Promis, je n’ai pas utilisé mon Pass sanitaire, promis je ne suis pas allé donner du fric aux mégamachines à produire de l’anticulture qui fait fondre les cerveaux. J’ai trouvé BAC Nord sur ThePirateBay.org (toujours accessible via TOR). Alors bon, oui c’est un screener, mais fait avec soin avec une bonne caméra, le son est pas top mais de toute façon c’est plutôt les dialogues qui font saigner les oreilles. Toutes les 15 minutes il y a une pub incrustée pour 1XBet qui permet de souffler un peu. Finalement cette expérience collait assez bien au thème puisque parmi les stéréotypes de Marseille qu’oublie ce gachis de disques durs, il y a aussi la contrebande et les paris sportifs.
Alors BAC Nord prétend raconter l’histoire des Bacqueux marseillais qui ont fait la une des journaux parcequ’épinglés pour une vaste entreprise d’escroquerie, de chantages, de rackets, de violences et de trafic. Si ils étaient 18 au début de l’affaire, le film choisit de faire comme si il n’étaient que trois (plus 3 autres mais qui ne participent qu’à moitié),.
Pour info, le 22 avril dernier, le tribunal correctionnel de Marseille avait relaxé 7 des 18 flics mis en examen pour des faits de vols de stupéfiants, d’argent ou de cigarettes à des revendeurs des quartiers Nord et condamné les 11 autres à des peines de deux mois à un an de prison avec sursis. Aucun d’entre eux n’avait écopé de prison ferme. Le tribunal avait en outre décidé de ne pas inscrire les condamnations en question au bulletin numéro 2 du casier judiciaire des intéressés. Beaucoup de ouin-ouin pour pas grand chose donc...
Si le réalisateur Cedric Jimenez voulait à la base peut-être parler des dérives des flics soumis à la politique du chiffre, il a, et là n’est pas le soucis, rencontré les flics inuculpés pour nourrir ses personnages. A la fin, il se retrouve donc à raconter leur version des faits. Des flics qui aiment leur travail et qui sont confrontés à une institution qui les abandonne. Il en témoigne dans une interview donnée à Vanity Fair :
« Le show médiatique était tel que j’ai ressenti le besoin de savoir ce qu’il s’était passé. À quel point ces flics avaient-ils pu franchir la ligne jaune ? Mais pour cela, il fallait avoir accès aux policiers, au dossier. Ce qui était évidemment impossible »
[...]
« Du coup, ils étaient heureux d’être écoutés et de raconter comment ils en étaient arrivés là. Ils ont fait des conneries, c’est indiscutable, mais l’ampleur médiatique que ça a pris était disproportionnée. » Un constat que rejoint Mohamed Chenine, ancien responsable de la Bac Nord et impliqué dans l’affaire. À la barre, il a estimé que la presse les a « trahis, salis et montrés du doigt avant même que l’on soit jugés »
BAC Nord essaye de prendre la structure d’à peu près n’importe quel film noir qui traite de la police. L’institution policière est décrite sur deux volets. D’un côté le terrain avec ses ambiguités par rapport à la loi, de l’autre les bureaux avec leurs ambiguités vis à vis de la politique. Les deux camps policiers défendent des intérêts différents. Côté terrain, on privilégie l’action musclée quitte à surfer sur les règles, voire à carrément les enfreindre. Côté bureaux, on se satisfait de la politique du chiffre et on guette les promotions en suivant le calendrier politique quitte à ne pas faire son boulot. Un côté est brutal, digne et consciencieux. L’autre est pantouflard, lâche et opportuniste. Voilà pour la psychologie. Ca casse pas des briques et si ça vous interresse je vous conseille la saga Dirty Harry, c’est exactement le même topo. Clint n’est pas non plus bien recommandable mais au moins ça déménage. Et puis comme ça se passe il y a plus de 30 ans et de l’autre côté de l’Atlantique, ça a l’air moins grave.
