De l’avantage de faire pression sur les avocat.es (pour obtenir du guacamole) : Retours sur une journée au tribunal

La première moitié de l’année 2023 a été riche en moments de révolte, et, en moins chouette, les procès se sont succédés. L’envie d’écrire ce texte est née de nos réflexions pendant et après une journée passée au tribunal au printemps dernier.

La première moitié de l’année 2023 a été riche en moments de révolte, et, en moins chouette, les procès se sont succédés. L’envie d’écrire ce texte est née de nos réflexions pendant et après une journée passée au tribunal au printemps. On était venu.es là pour assister à l’audience d’un.e compagnon.ne qui passait sous X, n’avait pas respecté son contrôle judiciaire et n’était pas présent.e dans la salle. Ce jour là, y avait 4 personnes, dont notre pote, qui comparaissaient pour des faits de rébellion et/ou outrage et/ou violence contre personne(s) dépositaire(s) de l’autorité publique (des flics quoi).
Si on est habitué.es à vivre ou à voir la violence de l’état, sa justice et ses flics, on est sorti.es plutôt sonné.es et en colère de ce qu’on avait vu, autant dans les plaidoiries des avocat.es conseillé.es par la Legal Team de la ville, que par certaines défenses individuelles des accusé.es. Si on est vulnérables et souvent abîmé.es dans les mains de l’état, on peut aussi l’être dans celles des avocat.es qui bénéficient à la fois d’un statut d’expert du droit et de la justice et de leur image d’avocat.es « militant.es ».

On a tourné le truc dans nos têtes, on s’est demandé si ça valait la peine d’écrire un texte public là dessus, et on finit par décider que oui, parce ça nous paraît nécessaire de mieux penser les stratégies de défense collective et individuelle possibles dans des contextes de répression. À la fois pour tenter d’instaurer un rapport de force avec les avocat.es sur nos choix de défense, pour rester cohérent.e vis-à-vis de nous-même et le plus autonome possible, et afin de se protéger au mieux et d’en tirer de la force.

Tout le monde déteste la police.. ?

La première chose qui nous a marqué pendant ces procès , c’est d’entendre autant de discours pro-flics dans la bouche d’ avocat.es considéré.es « militant.es » (en tous cas travaillant avec la Legal Team), même si on se fait pas d’illusion sur le fait que les avocat.es sont des rouages du système judiciaire.
L’avocat de la première personne1 a en effet commencé par dire qu’il respectait le travail des policiers et que la violence de la personne qu’il défendait à leur encontre n’était pas justifiée... Il a cherché à individualiser le cas de sa cliente en mettant en avant que c’était son procès à elle et pas celui de « tous les militants qui détestent la police ». Il a aussi demandé une peine « juste » (on savait pas que ça existait) contrairement aux deux autres avocates qui ont plaidé la relaxe. L’avocate des personnes 2 et 3 a quant à elle rappelé « tout son respect pour les forces de l’ordre ». C’est un peu plus dur de lui en vouloir puisque la personne 2 a déclaré par lui même qu’il n’a rien contre la police puisque ce sont ses alliés (ce qui est tristement vrai puisqu’il est à ce moment là lieutenant dans l’armée de terre...).

Malgré ce respect pour les keufs, une partie des défenses étaient axés autour des violences policières. Des violences policières qui sont toujours présentées comme des bavures ou des dérives alors que ce sont des pratiques courantes et normales de la part d’une institution dont le but principal est de maintenir l’ordre. L’existence de la police implique en soi sa violence. Le problème, au fond, n’est pas tant sa violence que son existence et le monde d’autorité et d’oppressions qu’elle protège – qui sont fondamentalement violents. En tant qu’anarchistes, on ne souhaite que sa destruction.

On ne pense pas qu’un tribunal soit forcement le lieu pour avoir ce genre de discussion mais on trouve en tous cas problématique le rapport des avocat.es (et des défenses de la majorité des accusé.es) à la police. En vrai, c’était réjouissant de savoir que 25 flics ont été blessé ce soir là et on ne pense pas que la haine de la police devrait s’arrêter à l’entrée des tribunaux surtout que toutes les personnes jugées le sont pour des violences contre flics.

