Avertissement de contenu : mentions non spécifiques d’abus, y compris d’abus sexuels
Introduction
Dans la première partie de notre critique d’Extinction Rebellion (XR), nous avons soutenu que leur approche tactique de l’action directe - visant à faire arrêter, poursuivre et emprisonner les participant.es - est dangereuse, tant pour ces participant.es que pour l’avenir de la mobilisation collective contre la crise écologique en général. Dans la deuxième partie, nous passons de la tactique employée par XR à sa forme organisationnelle et, là encore, nous constatons qu’elle fait cruellement défaut.
Certain.es commentateurs se sont concentré.es sur la structure organisationnelle de XR pour expliquer sa remarquable ascension. Pourtant, si une telle méthode est utile pour expliquer son succès à mobiliser un grand nombre de personnes, elle risque de fonctionner comme une forme de “fétichisme institutionnel”, faisant abstraction des relations de pouvoir dans les structures institutionnelles formelles.
Nous présentons ici deux critiques générales. Tout d’abord, le fait que les “leaders” de XR tirent profit des risques encourus par ses participant.es et, deuxièmement, que les prétentions de XR à une organisation non hiérarchique masquent la manière dont les hiérarchies informelles et les oppressions structurelles fonctionnent au sein du groupe. Ces arguments ne doivent pas être compris isolément de notre critique de leur tactique, ni de la critique de la stratégie plus large de XR (à paraître dans la troisième partie). Si XR était plus ouverte à la dissidence interne et externe, elle aurait alors adapté ses tactiques, tandis que sa politique d’exclusion est en partie liée à son désir stratégique de bonne “optique” afin d’œuvrer au changement par les canaux traditionnels.
Comme dans la première partie de notre critique, nous voulons que trois choses soient absolument claires. Tout d’abord, notre critique se concentre sur XR au Royaume-Uni. Celleux d’entre nous qui sont impliqué.es dans la rédaction de cette critique sont basés au Royaume-Uni, et nous pensons que nous avons une connaissance suffisante de XR UK pour faire valoir ces arguments. Nous sommes conscient.es que les groupes XR d’autres pays diffèrent dans leur approche tactique, organisationnelle et stratégique de la lutte contre la crise écologique. Dans la mesure où ils répètent les modes que nous critiquons, notre analyse s’applique à eux ; dans la mesure où ces modes diffèrent, ils ne le font pas (bien que d’autres critiques puissent le faire, et nous serions favorables à une interrogation plus approfondie de XR au-delà du Royaume-Uni). Nous ajoutons également une autre mise en garde ici : qu’il y a une lutte croissante au sein de XR au Royaume-Uni. Bien que nous soyons sceptiques quant à la possibilité d’une amélioration de cette transformation de XR, il s’agit d’une évolution dont nous nous félicitons et dont nous discutons en détail ci-dessous.
Deuxièmement, nous écrivons depuis une position de solidarité avec de nombreuses personnes impliquées dans les actions de XR. Nous admirons leur engagement et leur courage et, comme nous le notons, nous espérons que le retour de l’action directe à grande échelle au Royaume-Uni apportera une certaine valeur pédagogique même en dépit (et peut-être à cause) de ses défauts. C’est dans cet esprit que nous écrivons ces textes, afin de tirer des leçons et de construire une mémoire collective. C’est, selon nous, en partie l’absence d’une telle mémoire collective qui a permis à l’État et au capital d’intensifier la crise écologique avec une relative facilité, et qui a permis à une organisation aussi imparfaite que XR de s’imposer comme “la” forme de résistance à celle-ci.