La suite est une refonte de l’histoire dans une version qui explique que les bacqueux, en fait, ils ne rackettaient pas les gens pour faire du business, mais pour récolter un super magot de shit pour payer une indicatrice pour faire tomber un gros filon. Mais comme le filon il a du shit super spécial, ils ne peuvent pas payer l’indicatrice avec alors ils font non pas un racket mais une "collecte" de barrettes et pochons, "colléctés" avec force de persuasion, de clés de bras et de tabassages d’à peu près tout le monde et n’importe qui... Mouais... Evidemment ça ne tient que très mal devant la justice. Devant les spectateurs et spectatrices encore moins.
Pendant cette collecte, on découvre donc un peu l’univers marseillais. On apprend donc qu’à Marseille, soit on est noir ou arabe, soit on est flic. Les bacqueux ont le droit d’avoir une famille, un semblant de projets. Ils vivent donc dans des logements assez bas de gamme, font des barbecue et un des trois va devenir père. On découvre donc sa compagne, flic aussi. Elle n’est pas dans la BAC mais est aussi scandalisée par l’inaction de sa hiérarchie face au crime. Alors, quand, au standard téléphonique elle reçoit un appel l’informant qu’un méchant gitan vole des sacs à main, au lieu d’appeller une patrouille comme elle le ferait normalement, elle dégaine son téléphone personnel pour appeller les seuls vrais justiciers, la BAC Nord, qui va vite fait bien fait s’occuper de ce malfrat au terme d’une course poursuite aussi mal filmée qu’irréaliste.
Le film met en avant des stéréotypes et des comportements scandaleux sans les questionner. Il montre froidement et assume donc. Que ce soit ce Bacqueux qui se bourre la gueule sans pression en boîte pendant que sa femme accouche, et ça ne posera jamais de problème. Ou que ce soit le fait que seuls les flics ont droit à la parole. Tous les autres personnages ne font que vociférer des insultes et jeter des machines à laver. Tout ce qui n’est pas flic et qui est donc noir ou arabe, est donc bête et dangereux.
La seule personnage non flic est cette indicatrice que voit de temps en temps un des bacqueux, le plus sanguin, le plus marseillais dans le langage du film. Malheureusement c’est une dealeuse et son personnage, bien qu’indispensable, n’a aucun rôle autre que fonctionnel pour l’intrigue. Elle n’a pas de personalité alors pour éviter qu’elle ne parle trop, la mise en scène à décidé qu’elle serait tout le temps défoncée et donc alternativement naïve, ridicule, beauté lointaine. Finalement le flic la balance quand même, on la voit alors quelques secondes en cellule, sans plus s’y attarder. Lors des portraits finaux, rien non plus n’est dit sur elle. Elle n’est qu’une incarnation de la loyauté du flic qui une fois incarcéré refuse de donner son nom, ce qui prolonge l’incarcération des trois bacqueux.
Le clivage de la parole contre les hurlements, des humains contre les bêtes, est poussé à son paroxysme lorsque les bacqueux arrêtent un gamin. Emmené sur l’épaule par flic qui le charge dans la voiture, le gamin se ridiculise en insultant les flics qui eux se moquent de lui. Puis un morceau de JUL arrive en fond et soudain le gamin se met à danser comme si il ne pouvait pas se retenir, normal puisqu’il est si bête et soumis à ses pulsions. S’en suit une scène de course poursuite parfaitement gratuite, c’est à dire sans course ni poursuite, dans laquelle ils roulent à contre sens sur l’autoroute et manquent de provoquer 12 accidents. Encore une fois le film ne questionne pas ce comportement finalement bon-enfant, il le valide en le rendant beau et agréable, puisque tout le monde aime les voitures qui vont vite avec JUL en bande son.
Ce film ne fait même pas semblant de faire l’effort, comme l’avait au moins tenté le misérable "Les Misérables", de pointer des lignes de tension dans les communautés qu’il décrit. Tout est parfaitement uniforme. Durant tout le film, le chef de la BAC Nord ne dit qu’une phrase qui questionne les rapports sociaux, environ cinq secondes de bonne consicence où il fustige des quartiers laissés à l’abandon pour mieux justifier d’aller y jouer au cow-boy.
