Le Kurdistan est réparti sur quatre états : L’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. En référence à un grand Kurdistan et comme outil de lutte contre la colonisation de ces quatre États, les mouvements kurdes se réfèrent aux différentes régions du Kurdistan en les désignant par les points cardinaux (en kurde). Le Kurdistan du Nord (ou Bakur) correspond au Kurdistan de Turquie, le Kurdistan de l’Ouest (ou Rojava) à celui de Syrie, le Kurdistan du Sud (ou Bashur) à celui d’Irak et le Kurdistan de l’Est (ou Rojhelat) à celui d’Iran. Les brèves ici transmises concernent principalement le Kurdistan du Nord (Bakur) et le Kurdistan de l’Est (Rojhelat), mais des luttes (et la répression qui va avec) ont lieu également au Kurdistan ouest (Rojava) et au Kurdistan du Sud (Bashur).
Les politiques coloniales et racistes menées par les États turc, syrien, irakien et iranien ont conduit à utiliser des noms turcs, arabes ou perses pour désigner les villes kurdes. Les villes sont indiquées ici sous leur nom kurde avec le nom turc ou iranien entre parenthèses.
Tous les noms précédés d’une astérisque dans le texte, sont expliqués dans le glossaire.
La situation au Bashur* (Kurdistan du Sud, Irak) ne cesse de se dégrader dans un grand flou général. La crise politique et militaire issue du référendum du 25 septembre s’intensifie. Le gouvernement irakien a demandé la dissolution du Gouvernement Régional du Kurdistan Irakien. L’ensemble des partis politiques kurdes du territoire sont en crise (PDK*, UPK* et Gorran*). De plus, le gouvernement irakien a coupé les fonds publics qui permettaient de financer le système de santé au Kurdistan irakien. Celui-ci se retrouve dans l’impossibilité de fournir un système de soins, et de payer les salaires du personnel médical. À Kirkuk, qui a été la première ville des territoires dits disputés* à être repris de force par les milices Hashad al-Shaabi* puis l’armée irakienne, deux bombes ont explosé contre les milices Hashad* et ont fait plus d’une dizaine de morts. En tout, depuis le début des conflits au Kurdistan irakien, il y a environ soixante peshmergas qui ont été tué.es, et 150 qui sont actuellement recherché.es.
De plus, la Turquie et l’Iran maintiennent une pression sur le kurdistan irakien, et les partis de guérilla kurdes qui y sont réfugiés (PKK*, PDKI* et Komala*). La Turquie a bombardé le mont Asos, près de la ville de Suleymanieh, où est établi le camp de base du Komala. L’Iran quand à elle a survolé la zone avec des avions de combat, dépassant ostensiblement les frontières du Kurdistan irakien.
La guérilla continue au Rojhelat* (Kurdistan de l’est, Iran). Le 4 novembre, au moins deux pasdaran* - membres des forces d’élites iraniennes - ont été abattus dans un clash avec les peshmergas* du PDKI* dans les montagnes de Shnou.
Le 29 octobre, la police iranienne a brusquement pris en chasse et ouvert le feu sur une camionnette, près d’une station service de la ville de Paveh. La camionnette transportait des vêtements, importés d’Irak. De nombreuses personnes ont été touchées et la police a battu toutes celles qui ont tenté de protester. Paveh est une ville frontalière de la région de Hawraman. Cette région est fortement appauvrie par la répression et les politiques de sous-développement programmé menées par l’Iran. Les habitants subsistent à partir de la contrebande de petites marchandises de part et d’autre de la frontière irako-iranienne. Les personnes, femmes et hommes, qui sont chargées du transport de ces marchandises sont appelées kolbar*. Ils subissent une répression sanglante par l’Iran, souvent abattus lors du passage de la frontière.