Suivant d’une certaine manière cette logique, les avocat.es encouragent à porter plainte contre les flics auteurs de violences. L’avocate commise d’office de la personne 4 a même exprimé son regret qu’iel ne porte pas plainte.2 Si on comprend ce qui peut pousser une personne à le faire (une réparation économique, une manière de répondre à l’injustice, chercher à prouver la vérité de la violence subie, pour ne pas qu’elle tombe dans l’oubli), on reste sceptique et méfiant.e vis à vis d’avocat.es qui le conseillent pour plusieurs raisons :

  • porter plainte, c’est souvent se re-traumatiser, se jeter dans la gueule d’une machine judiciaire qui écrase les individualités et les histoires. C’est être obligé.e de s’inscrire dans une temporalité qui n’est pas la sienne, mais bien celle de l’état et des juges. On peut se demander si attendre quatre ans pour obtenir un quart de ses demandes, ou pire rien du tout, fait vraiment office de réparation... Les avocat.es le savent très bien mais préfèrent régulièrement se faire des sous et privilégier leur vision du monde, du « droit commun » qui serait forcément amélioré par une réforme de la police.
    On pense que tous.tes les avocat.es se font de la thune sur les galères et la misère des autres. Qu’il soit militant.e, de gauche ou commis.e d’office, iels participent à la machine judiciaire. Une grande majorité d’entre elleux n’hésite pas à instrumentaliser les violences que l’on peut subir pour gratter de la reconnaissance médiatique ou avancer dans leur carrière gagnant toujours plus de prestige sociale et d’argent…

L’exemple de « Maître » Airé Alimi est assez parlant. Il s’est spécialisé dans les affaires de « violences policières » suite à la mort de Rémi Fraisse dans le Tarn puis a continué sur sa lancée pendant le mouvement contre la loi travail et celui des gilets jaunes ou encore lors du meurtre policier de Cédric Chouviat à Paris. On en entend parler plus récemment à Marseille puisque c’est lui qui intervient dans le procès de Mohamed Bendriss, tué par un tir de ldb pendant les émeutes alors qu’il filmait une scène d’interpellation. Il défend aussi le cousin de Mohamed, Abdelkarim Y., qui a perdu l’usage de son œil également à cause d’un tir de lbd. Début août 2023, sur BFM-TV, Arié Alimi nous parle de « réfléchir à la possible suppression des lbd ». Encore une fois, une réforme comme solution à un problème beaucoup plus large contre lequel pas mal de personnes ont pourtant déjà trouvé par elleux-mêmes un moyen d’action : la révolte contre les flics et le monde qui en a besoin.

Porter plainte contre la police, c’est aussi :

  • demander à l’état de condamner l’un de ses agents. Ça peut arriver de temps en temps mais ça nous semble assez peu probable et assez contradictoire. Et puis, c’est toujours demander à un intermédiaire – jamais neutre et qui est en plus ennemi de notre liberté - de régler un conflit alors que ça nous fait plus sens de chercher des manières d’agir autonome . En plus, la logique qui sous-tend le fait de porter plainte est une logique carcérale – forcément réformiste. Et si on déteste la police, on ne souhaite pas pour autant que les flics aient en prison puisqu’on souhaite un monde sans prisons (ni flics d’ailleurs).
  • Enfin, les plaintes pour violences policières ont souvent été utilisé par les juges pour éviter de parler de la violence des flics en renvoyant « la question » à l’éventuel futur procès lié à la plainte. Ce qui contribue à séparer la colère contre (la violence de) la police du reste du procès.

L’usage régulier des vidéos de la part des avocat.es nous semble souvent aller dans le même sens que la plainte pour violences policières. Si on ne choisit pas les vidéos utilisées par les juges, et que ça peut parfois avoir du sens de se défendre sur la base de ce qui est montré sur la vidéo, on pense qu’il y a un enjeu à être extrêmement attentives à ne pas incriminer d’autres personnes.