Troisièmement, nos critiques ne viennent pas du fait que nous nous attendons à la perfection dès le départ. Le corollaire de l’absence de mémoire collective de lutte au Royaume-Uni est que peu de gens en ont fait l’expérience. Tout mouvement de masse fera des erreurs et subira une courbe d’apprentissage abrupte. Pourtant, malgré tous ses discours sur le pouvoir décentralisé et l’organisation par la base, XR ne veut pas et ne peut pas tirer les leçons nécessaires. Bien au contraire, en fait, iels ont récemment intensifié leurs ridicules bombardements d’amour contre la police, encourageant les participant.es à écrire à la police à propos de leur militantisme, à "se rendre" à la police et à remplir un formulaire indiquant qu’iels sont prêt.es à être incarcéré.es. Comme nous l’avons mentionné dans la première partie, ces approches continuent d’exposer les participant.es et leurs réseaux à un risque accru d’arrestation, de surveillance et de harcèlement de la part de l’État. Dans la troisième partie, nous examinerons plus en détail les failles de la stratégie plus large qui dicte ces tactiques. Nous n’écrivons pas pour condamner les participant.es de XR, mais dans l’esprit d’une pédagogie de la dissidence. Une telle méthode sera vitale pour construire quelque chose au-delà de XR ; un mouvement de milliers de personnes qui permettra vraiment l’épanouissement écologique.
Une note également sur l’utilisation que nous faisons du terme “leaders”. XR prétend ne pas avoir de leaders, ce que nous abordons de façon critique dans la deuxième section ci-dessous. D’ici là, nous utilisons le terme, mais avec des guillemets effrayants pour signaler sa nature contestée.
Votre risque ; leur récompense
Fétichiser l’organisation formelle de XR au détriment des relations de pouvoir, c’est un peu comme chercher à expliquer l’essor d’Amazon en se concentrant sur la façon dont il organise les technologies et les " ressources humaines " tout en ignorant son exploitation de la force de travail.
XR n’est pas, bien sûr, une société à but lucratif. Pourtant, tout comme les profits d’Amazon dépendent en fin de compte du travail de ses employé.es, le “succès” de XR est dû aux participant.es. Plus précisément, c’est parce que les participant.es à XR s’exposent à un danger considérable (de la part de la police et de la violence d’état dont il a été question dans la première partie) que XR a atteint cette notoriété. Les participant.es diront bien sûr qu’iels prennent ces risques pour la planète, les un.es pour les autres, pour les pauvres du monde, pour leurs enfants et pour l’environnement. Nous ne doutons pas de leur sincérité. Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de penser que leurs actions aident principalement XR à se reproduire, et en particulier à renforcer le pouvoir des “leaders” de XR.
La recherche sur les institutions a souvent soulevé que les institutions qui se concentrent ostensiblement sur un objectif externe finissent souvent par dépenser des ressources pour l’autoreproduction. Le modèle de XR, qui dépend de l’attention des médias et des dons souvent énormes qu’ils apportent, le rend particulièrement vulnérable à cet échec (en plus des énormes somme d’argent levées par sociofinancement, jusqu’à présent la liste des dons importants inclue notamment 500 000 £ d’un fond de placement,200 000 £ de Sir Christopher Hohn, un homme qui détient des participations importantes dans Ferrovial, la société qui gère les brutaux camps australien de rétentions de personnes migrantes de Nauru et de Manus, et « est un des principaux investisseurs et opérateurs d’aéroport dans le monde » (dont Heathrow) ; des fonds de lancement de la fondation Lush, entre 20 et 40 000 euros de la Guerilla Foundation ; et les recettes des démos OK Computer de Radiohead et de la chanson « The 1975 » de The 1975s). Le placement stratégique du logo de XR pendant les manifestations, qui contribue à assurer une large diffusion dans les médias visuels, témoigne de nos préoccupations à cet égard. Nous voudrions également souligner des combines telles que le “cercle de culture” XR au Womad Festival : ostensiblement conçu pour « mettre en évidence le changement climatique », il ne fait en fait que mettre en évidence XR.
Une analyse complète de ce phénomène nécessite de s’engager dans la stratégie de XR, ce que nous allons entreprendre dans la troisième et dernière partie de notre critique. Il suffit de dire ici que la stratégie de XR repose sur des actions spectaculaires, gérées par la marque, qui contribuent à générer ces dons. Ces actions sont rendues possibles par les participant.es, qui agissent selon les instructions des “leaders” de XR. Pourtant, les finances de la RX ne sont pas utilisées pour aider les participant.es à surmonter les conséquences de leur participation : XR, par exemple, ne fournit pas de fonds juridiques pour aider les personnes poursuivies, dont beaucoup sont passibles de peines d’emprisonnement et de casiers judiciaires en raison des tactiques délibérément négligentes de XR. Étant donné le montant d’argent qu’ils ont amassé, c’est tout à fait honteux et cela va à l’encontre des principes de l’entraide si essentiels à la lutte : une blessure à l’un.e est une blessure pour toustes.