Cette semaine encore, une personne est morte et trois ont été bléssées après avoir marché sur une mine posée par les gardes frontière iraniens. De plus, l’Iran a torturé un enfant de treize ans à la frontière entre le Rojhelat et Bakur, dans le village de Qetûr, près de la ville de Xoy, à Urmiye. Enfin, fin octobre, un rassemblement a eu lieu devant une école de la ville d’Urmiye. Les manifestant.es réclamaient l’arrestation du concierge de l’école, après que celui-ci ait violé une jeune fille de douze ans. La famille avait déjà signalé les faits et aucune démarche n’avait été engagée. La police a violemment dispersé le rassemblement et des émeutes ont éclaté jusqu’au soir dans les rues du quartier. Durant la nuit, cinquante personnes ont été arrêtées à leur domicile par les forces spéciales.
Du côté du Bakur (Kurdistan du Nord, Turquie), les affrontements entre la guérilla du PKK*, les HPG* (bataillon mixte) et les YJA-STAR* (bataillon non-mixte de femmes) se poursuivent. C’est principalement à Çukurca, dans le district de Hakkari, que les affrontements sont intenses.
En réponse aux pertes militaires que la Turquie subie, celle-ci a bombardé des villages à Qandil, au Bashur (Kurdistan du sud, irakien), notamment les villages de Enzê et de Komtan. Car c’est dans le mont Qandil que le PKK a établi ses camps de base, depuis longtemps maintenant. De plus, un enfant kurde de cinq ans a été blessé par des soldats, à Batman. Il est mort de la suite de ses blessures. Enfin, la police turque a cassé des tombes, au cimetière de Yeniköy, dans la ville de Amed. Dans ce cimetière sont enterré.es les combattant.es des YPS, les Unités de Défense Civile. Ils et elles ont combattu en 2015 contre la guerre civile-coloniale relancée par l’État turc, et ont autonomisé un certain nombre de quartiers et villes au Kurdistan du Nord, notamment dans le quartier de Sur, dans la ville de Amed.
Et les arrestations se poursuivent. À Urfa, onze personnes ont été arrêtées pour, on cite, « propagande pour une organisation terroriste », au cours d’un raid mené par la police turque dans des maisons. Quatre personnes ont été emprisonnées dans la prison de Urfa, les sept autres sont placées sous détention provisoire. Un autre raid a été menée par la police turque dans une maison, à Amed, dans le quartier de Kayapınar. Des coups de feu ont été tirés, et un hélicoptère surveillait la maison. Pour l’instant, il y aurait deux morts et plusieurs blessé.es. Enfin, la justice turque a emprisonné Bekir Kaya, co-maire de Van et membre du DBP, le Parti Démocratique des Régions.
Un rapport sur les violences faites aux femmes en Turquie est paru ce mois-ci. D’après ce rapport, appelé « We Will Stop Femicide Platform », c’est une quarantaine de femmes qui ont été tuées en Turquie au cours du seul mois d’Octobre 2017. Ces chiffres sont établis uniquement à partir des informations collectées par des médias : le nombre réel est donc en réalité bien plus important.
Vous pouvez aussi les retrouver en écoute libre / rediffusion sur le blog sonore « Aux quatre coins du kurdistan » : audioblog.arteradio.com/blog/3048057/aux_quatre_coins_du_kurdistan/
Pour aller plus loin, quelques sites d’informations :
Pour le Bakur :
- ANF : https://anfturkce.net/
- Comme Jihna a été fermé, le site qui l’a remplacé est Gazete sujîn : https://www.gazetesujin.net
Pour le Bashur (Kurdistan irakien) :
- Rudaw : http://www.rudaw.net
- Ekurd : http://ekurd.net
Pour le Rojhelat :
- Kurdistan Human Right Association : www.kmmk.info/en/
- Hengaw : hengaw.info/en/ (sans le www.)