Et même si ce jour là, les seules vidéos montrées à l’audience ont été celles des caméras piétons de la police, ça nous a amené à réfléchir à l’utilisation de plus en plus systématique de vidéos issues de téléphones persos dans le cadre de procès liés à des manifs, des révoltes ou des violences contre la police et/ou policières. On pense que le fait de filmer (dans ce cas « les violences policières ») ou de se plaindre de l’absence de vidéo (montrant une arrestation violente par exemple) s’inscrit dans une logique visant à toujours plus de vidéos, de caméras, de surveillance et de contrôle. Ce n’est pas anodin à Marseille où, selon le collectif Technopolice, le nombre de caméras de surveillance dans la rue est passée de 200 en 2013 à plus de 1550 en 2022 . L’arrivée prochaine des JO à Marseille (la flamme Olympique arrive en Mai 2024) ne fait que renforcer ce processus. Plus de flics, plus de caméras, la ville fait sans cesse la promo de sa police et de sa sécurité.

Mise à part le fait qu’avoir un smartphone sur soi veut dire être localisable et avoir un micro sur soi en permanence, son utilisation comme caméra implique souvent de mettre en danger d’autres personnes en créant des preuves supplémentaires qui peuvent être ensuite utilisées dans un tribunal. On voit bien que souvent l’idée derrière le fait de filmer des flics violents est d’éviter qu’ils aient « trop loin », qu’ils mutilent ou tuent. Et si parfois ça pu être évité par la pression des personnes autour et de leurs téléphones qui filmaient, ça a aussi souvent empêcher de réagir ou d’agir directement contre les flics. Et plus d’un sont morts sous le regard froid et distant d’un téléphone ou d’une caméra.

Défense de profil, privilège blanc... un arrière goût dans la bouche

Au cours de cette journée au tribunal, on a vu passer devant la juge majoritairement des personnes racisées plutôt en galère (galère de thunes et/ou pas de papier français). Contrairement aux personnes jugées pour le carnaval qui comparaissaient libres, la plupart arrivaient directement de détention provisoire. Inévitablement, les juges ont été méprisant.es et impitoyables. Par exemple, une personne qui ne parlait pas français et ne trouvait pas la salle d’audience a été jugé sans sa présence (et sans interprète) et condamné à huit mois fermes. Rien de bien surprenant pour un tribunal dont le but est de broyer la vie de celleux qu’il considère comme indésirables. La répression qui a suivi les nuits d’émeutes après la mort de Nahel l’a bien montré. Sur les 30 personnes jugées le 3 juillet, la grande majorité d’entre elles ont été envoyées en taule prenant entre 4 et 12 mois fermes pour des faits de vol.

Les procès dont on parle ici sont assez différents. Les personnes qui étaient jugées pour les soirs du Carnaval était surtout des personnes blanches, avec des casiers vierges. La seule personne racisée était un militaire gradé. Arrivé avec ces privilèges là au tribunal de Marseille c’est pas rien, ça donne souvent droit à la clémence des juges, ou au moins, à une certaine empathie, qu’on pourrait aussi appeler solidarité blanche ou solidarité de classe. Certaines personnes n’y auront simplement jamais accès.
Les stratégies de défense de ces personnes, comment elles choisissent de répondre aux questions des juges, ce que mettent en places leurs avocat.es (les deux ne sont pas toujours synchro), s’inscrivent dans ce contexte là. Beaucoup de ce qui a été choquant cette journée là venait de l’écart immense entre le minimum qu’on attendait d’avocat.es dit.es militant.es travaillant avec la legal et de personnes arrêtées pour violences contre la police (ce qui est chouette – la violence hein, pas l’arrestation), et les pratiques de dissociation et de défense de profil qui ont pris (presque) toute la place.

Pour clarifier, la défense de profil consiste à utiliser ce qui caractérise la valeur d’une personne dans cette société, entre autres la classe, la blanchité, l’âge, la santé mentale, et donc l’accès au logement, à la propriété, au travail, à la famille. Ça permet souvent ensuite de minimiser les actes dont la personne est accusée, de les faire passer pour un accident, de les distancer de la personne qui les a commis. Ce jour là à Marseille, les défenses étaient surtout axées autour de cette idée : les actes ne ressemblent pas aux accusé.es.
C’était possible d’entendre par exemple, de la part de l’avocat de la personne 1, que la jeune femme blanche qui était accusée d’avoir jeté des projectiles sur les flics, « n’avait rien à faire ici », puisqu’elle avait travail, étude, logement, perspectives professionnelles. En bref, elle « a un avenir devant elle ». Sympa pour tous.tes celleux qui n’en ont pas ou n’en veulent pas et tout simplement pour tous les autres qui sont passés avant, le matin même... Clairement, cette défense est impossible pour beaucoup de celleux qui passent le plus de temps dans les tribunaux. Les trois premiers accusés et leurs avocats vont évoquer leur travail, leur salaire ou leur carrière, pour souligner le coté accidentel de cette soirée ou iels ont attaqué la police.

