Victor Serge est surtout connu comme l’un des premiers dénonciateurs du totalitarisme stalinien. En 1917, il vient de purger cinq ans de prison en France pour sa collaboration au mouvement anarchiste ; la révolution qui commence en Russie répond à son impatience de passer à une action efficace dans un contexte de désespoir, de guerre et d’effondrement des mouvements révolutionnaires en Europe. Exilé à Barcelone, il publie un Essai critique sur Nietzsche dans lequel il approuve l’individualisme nietzschéen qui vise à produire des individus forts et autonomes, exigeants envers eux-mêmes comme envers les autres, nobles dans leurs aspirations, généreux parce qu’ils ont beaucoup à donner mais méprisant le conformisme et l’esprit grégaire. En même temps il met en garde contre un autre aspect de la philosophie de Nietzsche, une exaltation de l’autorité et de la hiérarchie sociale. Toute l’œuvre de Serge, depuis ses articles de jeunesse dans le journal l’anarchie jusqu’à ses Mémoires, en passant par ses romans et essais politiques, est imprégnée de ses efforts pour concilier un individualisme de type nietzschéen et une lutte collective pour l’émancipation de tous et la création d’une société sans classes.
À l’heure actuelle où l’individualisme est presque toujours compris comme un repli sur une petite vie de consommation indifférente aux autres, où les luttes collectives sont dispersées et ne concernent qu’une minorité de personnes, il est intéressant de réfléchir à la liaison exprimée dans cet essai entre la construction de personnalités fortes tournées vers un idéal élevé et l’union de toutes ces forces pour produire une société sans dominations, ouverte à l’épanouissement propre de chacun. Comment favoriser de telles personnalités ? Comment concilier l’exigence d’autonomie individuelle et la solidarité ?
De cette conciliation dépend la possibilité d’une véritable révolution.
Débat présenté par Annick Stevens, philosophe et traductrice de l’Essai.
Le vendredi 7 décembre, 19h - Mille Bâbords, 61 rue Consolat