Liste médias français :
- Kurdistan au féminin et Kurdistanews
- Kedistan : www.kedistan.net
- Merhaba Hevalno, qui est un mensuel publié en ligne sur kedistan
Glossaire
Régions du Kurdistan :
Bakur : Kurdistan du Nord, situé dans le sud-est de la Turquie actuelle.
Bashur : Kurdistan du Sud, situé dans le nord-est de l’Irak actuel. Appelé « Gouvernement Régional du Kurdistan irakien » (GRK), depuis son autonomisation en 2005.
Rojhelat : Kurdistan de l’Est, situé au nord-ouest de l’Iran actuelle.
Rojava : Kurdistan de l’Ouest, situé au nord de la Syrie actuelle.
Partis kurdes, organisations politiques… :
Gorran : qui signifie « changement », en kurde sorani, a été fondé en 2009 des suites d’un important mouvement social lancé au Kurdistan irakien contre la corruption du gouvernement. Le mouvement s’est peu à peu institutionnalisé en parti, dans l’objectif de briser le monopole du pouvoir exercé par le PDK et l’UPK sur le Kurdistan irakien (Bashur). Cependant, le parti Gorran a été destabilisé par un scandale de corruption quelques années plus tard. L’actuel président en est Omar Saïd Ali.
Milices Hashad al-Shaabi : ces milices ont été créées en 2014 par l’Iran, en Irak. Elles constituent des menaces directes contre les combattant.es kurdes iranien.nes du Komala et du Parti Démocratique du Kurdistan Iranien (PDKI), qui avaient lancé une guérilla dans les années 70 et 80 contre l’Iran.
HPG : Forces de Défense du Peuple. Il s’agit du bataillon armé mixte du PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan. Ils opèrent principalement au Bakur (Kurdistan du Nord, Turquie), contre les forces turques, depuis leurs bases arrières établies au mont Qandil.
Kolbar : ce sont les travailleurs et travailleuses frontalièr.es, à la frontière irano-irakienne et irano-turque, chargé.es de transporter illégalement les marchandises. Ils et elles subissent une intense répression de la part de l’Iran.
Komala (Komalay Shorshgeri Zahmatkeshani Kurdistani Iran) : Comité des révolutionnaires du Kurdistan iranien, fondé en 1969, à Téhéran, en Iran. Peu de temps après la révolution iranienne en 1979, le Komala a lancé une guérilla contre l’Iran. Jusqu’à la fin des années 1980, ce parti d’origine marxiste contrôlait des zones autonomes au Rojhelat (Kurdistan de l’Est, en Iran). Un système politique organisé sur la base de communes était mis en place. Suite à d’intenses répressions, et à la guerre Iran-Irak entre 1980-1988, le Komala a dû se réfugier, comme le PDKI, dans les montagnes kurdes irakiennes. Après avoir gelé la guérilla pendant quinze ans, le Komala a repris la guérilla contre l’Iran depuis désormais un an et demi.
Pasdaran : de leur nom complet Sepah-e Pasdaran Enghelāb-e Eslami, qui signifie « Corps des Gardiens de la Révolution islamique », en Iran. Fondés en 1979 sous l’autorité de l’ayatollah Khomeiny, il s’agit d’une organisation paramilitaire de soldats d’élites, dotée de forces terrestres, aériennes et marines, dépendant du Guide Suprême. Cette organisation comprend des branches civiles, chargées principalement de la surveillance et du contrôle des populations, et qui agit conjointement avec les services secrets iraniens.
PDK : Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran, fondé en 1946, par Mustafa Barzani. Ce parti a mené plusieurs guérillas contre le régime politique de Saddam Hussein, qui a gazé chimiquement des villes kurdes comme celle d’Halabja. En 2005, et après une guerre civile entre le PDK et l’UPK, le kurdistan irakien est autonomisé et devient le « Gouvernement Régional du Kurdistan irakien » (GRK). C’est son fils, Massoud Barzani, qui a pris la tête du parti après l’assassinat de Mustafa Barzani et est devenu président du GRK. Il a démissionné fin Octobre 2017, après le rejet du référendum pour l’indépendance du Kurdistan, par l’Iraq et des interventions militaires de celle-ci.