Cette justice bourgeoise et raciste n’a rien de nouveau, mais elle est toujours aussi dégueulasse à voir, quand elle crée une distinction aussi nette entre les personnes racisées et/ou pauvres qui sont la norme dans ce tribunal, puisque beaucoup plus surveillées et réprimées par la police et l’état, et une femme blanche qui n’aurait « même pas » sa place ici. « Une erreur de parcours », pour une personne qui pourtant a assumé que c’était sa colère contre la violence de la police qui l’avait menée à s’attaquer à eux.
Ce genre de défense va souvent être proposée par les avocat.es, que ça soit un commis d’office en garde à vue ou un avocat « de gauche », parce que quand on y a accès, c’est vrai qu’elle protège et qu’elle est facile à utiliser et c’est normal d’avoir envie de se protéger quand on passe devant la justice de l’état, qui agite la menace de la taule sous nos yeux tous les jours pour nous rappeler de quoi on doit avoir peur. Ne rien donner de soi n’est pas forcément une stratégie qui est possible pour tout le monde, mais on pense que c’est nécessaire de cadrer nos avocat.es, et de se poser certaines limites à ne pas franchir, pour ne pas se retrouver à renforcer, parfois à son insu, les distinctions entre les bons et les mauvais coupables, ceux qui prennent cher et ceux qui sont protégés, encore et toujours. On a envie de défendre que c’est possible de tenter de ne pas reproduire la merde des catégories dans lesquelles nous met ce monde.

Il y avait des contrastes forts dans les stratégies de défense ce jour-là, pas tant dans celles mises en place par les avocat.es, que dans ce que chaque personne a répondu au juge dans l’interrogatoire individuel. La première accusée a plutôt tenté de poser des trucs politiques, elle parle de sa « haine » face à la violence de la police, qui « butent tout le monde » alors que le deuxième accusé est un militaire gradé, qui déclare « je n’ai rien contre la police parce que ce sont mes alliés. » Ce n’est pas surprenant de la part d’un militaire, mais ces deux personnes se sont fait arrêtées ensemble, et leurs défenses se sont retrouvées entremêlées.

Ça semble important d’en parler parce qu’une défense individuelle et une défense collective n’ont pas les mêmes conséquences. Utiliser une défense collective dans un tribunal c’est essayer de coordonner les stratégies de défenses, de ne pas renforcer les différences entre les accusé.es, ou au moins de se mettre d’accord sur ce qui va être dit face au juge. C’est pas ce qu’on a vu ce jour là et c’était douloureux de voir qui a su le mieux tiré son épingle du jeu ce jour et qui n’a pas été soutenu.e.
La première accusée a pas mal répété que sa colère contre la police venait du fait que son pote arrêté avec elle (la personne 2) avait subi un contrôle policier violent la semaine précédente. On apprend ensuite dans le témoignage de la personne 2 à la juge qu’en fait elle est « sa compagne » et que si il a réagi, c’est parce qu’il voyait « une femme qu’il aimait se faire frapper », mais que ce sont des comportements qu’il n’a pas normalement. Auparavant en garde à vue, il avait déclaré qu’elle était « incontrôlable » et qu’il a « essayé de la calmer ». C’est pas des propos anodins, et la juge et le proc’ vont sauter dessus, puisque ça change l’histoire qui peut être racontée. On passe de la colère d’une meuf contre les flics après avoir vu ses conséquences sur un pote, au sauvetage romantique d’une nana qui « pète les plombs » par son partenaire militaire, ami de la police. Ça vient brasser des imaginaires misogynes et figer les rôles, renforcer des catégories dans lesquelles ça convient tout à fait à l’état de nous maintenir. C’est de la dissociation. Et ça aura des conséquences puisque la personne 1 va prendre le double de la peine de la personne 2, 6 mois de sursis contre 3 mois.