Ces quartiers laissés à l’abandon, les flics finiront donc par y entrer en force pour y faire un gros coup de filet. Encore une fois ils sont dépeints sans moyens, ce qui est pafaitement faux puisque à force de chialer leur bubget a augmenté de 3 milliards entre 2017 et 2021 et que Macron a annoncé au Beauvau de la sécurité la volonté de doubler les effectifs de flics présents dans la rue d’ici 10 ans.
Lors de cette opération commando, on nous souligne donc encore à gros traits l’héroïsme et l’abandon dont font preuve les trois flics en se confrontant à toute une cité qui veut les tuer. Au cours de l’opération, un des bacqueux se retrouve coincé dans un appartement avec une famille innocente dont on aurait pu espérer qu’elle soit décrite à minima comme des pauvres victimes prises au piège par les réseaux de trafiquants, mais même pas, une fois qu’il est rentré dans l’appartement et qu’il a copieusement tapé sur un minot et sa mère dont les seules paroles autorisées par la mise en scène sont des hurlements, le gamin se révèle être un dangereux agresseur qui tente de planter le flic par surprise avec un couteau. La scène est nulle, le couteau tout petit, mais au moins elle permet au flic de fracasser encore une fois le gamin à coup de crosse. Les flics finissent par débarquer dans la planque à drogue et argent alors que les méchants cagoulés évacuent le magot. Bagarre, fusillade, les flics partent avec la moitié du butin, arrivent à choper trois gamins et partent la queue entre les jambes pendant que le quartier finit de vider ses placards sur leur convoi. Toutefois, dans le scénario, malgré l’évidence inverse à l’écran, tout cela est fêté comme une grande réussite. Une fois l’adrénaline bien montée, tout ce joli monde va donc fêter ça dans une scène pitoyable de miellerie.
Alors oui il y a de la violence dans les quartiers populaires marseillais, il serait bête de le nier, mais le tableau que fait ce film est une caricature qui laisse sans voix. Il n’est jamais mention des habitant.e.s de ces quartiers, il n’est jamais montré l’isolement de ces quartiers du reste de la ville. Seule place est faite à la dévotion de quelques flics pris entre deux feux. Des flics honnêtes, un peu brutaux, amis au fond honnêtes quand on voit ce qu’ils vivent sur le terrain pour le maire salaire qu’ils touchent. Car à plusieurs reprises est faite mention de ce salaire, à croire que les dialogues sont écrits par le porte parole d’Alliance. Ces 1800€ de misère. Faut-il rappeller qu’à Marseille, comme le pointait en 2015 20minutes, "Les revenus des 20 % des habitants les plus aisés sont 5,4 fois supérieurs à ceux des 20 % les plus pauvres. [...] Marseille compte cinq arrondissements, les 1er, 2e, 3e, 14e et 15e, parmi les onze plus pauvres de France. D’après une étude de l’Insee, dévoilée ce mardi, le 3e arrondissement est le plus pauvre des communes de France métropolitaine. Plus d’un habitant sur deux y vit sous le seuil de pauvreté, soit 51,3 % des pesronnes vivant avec moins de 989 euros par mois et par unité de consommation.". Alors les gars, avec vos 1800 on va pas vous plaindre, surtout que ces 1800 ne comptent pas les rackets et toutes les procédures pour outrage et rebellion qui rapportent gros aux fonctionnaires de police. En 2014 Paris-Luttes publiat un texte qui parlait un peu de ça : "Sur les 20 600 dossiers instruits par des flics en 2012 (30% de plus chaque année), seuls 300 n’ont pas abouti, tous les autres se font indemniser, les yeux fermés, par les deniers du Trésor. A chaque fois le flic se met 300-700 euros d’indemnités dans la poche, sans compter les jours d’ITT quand il s’est foulé l’ongle ou a subi un "traumatisme psychologique"."