L’attention médiatique que suscitent les actions de XR contribue à le positionner comme une voix clé dans les débats autour de la crise écologique. Il utilise parfois l’espace que cela lui offre pour présenter d’importantes perspectives, et il convient de le féliciter pour cela. Par exemple, le livre intitulé Extinction Rebellion This is Not a Drill, publié récemment, contient des chapitres sur la lutte des Autochtones face aux changements climatiques, tandis que plusieurs auteurs soulignent que la crise écologique n’est pas répartie de façon uniforme. Mais il reprend aussi nombres d’assertions douteuses de XR, et sert à renforcer l’idée qu’XR serait la seule alternative à la crise écologique [2] Mais les opportunités générées par la position de XR restent inégalement réparties et sont trop souvent offertes à ses “leaders” : en particulier les personnes fondatrices de XR Roger Hallam et Gail Bradbrook. [3] Depuis la montée en puissance de XR, Hallam et Bradbrook ont, à elle deux, écrit pour The Guardian, The Ecologist et The Telegraph ; ils ont été interviewés par The Times, l’émission Victoria Derbyshire de la BBC, Today on Radio Four, BBC Radio Four’s Profile, le Financial Times, le Evening Standard, le Morning Star, Chris Hedges sur RT America, RT UK, Sky News, leKorea Times, le Sustainable Food Trust et sur Good Morning Britain ; ont fait l’objet d’une couverture importante dans le documentaire vidéo du Guardian « life inside Extinction Rebellion » ; et ont prononcé des allocutions lors d’une conférence d’Amnesty International, de la convention Campfire, et du CogX financé par HSBC. Bien qu’iels n’aient pas été payés pour beaucoup d’entre celle-ci (et qu’iels aient reversé les fonds à XR quand iels l’ont été, bien qu’iels devraient être clairs à ce sujet), leurs voix dominent les discussions médiatiques sur XR et, par extension, iels sont devenu.es les experts du mouvement sur la crise écologique. Qu’iels le veuillent ou non, ils construisent les bases de carrières solides en s’appuyant sur les actions des participant.es de XR. C’est analogue à la relation du patron au travailleur sous le capitalisme et aux groupes trotskystes, où les leaders financent leurs salaires et leurs dépenses de l’argent recueilli par les membres de la base qui vendent des journaux.
Pas si non hiérarchique
XR se décrit comme une « holocratie » (pdf), un terme qu’il oppose à « hiérarchie ». Cela signifie, en théorie, que les tâches clés sont réparties dans l’organisation sur une base non hiérarchique, avec des structures claires de responsabilité et de communication. Quiconque est d’accord avec leurs « dix principes » est le/la bienvenue à s’impliquer en tant que participant.e, mais iel est également censé avoir l’occasion de façonner l’orientation de XR. Ceci est expliqué en détail ici, et dans un Google doc, sur lequel tout un chacun est invité à faire des suggestions de modification et des commentaires [4].L’ambition, si elle est prise au pied de la lettre, est admirable, et nous serions intéressé.es d’entendre les membres de XR sur les exemples de fonctionnement de la structure comme il se doit. Quels que soient les échecs de XR, il est important que nous conservions ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et en tant que personnes extérieures à l’organisation, nous sommes peut-être moins au courant des exemples de la première. Ce qui est clair pour nous, cependant, c’est que bien trop souvent, les prétentions de XR à la non-hiérarchie ne résistent pas à l’examen minutieux. Les perspectives pour les participant.es qui luttent pour façonner l’orientation générale de l’organisation sont limitées, les possibilités d’action avant-gardiste contre les souhaits des autres sont grandes et les mécanismes de transparence sont faibles.
