Carabiniers, policiers nationaux et municipaux patouillent dans la crème solaire de la petite localité touristique de Ventimiglia. Le temps est aux bikinis colorés et aux chapeaux de plage en cette belle matinée ensoleillée d’aout. Mais apparemment pas pour tout le monde. Un contrôle de police à Fanghetto, passage entre la France et l’Italie situé à 15 kilomètres de Ventimiglia, laisse apparaître une autre réalité : « votre apparence pourrait être un indice de rassemblement antagoniste ». Cette fine allégation n’est pas loin d’être vraie.
Et c’est ainsi que « deux Français et une femme d’origine toscane résidant à Paris » se retrouvent dans une gendarmerie de Ventimiglia et y passeront 10 heures. L’accusation vaut son pesant de cacahuètes.
A la troisième perquisition de leur véhicule (ouf…), bingo ! La preuve évidente de leur forfait est enfin débusquée : sur un petit tableau noir habilement dissimulé sous le lit est écrit un message invitant à venir rejoindre les personnes de passage à Ventimiglia. Et allez ! De la pince à épiler aux ciseaux à ongles, tout objet de la vie quotidienne de qui recherche un tant soit peu d’autonomie devient arme potentielle.
Avec avidité, le petit duce de la Questura d’Imperia pousse un peu du coude la presse. Et l’ANSA, suivie de quelques autres médias, s’empresse d’annoncer la bonne nouvelle : « deux femmes et un homme, trouvés en possession de bâtons, de barres de fer, de chaînes et de couteaux. »
La bonne blague ! Il s’agit en fait d’un vieux râteau déglingué, de trois poids pour mesurer les quantités de nourriture et d’un couteau un peu costaud trouvé au milieu des petites casseroles de la dinette…
Pour le ‘préfet’ [il questore] d’Imperial, Leopoldo Laricchia, le PQ est-il aussi une arme potentielle ?
Toujours est-il que, pour les flics, c’est du lourd : les No Bordes, qui « de par leurs sites sociaux [sic], peuvent être reliés aux mouvances de la gauche radicale, de l’anarchie et de l’antagonisma en général, ont publicisé l’initiative à l’échelle nationale et il n’est pas exclu que les circonstances puissent offrir le prétexte pour donner vie à des contestations de nature violente et illégale ». A coup de vieux râteau, bien sûr !
La journée se passe donc dans une petite pièce qui ressemble à une salle d’attente de médecin généraliste, avec quelques revues militaires à consulter. Aucun interprète pour les étrangers, et une stratégie unique appliquée, la division.
L’italienne du groupe commence à subir la pression et une série de menaces, tout d’abord de manière soft : le flic qui joue au gentil annonce qu’ « il comprend que tu veuilles aider ces personnes mais après vous vous retournez contre nous », et ça empire : « vous pensiez nous prendre pour des cons, mais maintenant tu vas voir comment vont se passer tes vacances ». Un autre flic aux allures de Big Jim, pectoraux bien gonflés et sourcils épilés au millimètre, s’agite et hurle dans son bureau « je ne vais pas rester calme, hier un collègue est mort et c’est de votre faute ». Il menace de perquisitions au domicile et, enfin, incite à la « dissociation » : « pour toi, c’est une procédure et pour les Français une autre, alors si tu veux tu peux t’en aller ».
Après 8 heures de ce manège, I’équipe semble pouvoir enfin sortir « dans 10 minutes », « dans 10 minutes », « dans 10 minutes »… Et voilà donc les fogli di via1 pour tout le monde et, petit souvenir de la questura d’Imperia pour les deux français.es, l’interdiction du territoire italien pour cinq ans.
Ici comme ailleurs, la répression prend des formes toujours plus grotesques. En parallèle de cette ridicule scène de criminalisation, les personnes de passage errent toujours sans eau ni nourriture dans la ville de Ventimiglia, grâce aux bienfaits de l’Etat italien et de la mairie.