PDKI (Partî Dêmokiratî Kurdistanî Êran) : Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran, fondé en 1945, à Téhéran, en Iran. Après avoir lancé des soulèvements armés dans les soixante contre l’Iran, le PDKI a lancé une guérilla après la révolution iranienne, plus ou moins en même temps que le Komala. Il est parvenu à autonomiser des zones, en mettant en place son propre système politique, juridique et sanitaire. En désaccord politique avec le Komala, il s’est progressivement retrouvé en conflit ouvert avec cet autre parti de guérilla kurde. Suite à d’intenses répressions, et à la guerre Iran-Irak entre 1980-1988, le PDKI a dû se réfugier, comme le Komala, dans les montagnes kurdes irakiennes. Après avoir gelé la guérilla pendant quinze ans, le PDKI a repris la guérilla contre l’Iran depuis désormais un an et demi.
Peshmergas : à l’origine, ce terme signifie « combattant.e face à la mort ». C’est le nom que ce sont donnés les kurdes qui ont pris la première fois les armes contre les régimes politiques qui les opprimaient : en 1925 en Irak, et en 1946 en Iran. Lorsque la région du Kurdistan irakien (Bahur) a eu accès à l’autonomie en 2005 et s’est dotée d’une armée régulière, cette armée a repris le nom de « peshermags » pour désigner les soldats, en mémoire aux combattant.es mort.es dans les précédentes luttes. Le PKK a fait le choix de nommé autrement ses propres forces, préférant le qualificatif de « guérilla » et de « militant.e ». Cependant, le PDKI et le Komala, au Rojhelat (Kurdistan de l’Est, Iran), continuent d’employer ce qualificatif pour désigner leurs combattant.es.
PKK (Partiya Karkerên Kurdistan) : Parti des travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978, à Ankara en Turquie. En 1984, le PKK a lancé une guérilla contre la Turquie, en établissant ses camps de base dans les monts Qandil, notamment. Plusieurs cessez-le-feu et reprise de la guérilla contre la Turquie se sont suivis. Abdullah Öcalan, l’un des membres fondateurs du parti, a été emprisonné en 1999, sur l’île-prison d’Imrali, en Turquie. Le PKK mène toujours une guérilla contre la Turquie, et a de nombreuses organisations sœurs dans d’autres régions du Kurdistan, comme le PYD au Rojava, le PJAK au Rojhelat, et le TACK (Tevgera Azadî ya Civaka Kurdistanê) au Kurdistan irakien.
UPK : Union patriotique du Kurdistan, a été fondé en 1975, par Jalal Talabani, après une scission avec son ancien parti, le PDK (Parti Démocratique du Kurdistan). Le parti devient une organisation concurrente du PDK dans la lutte armée contre le régime de Saddam Hussein, en Irak, et pour l’indépendance du Kurdistan irakien. À l’issue de la guerre civile qui a opposé le PDK et l’UPK, ces deux partis se divisent le territoire du Kurdistan irakien en deux. En 2005, lorsque le Kurdistan irakien devient autonome, cette division du territoire est maintenue : l’une est sous l’autorité du PDK, tandis que l’autre est sous celle de l’UPK. Jalal Talabani, ancien président de l’Iraq de 2005 à 2014, est mort en 2017. L’UPK est aujourd’hui dirigé par Kosrat Rasul Ali.
YJA-STAR : bataillon armée non-mixte de femmes du PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan. Elles opèrent principalement au Bakur (Kurdistan du Nord, Turquie), contre les forces turques, depuis leurs bases arrières établies au mont Qandil. Leurs opérations sont effectuées soit en non-mixité, soit conjointement avec les HPG*.
Une carte du « grand Kurdistan » :