Out of the Woods est bien sûr entièrement en faveur d’une organisation non hiérarchique (horizontale). Cependant l’horizontalité ne peut qu’être un principe directeur : ce n’est pas un état de fait qui peut être atteint de manière définitive. En effet, les hiérarchies ne sont pas seulement formelles (c’est-à-dire la structure organisationnelle) : les traditions, l’autorité charismatique, les brimades, les disparités financières, le harcèlement, les habitudes, la rétention d’informations et autres relations organisationnelles/interpersonnelles peuvent toutes (re)produire des hiérarchies informelles. Ces hiérarchies informelles sont compliquées et renforcées par les oppressions structurelles qui catégorisent notre présent : les hiérarchies de race, de classe, de sexe, d’orientation sexuelle et de (in)capacités ne peuvent pas être simplement ébranlées lorsque nous entrons dans un espace non hiérarchique.
Nous pensons que XR est truffée de hiérarchies informelles et qu’elle ne fait pas assez pour lutter contre les oppressions structurelles. Bien que la raison d’être fondamentale de XR – que des gens se fassent arrêter afin d’occuper le devant de la scène - soit le plus grand obstacle les empêchant d’avoir un impact positif, ces facteurs entravent les tentatives de contestation des problèmes tactiques, stratégiques, financiers et organisationnels de XR.
Hiérarchie informelle
Dans l’introduction de cette critique, nous avons noté que notre utilisation du terme “leaders” est quelque peu conditionnelle, car XR n’a pas, officiellement, de leaders. Nous ne sommes pas d’accord. Alors que XR est clair sur le fait qu’il a été fondé par des membres de l’organisation militante Rising Up ! qui est issue d’une autre organisation, Compassionate Revolution, fondée en 2015, il est moins transparent sur le rôle de leadership clair qu’iels continuent à jouer. Comme le note une critique sympathisante de La Vera Planedo :
Extinction Rebellion en tant qu’organisation est contrôlée officiellement par RisingUp ! qui est elle-même gouvernée de manière centralisée et hiérarchique par un petit groupe de personnes... Ce petit groupe de personnes est appelé le “Holding Group” et, bien que quiconque soit techniquement admissible à en devenir membre, ses membres ont un contrôle direct sur l’adhésion au Holding Group, ce qui le transforme en une administration. En tant que bureaucratie, le Holding Group peut être considéré comme contradictoire au principe de décentralisation, mais la contradiction qu’il crée au sein de Extinction Rebellion est renforcée, et rendue particulièrement problématique, par le pouvoir et le contrôle que le Holding Group exerce au sein de Extinction Rebellion ; le Holding Group décide de ce qui fait officiellement partie de Extinction Rebellion et peut donc exclure des individus et groupes du mouvement.
Le pouvoir des membres de ce groupe vient de l’autorité qu’iels ont acquis en tant que personnes fondatrices. Il se nourrie également de l’attention largement disproportionnée des médias et des ONG donné à (et acceptée par) Hallam, Bradbrook et, dans une moindre mesure, Robin Boardman-Pattision . En ce sens, le Holding Group fournit une direction, une inspiration et fixe des limites à XR. En un mot, il s’agit de leadership et, à partir d’ici, nous nous passerons des guillemets alarmistes qui entourent le terme.
Nous devons préciser clairement à ce stade que le leadership en soi n’est pas nécessairement un problème : lorsqu’il inspire, détermine des buts et des objectifs clairs et peut être revendiqué ou contrôlé par le mouvement dans son ensemble, il peut jouer un rôle clé pour galvaniser un mouvement - en particulier ceux qui cherchent une participation ou un soutien large. Le leadership peut aussi être imposé à des mouvements sans leader, ou à des mouvements avec un leadership distribué, par les médias, qui sont mal équipés pour comprendre (et donc couvrir avec précision) une organisation sans leader. Le pouvoir des médias est tel qu’en nommant les participant.es aux mouvements comme leaders, ces participant.es peuvent devenir de facto des leaders. Les zapatistes sont un bon exemple de ces deux tendances : ils ont fait un usage considérable de l’appétit des médias pour les “leaders” charismatiques à travers la figure du Sous-commondant Marcos (alias Délégué Zéro/Sous-commondant Galleano), tandis que leur philosophie du « mandar obedeciendo » (« diriger en obéissant » ) guide la manière dont les délégué.es sont mandaté.es et doivent être redevables devant les communautés desquelles iels tirent leur pouvoir. Il existe une littérature considérable dans et autour des mouvements environnementaux, antifascistes, indigènes, anarchistes, autonomistes, antiracistes et féministes de longue date sur ces questions, ainsi que dans la théorie organisationnelle dérivée de la pensée systémique sur laquelle XR se base.
