concentration, des centres de détention, des bases de guerre et à la persécution des survivant·es du naufrage de Pylos en tant que « trafiquant·es », l’État grec adopte une position claire (NdlT : le 14 juin 2023, 600 réfugié·es trouvaient la mort dans le naufrage de leur bateau au large de Pylos, au Sud-Ouest du Péloponnèse. Les survivant·es ont pu témoigner que le naufrage avaient été causé par une tentative de "remorquage" par les gardes-côte grecs, qui auraient fait chavirer le bateau, ce que les autorités grecques nient. 9 des 104 survivant·es ont été accusé·es d’être des "passeur·es" avant d’être finalement innocenté·es le 21 mai 2024, après près d’un an de détention.).

Cependant, en augmentant la répression comme il le fait aujourd’hui, l’État grec montre en même temps à quel point il craint la possibilité d’une rencontre et d’une organisation véritablement internationaliste des luttes en solidarité avec la Palestine, contre la collaboration de la Grèce, d’Israël, des États-Unis, de l’Égypte et des autres États européens dans la guerre génocidaire.

La réalité est qu’actuellement, en nous opposant à la guerre génocidaire, dont le soutien est le choix central de la politique étrangère de l’État grec et d’autres États, nous apparaîssons comme un « danger public pour la sécurité nationale ».

L’université n’est pas un espace neutre

L’Initiative Étudiante pour la Palestine continue :

Les universités occidentales ne restent pas inactives face aux bombardements des universités de Gaza. L’université n’est pas un « pur temple du savoir » comme elle est présentée, mais en tant qu’institution étatique et capitaliste, elle reproduit les exigences de l’État et du capital. En tant que telle, elle promeut les intérêts de la nation, du capital local et international, comme le montrent les dernières lois sur la restructuration de l’enseignement et la tentative de marier l’intérêt national avec les programmes d’études, les programmes de recherche et la formation professionnelle orientée uniquement vers les demandes du marché du travail. Dans les programmes de recherche, l’implication de la police, de l’armée, des services secrets, des ministères de la défense nationale et du capital privé s’exprime de multiples façons.

Israël ne se contente pas de tuer les Palestinien·nes, mais pour celleux qui s’échappent, leur avenir est destiné aux politiques anti-immigration meurtrières de l’État grec et de l’Union européenne. La coopération des universités grecques avec les intérêts impérialistes ne se limite pas aux programmes de recherche, mais s’exprime souvent par le biais d’événements et de séminaires, comme nous l’avons vu récemment dans le cas de l’Académie nationale des sciences avec l’événement « Career Day in Space Technologies, Applications and Services Made in Greece » (Journée des carrières dans les technologies, applications et services spatiaux fabriqués en Grèce). Le partenaire et sponsor direct était la société privée Lockheed Martin, également basée en Israël et qui est en train de reprendre une partie de son armée de l’air. Il est clair que l’université grecque participe au génocide du peuple palestinien et à la guerre.

La communication avec d’autres groupes à New York et aux Pays-Bas nous a aidé·es à réaliser le pouvoir de la solidarité internationaliste, malgré les coûts personnels, et l’importance d’objectifs spécifiques, tels que forcer les administrations des universités et des États à se désinvestir de l’économie de guerre et de la machine militaire israéliennes.

Pour nous, être silencieux·ses c’est être complices, nous n’allons donc pas continuer à vivre selon les diktats imposés de la normalité, du carriérisme, de la compétitivité. Nous n’avons pas cessé et ne cesserons pas de parler et de crier pour la Palestine dans nos écoles, dans les squats et dans les rues. Nous ne permettrons à aucun État de supprimer la solidarité internationaliste. Nous sommes avec la Palestine pour toutes les raisons du monde, jusqu’à ce que le génocide cesse, jusqu’à ce que le peuple palestinien soit vraiment libre !

Et maintenant ?

Les médias grecs de droite ont publié des informations sur la détention et l’expulsion des neuf personnes avant qu’aucun d’entre elles ou leurs avocat·es n’aient été informé·es, déclarant que les « étranger·ères [...] sont expulsé·es parce qu’iels représentent un danger public pour la sécurité du pays ». Cette stratégie souligne l’utilisation par l’État des médias comme outil de guerre psychologique et leur allégeance à la communication plutôt qu’aux procédures juridiques formelles. En apprenant leur sort par les médias plutôt que par les voies légales, les détenu·es ont été dépossédé·es de leur pouvoir d’action et plongés dans l’incertitude. Ces sanctions et réactions juridiques sont des réponses sévères et sans précédent à des allégations de délits mineurs pour des ressortissant·es de l’Union Européenne, qui par ailleurs n’ont pas encore été jugé·es (et ne le seront que l’année prochaine !).

Les migrant·es et les sans-papiers qui exercent leur droit à la liberté d’expression en étant politiquement actif·ves courent désormais un risque accru d’expulsion et d’actions judiciaires violentes. C’est ce qu’illustre le cas de notre camarade égyptien qui, le 7 mai, peu avant l’occupation de la fac de droit, a été menacé d’expulsion par l’ambassade égyptienne après avoir participé à des manifestations pro-palestiniennes. Les gouvernements et les médias collaborent pour criminaliser et délégitimer les efforts de soutien à la lutte palestinienne, en présentant les individus comme des menaces pour la sécurité nationale. Ces actions révèlent le désespoir de l’État à maintenir le contrôle et à supprimer la résistance. Elles soulignent la nécessité pour les médias alternatifs et les réseaux de solidarité de contrer ces tactiques d’intimidation. En étant solidaires avec les personnes visées, nous pouvons dénoncer les mécanismes d’oppression de l’État et poursuivre la lutte pour une véritable libération, qu’il s’agisse des Palestinien·nes ou des personnes incarcérées. Il est nécessaire de rendre notre solidarité concrète, d’agir, d’intensifier, d’affirmer haut et fort que ni l’intimidation, ni les emprisonnements, ni les déportations n’affaiblissent la lutte. La résistance ne mourra jamais, la Palestine ne mourra jamais !

Ces tactiques d’intimidation et de répression ne peuvent pas faire taire notre rage et ne mettront pas fin à notre solidarité avec la Palestine.

Les revendications de l’Initiative Étudiante pour la Palestine d’Athènes sont :

  • Pas d’expulsion pour les 9 internationaux·les arrêté·es
  • L’abolition complète de la détention administrative pour les personnes sans papiers, les migrant·es, les demandeur·ses d’asile en Grèce - ainsi que la loi raciste de la déportation administrative. L’ensemble du mécanisme est une pratique raciste qui incarcère les personnes de couleur sans qu’elles aient accès aux droits humains fondamentaux.
  • Nous sommes contre les médias qui collaborent avec la police et qui tentent de semer la terreur parmi les personnes qui luttent et élèvent leur voix pour une Palestine libre.

La lutte continue pour arrêter le génocide !

Mettons fin à l’occupation de la Palestine !

Tous nos regards sont tournés vers Rafah !

Vous pouvez contribuer au fonds de solidarité pour couvrir les frais de justice ici.

Si l’appel atteint son objectif, les organisateur·ices demandent que les dons soient redirigés vers des appels de fonds pour la bande de Gaza, dont une sélection est disponible ici

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