On entend déjà commenter, analyser, baver sur ce qui s’est passé, avec plus ou moins de pertinence et de proximité avec la vérité : le pote aurait des troubles psychiques, quand on est dans sa situation on a plutôt intérêt à raser les murs et fermer sa gueule, il a vraiment déconné sur le coup, quand on fonce dans un mur on se le prend...
La liste pourrait s’allonger, la liberté de commenter étant bien une des dernières qu’on nous concède pleinement.
Quelques précisions toutefois, aussi en forme de mise au point :
Être sans-papiers, c’est être exposé à la menace permanente d’un contrôle policier, qui peut conduire à l’arrestation, l’enfermement en centre de rétention et à la déportation.
Et cette menace est toujours présente. Être confronté aux gendarmes quand on est sans-papiers active de fait cette terreur. Essayez au moins d’imaginer dans quel état cela peut mettre. Et sans même parler du traitement réservé aux personnes racisées dans de nombreuses rues, quartiers et commissariats de l’hexagone.
Les états d’urgence sanitaires et sécuritaires permanents dans lesquels nous sommes désormais plongés confèrent aux forces de l’ordre des pouvoirs arbitraires et exorbitants. Quand nous mouvoir dans l’espace public ne nous est pas purement et simplement interdit, celui-ci est quadrillé par des flics surarmés et galvanisés par leur toute puissance.
Dans cet état policier qui ne se masque plus, les catégories précarisées, discriminées et fragilisées sont d’autant plus en danger.A cette époque qui transpire par toutes ses pores l’obéissance et la soumission, ceux qui ont pour mission de nous tenir en laisse ne supportent plus le moindre début de commencement de remise en cause de leur autorité. Plutôt que de laisser s’apaiser une situation qui pourrait dégénérer, ils ne lâchent rien. Et la violence accompagne fatalement cette posture.
Pour notre santé et notre sécurité, nous n’aurons plus de libertés, nous disent les experts et autres administrateurs de nos vies. Ceux-là même qui administrent le désastre dans lequel nous nous noyons.
Notons au passage que la scène du marché s’est déroulée sous le regard et les commentaires de très nombreuses personnes, mais qu’il ne s’est trouvé pour le coup personne pour l’aider à se tirer de ce piège. Pour parler, ça parle...
Pour ces raisons et tant d’autres, nous dénonçons sans nuances ce qui est arrivé hier à notre ami, et les conséquences odieuses qui peuvent en découler sur sa vie, et ce quelles que soient les circonstances particulières qui ont pu conduire à cette situation.
Entre des policiers qui incarnent cet ordre et cette mise au pas iniques et une personne qui fait partie de celles et ceux qui le subissent en première ligne, nous nous positionnons.
Nos rues et nos places ne sont pas des casernes et des terrains de chasse. Nos vies ne peuvent pas se réduire à cette pathétique mascarade. Nos libertés ne peuvent pas exister que dans nos bouches…