XR, cependant, semble plus intéressé à désavouer le leadership qu’à s’interroger sur sa complexité et ses responsabilités. Les zapatistes ne sont pas à l’abri des critiques, mais iels précisent les rôles que jouent leurs “leaders”, fondent leur autorité sur le collectif et s’assurent qu’ils sont rappelables. En niant qu’ils ont des leaders, XR leur permet d’agir sans contrôle démocratique. Cefil Twitter d’une militante handicapée qui cherche à réformer XR décrit, par exemple, de “hiérarchies invisibles” : très souvent le genre le plus insidieux. En effet, l’inspiration de la structure “holocratique” de XR ne semble pas provenir d’une organisation politique radicale mais de stratégies de gouvernance d’entreprise : le diagramme le décrivant dans leur manuel (pdf) semble avoir été tiré de ce powerpoint sur les évaluations d’entreprise [diapo 13]. [5]
Malgré la pléthore de documents qui décrivent en détail la structure de XR, nous ne savons pas clairement quel pouvoir pratique les participant.es à XR ont pour contester les décisions prises par ces leaders, ni pour leur demander des comptes. Il y a cependant des indices, et ils ne sont pas positifs. Dans cette vidéo de la formation de coordinateur local de XR à Bristol, publiée en novembre 2018, Hallam (qui dirige la formation) fait référence aux « personnes politiques difficiles » . Il les oppose aux gens « pragmatiques » comme « la plupart d’entre nous dans cette salle ». Ces « personnes difficiles », dit-il, « ne veulent pas que les choses soient faites parce qu’elles sont tellement politiques », et « paralysent » la lutte « à mort ». En réponse à une question, il se réfère aux « tribus politiques » qui le feront et énumère « l’extrême gauche », « l’intersectionnalisme extrême »[sic] les « anarchistes » (ainsi que le « véganisme extrême »), en affirmant qu’ils vont arrêter toute action à grande échelle tant qu’ils ne seront pas « parfaits » en leur sein. Comme nous le notons ci-dessous, il s’agit d’une analyse d’une extraordinaire mauvaise foi et manifestement incorrecte de ces tendances, qui ne paralysent pas la lutte, mais qui sont des éléments essentiels de la lutte. Il s’agit là d’un exemple clair d’un leader de XR qui détermine ce qui fait partie de XR, ce qui n’en fait pas partie et ce qui n’est pas le bienvenu ; et ce qui n’est pas le bienvenu, c’est simplement la politique au-delà d’un certain point. [6] Car c’est précisément ce que ces discussions confuses que Hallam ne veut pas : elles portent sur la répartition du pouvoir dans les mouvements et les directions que les mouvements devraient prendre. Ce sont des luttes qui menacent son emprise sur la forme et la direction de XR. Ce sont des luttes qui signifieraient qu’il ne serait pas en mesure de diriger comme il le fait actuellement.
Bon nombre de celles et ceux qui travaillent avec ou au sein de XR et qui ont cherché à en contester le leadership n’ont pas obtenu de bons résultats. L’un des cofondateurs est parti peu de temps après que ses préoccupations au sujet de leur approche aient été rejetées, et il n’était nullement seul. Dans un tweet désormais supprimé, Emily Apple, militante de longue date, a vu ses préoccupations écartées comme celles d’une « étudiante en sociologie ». Le groupe d’entraide juridique Green and Black Cross, a également été agacé, écrivant que :
Nous avons essayé de travailler avec XR et de fournir un soutien du mieux que nous le pouvions, en répondant aux questions et en expliquant ce que nous pensions qu’il fallait (et ne fallait pas) faire. Dans certains cas, ces conseils ont été suivis, mais souvent les limites que nous avions posées ont été repoussées et, bien souvent, nos conseils ont tout simplement été ignorés s’ils ne correspondaient pas aux objectifs et aux valeurs de XR.
Il convient également de noter que les leaders de XR réagissent rarement aux critiques provenant de l’extérieur de XR. Au lieu de cela, iels font des références vagues et de mauvaise foi à des approches qu’iels jugent incorrectes, s’en remettent à l’autorité de lectures erronées d’études universitaires imparfaites (voir la troisième partie), répètent des mensonges éhontés et développent des arguments contre des théories caricaturées à dessein (l’interview de Roger Hallam sur le podcast Political Theory Other en est un bon exemple : il répète son affirmation totalement fausse que les agents de prison sont principalement noirs). Laurence Cox a souligné à juste titre que XR cherche à se positionner comme le seul jeu viable en ville, ce qui permet à la fois de raffermir leur image et d’éviter tout examen critique dès le départ. L’approche de XR permet d’éviter les processus par lesquels les participant.es apprennent de leurs expériences et peuvent les utiliser pour influencer une organisation afin qu’elle réponde mieux aux circonstances.
Un meilleur aperçu du manque de mécanismes de contrôle démocratique au sein de XR est apparue lors du tollé créé par la création et la dissolution précipitée de XR Business et des actions du groupe dissident XR Heathrow Pause en septembre 2019. La première a été annoncée dans une lettre signée par des chefs d’entreprise et Bradbrook dans le Times en avril 2019, et devait être une plateforme « pour impliquer les chefs d’entreprise, investisseurs et conseillers ». Cela a suscité une vive colère de la part de certaines sections de XR, et un peu plus d’un mois plus tard, XR a annoncé que le groupe n’existait plus. Bien que cela montre au moins que l’opposition significative aux actions entreprises par les leaders de XR peut aboutir à un renversement de ces actions, il n’y a pas de questionnement sur la manière dont un.e leader pourrait agir de cette manière : l’incident est plutôt attribué à un « faux pas dans la communication et la coordination » à un « i ». Rien ne garantissait que les “leaders” de XR n’agiraient pas à nouveau unilatéralement, que ce soit publiquement ou en coulisse, et les actions d’Hallam autour de l’action drone prévue à Heathrow suggèrent que c’est précisément ce qui s’est passé.
Après la critique par XR Youth de cette action, XR a déclaré que « l’action ne sera ni approuvée ni soutenue comme prévu » car « le processus pour tenter de décider d’une action à Heathrow a été source de division, mal mené et a épuisé et donné le sentiment de ne pas être entendu à de nombreuses personnes au sein d’Extinction Rebellion ». Ainsi, iels ont dit : « Si une action avec des drones a lieu à Heathrow, ce sera par un groupe indépendant en dehors de Extinction Rebellion ». C’est ce qui s’est passé, avec Hallam et d’autres formant « Heathrow Pause » et annonçant l’action en septembre 2019. L’action a échoué : leurs drones ont été bloqués et iels ont été arrêté.es (beaucoup de manière préventive comme iels l’avaient jugé bon d’informer la police de leurs actions). Pourtant, Heathrow Pause a été largement confondu avec XR dans le discours public : pas simplement parce que les journalistes sont paresseux, mais à cause (sans doute délibérément) des messages portant à confusion des membres de Heathrow Pause (le code couleur partagé, un article sur l’action d’un autre co-fondateur de XR et ce tweet / vidéo sur un “activiste XR”, par exemple [7]). En tant que tel, il est difficile de suggérer qu’il existe une séparation significative entre les deux organisations. Cela soulève d’autres questions sur la responsabilité : lorsque les membres de XR sont capables d’exercer un pouvoir sur la direction du mouvement, les leaders évitent simplement l’organisation pour faire les choses quand même à leur façon.
L’exploration du passé de Hallam déclenche d’autres signaux d’alarme. Il a fait référence à plusieurs reprises à son rôle dans l’organisation de la “première grève des loyers réussie” à Londres, mais la campagne à laquelle il fait référence - UCL Cut the Rent - déclare qu’il « a été retiré de notre campagne bien avant que les loyers de l’UCL ne soient payés en raison de ses actions qui mettaient en danger la campagne et les activistes impliqué.es. Il a également reçu 2 000 livres sterling pour les recherches qu’il a effectuées dans le cadre de notre campagne, dont aucune n’est parvenue jusqu’à nous, même lorsque des fonds étaient désespérément nécessaires ».
XR a donc des leaders. Leur influence à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement dépend en grande partie des dangers encourus par les participant.es de XR, à qui iels transmettent constamment des informations erronées et qu’iels ne parviennent pas à soutenir correctement. Ils mentent sur leurs réussites passées et prennent des décisions stratégiques et tactiques catastrophiquement mauvaises.
Si « leaders » ne sonne pas bien ici, alors il y a un autre mot dans la langue anglaise pour décrire quelqu’un qui remplit ces fonctions : « boss » Au moins, vous savez à quoi vous en tenir avec votre patron. En règle générale, les patrons ne dénient pas leur pouvoir sur vous. Les leaders de XR le font, et sont d’autant plus dangereux du fait de ce déni.
Reproduire l’oppression
Même les luttes politiques les plus réfléchies, les plus puissantes et les plus réussies qui agissent contre et au-delà des oppressions de notre présent finissent par en reproduire certaines. Reconnaître que c’est inévitable ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas nous contenter d’un haussement d’ épaule de la part de ceux et celles qui luttent comme s’iels ne pouvaient rien y faire. L’emphase tactique mise par XR sur l’arrestation des participant.es reproduit déjà des oppressions sociétales plus larges, mais nous voulons ici nous concentrer sur leur refus d’incorporer des structures conçues pour les remettre en question dans leur organisation.
XR, par exemple, n’a pas de politique sur les safe(r) spaces, et il n’y a pas de mécanisme de contrôle démocratique clairement défini. Il n’y a pas de groupe officiellement mandaté pour s’occuper des abus au sein du mouvement, ni de directives à l’intention des groupes locaux pour le faire. Étant donné que les récents mouvements radicaux au Royaume-Uni ont été marqués par des cas d’abus sexuels, de transphobie et de reproduction de hiérarchies racialisées, genrées, de classe et de validité, ces éléments manquants font preuve d’un manque de considération supplémentaire pour le bien-être des participant.es. Comme le souligne @pancake_puns sur Twitter, cela signifie que le poids du changement incombe entièrement à celles et ceux qui sont déjà marginalisés et opprimés : iels sont alors frustrées par les hiérarchies informelles de XR pendant qu’ils essaient de faire ce travail.
L’absence de telles structures découle probablement en partie de l’hostilité des leaders de XR à l’égard de l’intersectionnalité, et il est important ici de contester l’affirmation de Hallam selon laquelle elle “paralyse la lutte”. Les processus de responsabilisation conçus pour traiter avec les agresseurs au sein des mouvements, par exemple, peuvent être lents, laborieux et épuisants. Ils peuvent mener au burn out, à des séparations et à perdre de vue ce qui est, de toute évidence, le principal objectif du groupe en question. Pourtant, sans eux, les agresseurs savent qu’ils peuvent opérer au sein d’un mouvement sans être surveillés. Cela permet aux abus de s’épanouir.
De leur côté, les politiques sur les safe(r) spaces permettent à celles et ceux qui sont victimes d’oppression dans la société d’agir avec un certain degré de liberté face à de telles oppressions. Cela permet aux personnes opprimées et marginalisées de raconter leurs expériences sans craindre d’être déraillées par ceux qui ne vivent pas une telle oppression. Étant donné que la crise écologique est inégalement répartie le long de ces lignes d’oppression (ce que XR note, quoique de manière incohérente [8]), XR devrait s’emparer des moyens que des politiques de safe(r) spaces correctement adoptées peuvent fournir aux groupes opprimés et marginalisés pour raconter leurs expériences (et, en retour, façonner la politique de XR).