Si on raconte tout ça, c’est parce que ce moment a provoqué de la colère oui, mais aussi parce que on sait que se retrouver dans un tribunal c’est être isolé.e forcément au moins dans le moment, parfois encore plus si t’es passé.e par la case préventive, et que c’est hyper galère de s’y retrouver entre les injonctions des avocat.es, des juges et des proches. Et on a vu cette personne tenter de mettre en place des choses qui nous parlent, au moins en partie, et puis perdre sa force face à l’argumentaire mis en place par son avocat et « son » mec, qui à ce moment là, avait plus de pouvoir qu’elle. Comment on évite d’en arriver là ?
On veut réfléchir à pas reproduire ces dynamiques là, à donner de la force aux compagnon.nes et aux copain.es quand on se retrouve dans ces situations, à affûter nos outils contre les juges mais aussi contre les avocat.es, même les plus militant.es. Et aussi face à nos proches qui ne sont pas solidaire de nos rages ou de nos vrilles contre ce monde et/ou tentent de sauver leur peau aux prix de la notre.

On raconte aussi ça parce que si nos perspectives de défenses légales sont ancrées dans nos réflexions politiques, on pense aussi que les stratégies qui nous parlent le plus peuvent parfois être celles qui nous défendent le mieux. Lae compa qu’on était venu soutenir a réussi à sortir sous X et a obtenu la plus petite peine (3 mois de sursis). Ça ne veut pas dire que passer sous X c’est LA bonne idée. C’est extrêmement risqué, et c’est dur d’éviter la provisoire1. Mais un des intérêts de la stratégie du « sous X » à long terme, c’est aussi d’éviter le cumul de peines et les casiers judiciaires longs comme le bras. Et c’est aussi une manière de résister au fichage et à l’identification (surtout quand elle est pensée de manière collective). En bref, c’est une stratégie qui peut permettre d’éviter (ou de diminuer) le temps passé en taule sur le long terme mais qui est qui est extrêmement stressante et expose à la prison dans l’immédiat.

Ce qui était frappant, c’était la différence de réaction des juges face à une personne dont ils réussissent à obtenir toutes les informations qu’ils veulent, qui se rend vulnérable face à elleux, et une personne dont ils ne savent rien. Garder le silence, ne pas trop en dire de soi, ne rien leur donner, c’est souvent aussi se protéger de tous les outils qui sont à la disposition de l’état pour nous réprimer.

Si c’est contraint c’est pas du soin

Tout au long de cette journée on a vu que les obligations de soins étaient présentées comme du « soin », une peine moins lourde, voire qui n’en est pas vraiment une alors qu’en vrai les obligations de soins ne sont pas du soin mais bien une peine. La manière de subir le pouvoir psychiatrique ne se passe pas seulement entre les quatre murs de l’HP, dans des unités SMPR2 ou UHSA3 mais aussi dehors de façon plus pernicieuse. Les obligations de soin peuvent prendre la forme d’obligations de traitement, de suivi psychiatriques, de mise en institution psy, d’arrêt de drogue forcé, de rendez-vous régulier au SPIP etc.
C’est une extension de la prison dehors, qui, comme toute autre peine alternative, a des conséquences si on ne la respecte pas. Évidemment, on comprend pourquoi on a envie d’échapper à l’incarcération, dont on ne minimise pas l’impact sur la vie des gens. Si c’est vrai que le bracelet électronique et les obligations de soins peuvent être plus adaptées pour certaines personnes, ce qui nous paraît problématique c’est le manque d’accès à des informations concrètes concernant ce que peuvent impliquer ces peines et donc sur les conséquences qu’elles peuvent avoir sur nos vies. Ça nous paraît important d’avoir en tête ces enjeux là afin de pouvoir adapter nos stratégies de défense.

Quand la personne 1 se retrouve à se faire interroger par la juge en détails sur sa santé mentale (suivi psychiatrique, médicament, poids) on se demande si son avocat - si exalté dans sa plaidoirie...- lui a vraiment donné le moindre outil pour se protéger. Elle a affirmé que l’alcool avait pas eu d’impact sur sa décision d’attaquer la police, mais la juge, soutenue par les déclarations en garde à vue de la personne 2, a préféré considéré qu’au vu de sa prise de médicament, c’est l’alcool qui l’avait influencée. On a pu voir comment, comme souvent, la juge a minimisé ses tentatives d’assumer ses actes, en la faisant passer pour une fille folle un peu trop bourrée qui aurait fait des bêtises.

