Dérive des conditions d’accueil des travailleurs saisonniers - Drame pendant la récolte des pommes dans les Alpes de haute-Provence

Dans les Alpes de Haute-Provence (04), en pleine campagne de récolte des pommes, dimanche 11 octobre 2020, une saisonnière de 32 ans est retrouvée morte asphyxiée dans son véhicule. Un chauffage de fortune improvisé par la victime serait à l’origine de son décès. La presse et l’employeur parlent d’un accident, mais pour les saisonniers ceci n’est pas une fatalité. Cette terrible nouvelle amène à se (re)questionner sur les conditions d’accueil des travailleurs temporaires dans le milieu agricole.

En effet, en guise d’hébergement, son utilitaire, stationné sur un bout de parcelle, non aménagé, alloué par son employeur à une partie des travailleurs venus récolter les pommes depuis septembre. Sans point d’eau, toilettes, ou douche, le campement de fortune n’est bien évidemment pas non plus équipé en électricité, malgré les requêtes répétées des saisonniers. Dans cette petite commune rurale de montagne, le froid se fait ressentir rapidement en cette saison automnale, ce jour là le thermomètre est déjà descendu sous 0°C. La victime s’est fabriqué de quoi se réchauffer, selon un tutoriel trouvé sur internet, et mourra asphyxiée par inhalation de la fumée du système de chauffage improvisé. Le lendemain, ni deuil, ni hommage, ses collègues ouvriers, encore sous le choc, sont exhortés à venir travailler. Les pommes doivent être ramassées. Dans la presse locale, quelques lignes aux informations erronées et laissant planer le vague sur les raisons de la présence de la jeune fille sont publiées. Un accident de plus est évoqué. C’en est trop pour les saisonniers pour qui ce drame terrible aurait probablement pu et dû être évité, si la travailleuse avait été accueillie dans des conditions dignes.

Les travaux saisonniers agricoles comme les récoltes nécessitent une main d’œuvre importante sur une courte période, la main d’œuvre locale n’étant pas assez importante pour assurer la saison. Les exploitants agricoles en appellent alors aux saisonniers étrangers et français d’autres région, qui doivent se loger provisoirement, le temps que les travaux agricoles soient accomplis. L’offre privée reste insuffisante, inadaptée, et économiquement peu intéressante pour ces nombreux travailleurs précaires rarement rémunérés plus que les minimas sociaux imposés (lorsqu’ils ont la chance d’être déclarés). Face à ce problème, pour disposer de la main d’oeuvre suffisante et la fidéliser, certains employeurs proposent de loger les travailleurs, cependant les saisonniers en habitat mobile autonome (camping-car, vans...) et les campeurs restent très présents, et indispensables face à l’offre d’hébergement déficitaire en ces périodes. Mais les petits campings de ces régions rurales sont rapidement saturés. En connaissance de cause, certains exploitants se donnent les moyens de recevoir leurs ouvriers dans des conditions dignes (aménagement d’aire de camping aux normes, mise à disposition de mobil-home, d’espace commun chauffé, et/ou avec électricité...) et malheureusement d’autres ne le font pas (logements collectifs surpeuplés, camping sauvage sur une parcelle, sans mise à disposition de sanitaires ni d’eau potable, sans électricité...) quitte à mettre en danger les ouvriers contraints d’accepter des conditions indignes pour pouvoir travailler, tant il est devenu aisé d’être remplacé. C’est un chantage que les saisonniers ne veulent plus accepter. Le cas de cette saisonnière n’est pas isolé, beaucoup d’exploitants agricoles adoptent cette attitude, embauchant des travailleurs sans pouvoir garantir des conditions d’hébergement dignes, dans l’indifférence la plus totale. D’autres secteurs comme le tourisme et la restauration faisant appel également à des saisonniers sont régulièrement pointés du doigt suite à de nombreux décès liés aux conditions d’hébergement.

Entre tristesse et colère, les saisonniers encore présents dans le paisible village, bouleversés par le décès de leur collègue s’organisent pour informer par leurs propres moyens consommateurs, population, acteurs locaux et autres saisonniers de ce sinistre accident qui pour eux n’est pas une fatalité. Un tract a été rédigé, traduit en plusieurs langues et diffusé par leurs propre moyens pour alerter et appeler à la solidarité, afin que la longue liste des travailleurs, morts à cause des conditions précaires offertes aux ouvriers, ne s’allonge plus jamais. Ce matin, samedi 17 octobre, à Sisteron, ils sont descendus au marché hebdomadaire distribuer pacifiquement leur communiqué pour informer de la situation et ont déployé quelques banderoles. La population semble majoritairement compatir à la situation et soutenir la démarche des saisonniers pour cet appel à pouvoir travailler dans la dignité.

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