Au delà du scandale politique qu’est ce film, il faut aussi préciser que cinematographiquement c’est vraiment à chier. Les plans sont nuls, les acteurs mauvais, les dialogues presque inexistants. Quand au détour d’une conversation dans une voiture. L’ambiance joue sur une fausse proximité avec des blockbusters américains. Le film aligne des séquences filmées comme des clips qui commencent n’importe quand et ne se finissent pas vraiment. La tension ne monte jamais vraiment et qui s’attendait à de l’action à l’américaine comme ça s’annonçait sera certainement déçu. La forme profondément réactionnaire de la narration empêche même le scénario de faire exister une histoire d’amour noyée dans un échange de blagounettes ininteressantes. Elle n’est pas rendue impossible par la contradiction des parcours des personnages, mais par une incapacité à réunir des destins dans une scène. Ce film est un mauvais biopic héroïsant des parcours individualistes, il ne traite en rien des histoires collectives que sont la violence et la misère et de ce qu’elles font aux êtres. Le film ne produit aucune analyse systémique de ce qui mène à la situation de violence extrême qui peut exister dans les quartiers dont il est question. Il ne présente aucun.e flic véritablement pourri ni aucun.e non-flic qui ne soit pas dealeur ou trafiquant.e de quelque sorte. A aucun moment il ne questionne la véracité de la version des flics mis en examen. Il est tellement lisse qu’on dirait qu’il a été écrit par l’IGPN.
La manière dont BAC Nord traite des violences policières porte en soi un discours d’extrême droite. Parceque la parole est exclusivement policière, mais aussi parce que les intérêts et les trajectoires personelles des personnages de flics sont des archétypes de la subjectivité d’extrême droite. Des personnage aux trajectoires individuelles melodramatiques, dépeints comme modestes, ayant complètement intégré la valeur travail comme seule dignité, droits car opposés à la possibilité de l’enrichissement par des voies illégales (la possibilité de le faire est discutée autour du barbecue, puis évacuée sans débat), menacés de mort par les jeunes des quartiers populaires et à la merci d’un pouvoir politique qui ne s’occupe que de se faire réélire. Ces flics ont le rôle d’une classe ouvrière trahie, que la loi ne protège plus et qui n’a que la sécurité comme horizon. Ils défendent les intérêts des classes supérieures sous la forme d’une mission demandée par l’appareil d’Etat contre une classe inférieure, dépeinte comme une faune crimininelle et bestiale.
Ce film est donc sorti au début d’une campagne présidentielle dans laquelle on sent bien qu’on ne va parler que de "sécurité" et de moyens policiers, au moment aussi où Marseille est au centre de l’attention. Que ce film soit à l’affiche juste avant la visite de Macron qui annonce sa pluie de milliards "pour" Marseille, en même temps que le beauvau de la sécurité et à l’heure où Marine Le Pen peine à convaincre une base qui tend à se Zemmourifier, est soit d’une naïveté crasse, soit une opération de comunication pro-fasciste.
Participer avec autant de bêtise à l’écriture de l’histoire marseillaise uniquement depuis le point de vue des flics est une insulte à tout ce qu’est cette ville mais c’est aussi une insulte à l’histoire politique mondiale après le mouvement Black Lives Matters et tous ce qui a pu couler comme encre sur le racisme systémique.
Sortir un tel film deux ans après le confinement et le festival de violence que ça a permis aux flics dans les quartiers populaires, après le passage à tabac par d’autres bacqueux qui courrent toujours de Maria et la mort de Zineb Redouane pendant les Gilets-Jaunes, celle de Medhi assassiné en février 2020 par cette même BAC Nord qui a pour finir été acquitée et plus récemment de Souhil et traiter la violence policière comme une nécéssité de quelques éléments isolés et abandonnés est non seulement complétement fantasque, mais parfaitement infâme.
Ce film est un archétype du cinéma d’extrême droite.
Un spectateur anonyme.