Tout le long de la journée, les accusé.es n’ont pas arrêté de parler de leurs problèmes psy et de leurs traitements médicaux. On ne sait pas si c’était encouragé ou non par les avocat.es mais les juges n’ont pas hésité à sauter sur l’occasion. Dans tous les cas, se pathologiser dans un tribunal, c’est s’engager sur un chemin dont il est vraiment difficile de sortir.

La psychiatrie fait partie des instruments de contrôle social, de répression et de normalisation qui cible et se resserre particulièrement sur les personnes subissant les oppressions de genre, de race et de classe. Les obligations de soins sont en liens direct avec les institutions psychiatriques qui travaillent étroitement avec les institutions pénitentiaires, et dont il est galère de se défaire.
Si les peines alternatives ne sont pas une incarcération à proprement parler, elles ont des impacts bien réels dans le quotidien de celleux qui la subissent et les restrictions de liberté qu’elles génèrent sont une forme d’enfermement circonscrite à un ou plusieurs aspects du quotidien. L’espoir d’obtenir une peine moins lourde ou alternative ne fait pas que l’on échappe au système répressif en lui même vu que les institutions et les moyens de surveillance et de contrôle social sont interconnectés entre eux....Par exemple, sur le fait qu’une personne « sous » obligation de soins doit justifier du respect de ses obligations auprès du SPIP (ou tout autre association socio-judiciaire mandatée).

La défense de l’avocate de la personne 3 n’était basée d’ailleurs que sur ça : elle a demandé une expertise psychiatrique pour son client (qui a d’ailleurs été refusé par la justice), elle parle d’un état de « folie », elle insiste sur sa prise de médicaments… Et ce sera pas sans effet puisque c’est cette personne qui va subir la peine la plus lourde, c’est à dire 6 mois de sursis probatoire de deux ans avec obligation de soins et obligation de travail. La défense des autres personnes a joué sur plusieurs tableaux, dont on a déjà parlé, et iels ont donc échappé à l’obligation de soin, mais on voit bien ici la conséquence de n’insister que sur ça.
Dans le cas de la troisième personne, la situation était différente de la première : malgré le fait qu’elle s’est pointée en freestyle derrière un flic pour lui foutre une balayette en rentrant chez elle, la personne n’a jamais tenté de revendiquer son acte, mais a au contraire utilisé les stéréotypes du fou « auto-destructeur », pour se dissocier de son acte, qu’on trouvait pourtant chouette, et a entretenu l’image proposée par l’avocate.

Dans tous les cas, encore une fois, en dire le moins possible permet de se protéger le plus, parce que chaque morceau qui est donné peut-être instrumentalisé contre nous… et on ne peut pas nier que dans les tribunaux, la psychiatrie joue un rôle important au maintien de l’ordre social et de la notion de normalité comme vérité absolue. C’est un maillon de la chaîne qui participe à nous déposséder de nos vies.
Une autre conséquence que ça crée est de complètement dépolitiser ce que l’on peut ressentir face aux keufs et à l’état. On a pas arrêté d’entendre que les gens avaient fait un geste irrationnel, avaient traversé une folie passagère qui n’aurait (presque) pas eu de sens, car ils n’étaient pas dans leur état « normal ». Ce qui contribue à les éloigner de leurs actes. On comprend le fait de péter les plomb parce que ce monde fait péter les plombs. Le fait d’être en colère, d’avoir de la rage, et de la retourner parfois contre des responsables de notre souffrance, nous est proche et nous parle. Nos émotions sont aussi conditionnées par la domination que l’on subit et donc les mettre complètement à distance de nous mêmes les vide de leur sens.

Voilà, cette journée nous a pas mal questionné sur les choses que l’on a pas envie de reproduire et aussi sur comment mieux se protéger de la pathologisation qui limite encore plus nos prises – déjà restreintes - face à la justice. On s’est rendu compte qu’on est démuni face à la psychiatrie au sein des tribunaux, et qu’on aimerait plus y réfléchir et trouver des manières de s’auto-défendre.

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