Hélène Pastor, Yachts, canon scié et voleurs de poules

Ce matin s’ouvre à Aix-en-Provence le procès de l’assassinat d’une milliardaire monégasque en 2014, apprend-t-on dans les pages abonnés du Monde. Sur fond de rêve d’ascension sociale et d’enrichissement rapide l’affaire dévoile le racisme et le classisme intégré sur lesquels elle se base.

Ce matin s’ouvre à Aix-en-Provence le procès de l’assassinat d’une milliardaire monégasque en 2014, apprends t-on dans les pages abonnés du monde. Sur fond de rêve d’ascension sociale et d’enrichissement rapide, enchâssé dans une subtilité proche de celle d’un épisode de Plus belle la vie, le déroulé des événements fait apparaître deux faits distincts, premièrement les biais classistes et racistes sur lesquels se base l’organisation de l’assassinat et deuxièmement la triste efficacité des méthodes de surveillance de la police pour retrouver ceux qui ont agit. Les faits parlent d’eux-mêmes. Voici un condensé de l’article du Monde paru ce matin.

Voltige financière et racisme intégré

« Il m’a dit textuellement que les Arabes de Nice sont prêts à tuer deux personnes pour piquer un sac supposé plein dans une voiture monégasque. Cette action permettait de brouiller les pistes. »

Wojciech Janowski est un escroc qui, depuis des années, faisait de la cavalerie financière avec l’argent de sa femme et se trouvait, au moment des faits, pris à la gorge dans une affaire de rachat de raffinerie de pétrole pour laquelle on lui réclamait 30 millions d’euros. Pour parvenir à sa position, il s’est fait faux consul de Pologne à Monaco alors qu’il ne pouvait prétendre qu’à un vague titre de consul honoraire bénévole, faux diplômé d’économie de l’université de Cambridge, il avait en réalité fait acheter son diplôme à un faussaire de Bangkok.

Le gendre de la milliardaire a commandité l’assassinat de sa belle mère après avoir vidé les comptes de sa femme pendant des années. Le bateau qu’il lui a offert ? Il a été en réalité payé avec son argent à elle. Le prix de la scolarité de leur fille, pour laquelle il lui demandait des rallonges ? Faussement doublé, voire triplé. La fortune dont il se prévalait ? De la monnaie de singe. La maison à Londres ? Hypothéquée. « Je lui faisais entièrement confiance depuis vingt-huit ans, je lui remettais des chèques en blanc. C’était l’homme de ma vie. »

Afin de l’attirer dans le projet d’assassinat Wojciech Janowski commence à évoquer auprès de son coach son souhait de voir disparaître sa belle-mère. Il le couvre de cadeaux, lui offre des voyages au bout du monde, et lui promet à lui aussi une place dans la haute société. « Je le trouvais charismatique, il m’a dit qu’il ferait de moi un homme respectable et respecté, que comme coach j’étais le meilleur, que je pouvais être son fils, que ma vraie famille c’était eux. » Jusqu’au jour où le projet devient concret et surtout urgent.

L’homme se montrait plus prévenant avec sa femme depuis qu’elle était soignée pour un cancer du sein. Si inquiet pour sa santé, croyait-elle. A son coach, du temps des effusions, Wojciech Janowski avait confié une autre inquiétude : et si sa compagne mourait avant sa belle-mère ? Il risquait de « se trouver à la rue. »

Selon Pascal Dauriac, le coach, Wojciech Janowski voulait à tout prix saisir l’occasion des visites quotidiennes qu’Hélène Pastor rendait à son fils Gildo, hospitalisé à Nice à la suite d’un accident vasculaire cérébral, car il jugeait plus prudent de faire exécuter son plan en dehors de Monaco. De même, assure-t-il, c’est le gendre qui suggère l’idée de tuer aussi le chauffeur et de voler le sac. « Il m’a dit textuellement que les Arabes de Nice sont prêts à tuer deux personnes pour piquer un sac supposé plein dans une voiture monégasque. Cette action permettait de brouiller les pistes. »

Ce sont près de 120 000 € à se partager, qu’un blanc promettait aux deux exécutants du plan pour tirer. Étaient prévus, un « bonus » de 20 000 € s’ils tuaient aussi le chauffeur, et un autre du même montant s’ils parvenaient à voler le sac de la victime. