Georges Courtois à Manifesten,
le vendredi 26 février 2015, à 19h, 59 rue Thiers.
Il y a 30 ans, le 19 décembre 1985, Georges Courtois, Karim Khalki et Patrick Thiolet prenaient la cour d’assises du Tribunal de Nantes en otage. Revolvers et grenades au poing, ils convoquent les caméras de FR3 pour renverser la vapeur : pendant 34 heures, au lieu d’être condamnés ce jour pour de petits braquages, ils font en direct à la télévision le procès de la société carcérale dans laquelle ils se trouvent piégés.
Préférant la prison pour un mot juste qu’une liberté à demi-mot, Georges Courtois a aujourd’hui 68 ans et habite à Nantes. Il est dehors depuis 2014, et a passé plus de la moitié de sa vie enfermé. Il raconte ici son parcours de malfaiteur professionnel et d’homme de lettres malicieux. Ses mémoires complètes, Aux marches du palais, sont sorties en librairie le 19 novembre 2015 aux éditions du Nouvel Attila.
Extrait de l’entretien réalisé par Clémence Durand et Ferdinand Cazalis, "Autoportrait en cagoule" pour le numéro "Bout d’ficelle" de la revue Jef Klak (mai 2015) :
« Dans les prisons de Nantes
En 1974, je faisais une licence de droit à la maison d’arrêt d’Angers, quand il y a eu les mutineries. Ç’a été les pires, avec les prisons qui brûlaient et pas mal de morts parmi les prisonniers. En réalité, ce genre de choses, ça se passe dans une ambiance de fête. Je veux dire, personne n’est conscient de la gravité. Il y avait déjà la radio et la presse quotidienne dans les prisons, donc on savait tout ce qui se passait ailleurs : quand ça en attaque une, c’est fini, les autres s’y mettent aussi.
Y’a des mecs qui subissent des trucs sévères en prison, et pour eux, c’est chaud, ils finissent dans un état lamentable. Moi, j’ai toujours essayé de me mettre en isolement, pour avoir la paix. Je me disais que l’enfermement, c’est comme un sportif qui a un accident grave et se retrouve sur le banc : il ne regrette pas. Il vit pas son handicap comme une fatalité terrible, mais il le lie à ce qu’il aimait faire. Donc ça atténue le truc.
En taule, j’ai croisé du beau monde. Le gang des Lyonnais, la French Connection, et tout le bordel. Ils voulaient pas avoir affaire avec des gens comme moi et ceux que je fréquentais à l’époque, des électrons libres. Moi, je rentre dans un bar et je peux ouvrir le feu, j’en ai rien à foutre, mais eux, ils veulent pas de ça, tu vois ? C’est des diplomates, des hommes d’affaires en réalité, ils négocient le mouvement. Ils t’envoyaient des émissaires : faut pas déconner, faut pas faire des trucs comme ça, ça la fout mal quand même, etc. D’ailleurs, y’a un inspecteur de police qui est venu un jour au tribunal et le président lui a demandé : « Qu’est-ce que vous pouvez nous dire de M. Courtois ? » Il a répondu : « On peut rien dire, parce que, vous comprenez, M. le président, les comme lui, ils font pas partie du milieu traditionnel. C’est très difficile de savoir quelles sont leurs activités criminelles exactes. » Le président l’a repris : « Parce que vous voulez dire que s’il faisait partie du milieu… » « Ah ben, l’autre a dit, même le chien du commissaire connaît tout des activités du milieu traditionnel. »
Les prisonniers politiques, je les aimais bien, mais le problème, c’est que c’est des mecs qui vivent en prison, complètement à part. Les gars de l’ETA ou plus tard d’Action directe, c’est des militants, donc des martyrs de la révolution. Ils ne sont pas concernés par ce que j’appelle le côté social et répressif de la chose, parce qu’eux sont quasiment volontaires. Et puis fallait pas entamer une discussion, parce que là, ils n’y étaient plus du tout. Enfin, c’est toi qui n’y étais plus, ils t’attaquaient sur le prolétariat, ils te sortaient le livre, et là, t’en pouvais plus. Le gangster de base ou le mec qui est en prison pour un braquage de supermarché, il n’en a rien à foutre de Marx et de Proudhon. Les politiques, c’est des gens très conviviaux, ceci étant dit, mais si tu veux discuter du sens de la justice par exemple, ils ne parlent pas le même langage que toi, c’est pas la même justice pour eux. C’est pas le délinquant, comme moi, qu’on a traîné en prison d’année en année. C’est des gens victimes d’un système politique, pas d’un système social. Ça pourrait se rejoindre, finalement, mais c’est pas le même truc, pas la même perception de la répression. » »