L’hostilité idéologique à l’intersectionnalité n’est pas le seul facteur à considérer dans les échecs de XR dans ce domaine, car l’idéologie ne fonctionne pas sans intérêt matériel. Cela signifie que nous devons nous demander quels intérêthttps://freedomnews.org.uk/statemen...s matériels sont défendus. La réponse, dans ce cas-ci, ce sont les agresseurs (et leurs amis) ; et d’autres qui bénéficient de la répartition actuelle du pouvoir. L’absence de structures appropriées pour faciliter la participation pleine et équitable des personnes opprimées et marginalisées aide les leaders de XR à renforcer leur position.
Lutte au sein de XR
Dans la première partie de cette critique, nous avons déclaré que nous n’encouragerions pas les gens à s’impliquer dans XR et nous maintenons cette position. Cependant, nous devons veiller à ne pas desservir celles et ceux qui luttent à l’interne, contre vents et marées, pour l’améliorer. En plus de certains de celles et ceux cités plus haut, cela inclut XR Youth, qui ont affirmé qu’ils sont « vraiment basés sur le fait de parler des communautés autochtones », avec « le sud global [au centre] de ce dont nous parlons et de la façon dont nous nous exprimons ». XR Scotland a également adopté une position critique à l’égard des « problèmes profondément enracinés au cœur du mouvement Extinction Rebellion », en mettant particulièrement l’accent sur sa blancheur, et la présence de groupes tels que Global Justice Rebellion dans le mouvement est également encourageante. Nous pensons que les luttes qu’ils mènent sont incompatibles avec l’approche adoptée par XR, et que si elles réussissaient, XR serait une organisation totalement transformée. Les chances que cela se produise sont, à notre avis, minces. Nous devons également être conscient.es des dangers d’un XR “liberation-washing” : cooptant ces luttes d’une manière qui s’apparente à la tactique sociale-démocrate de la “diversité” employée par les grandes institutions afin d’éviter d’apporter des changements structurels.
Peut-être cependant ne devrions-nous pas nous empresser de considérer ces luttes comme futiles. Si le “succès” de XR est en partie dû à un manque de mémoire historique de lutte radicale au Royaume-Uni, alors ces luttes internes en son sein peuvent s’avérer inestimables à long terme, même si elles n’atteignent pas leurs objectifs louables sur le court terme. Beaucoup de gens font l’expérience du militantisme pour la première fois avec XR et bien que nous ayons l’impression que la critique camarade, mais forte, de l’extérieur du mouvement est importante, il existe un potentiel pour que les groupes au sein de XR apportent des contributions pédagogiques importantes dans ce contexte. Nous avons tous et toutes été impliqué.es dans des luttes imparfaites ou, parfois, carrément malavisées. Nous ne venons pas au monde de parfait.es militant.es. L’expérience de nombreuses personnes à XR peut les préparer à d’autres luttes qui sont encore à venir.
Conclusion
Ceux et celles qui sont hostiles à la tactique et à la stratégie de XR sont souvent encouragées à rejoindre le mouvement, profitant de sa structure “holocratique” pour l’améliorer. Nous espérons que cet essai a clairement montré à quel point cela sera difficile, voire impossible et potentiellement contre-productif... “L’holocratie” de XR reproduit des structures de pouvoir informelles et oppressives et s’oppose activement à de sérieux changements. Elle a permis des critiques occasionnelles du leadership de XR, mais pas d’une manière qui incite à remettre sérieusement en question les structures du pouvoir.
De plus, la nature prétendument décentralisée de cette “holocratie” permet à XR d’écarter la critique : s’il n’y a pas de leaders, alors comment ses leaders peuvent-iels faillir aux participant.es ? Nous espérons avoir été clairs sur le fait que le “leadership” n’est pas l’apanage de celles et ceux qui occupent des postes hiérarchiques formels et codifiés, et que XR a des “leaders” clairs qui, de fait, ont faillis à leurs participant.es.
Ces participant.es méritent mieux. Notre moment actuel mérite mieux. Nous méritons toustes mieux. Dans la dernière partie de notre critique, nous passerons à la stratégie de XR, en soutenant que leurs espoirs de changement social sont fondés sur de fausses représentations tirées de recherche érronée.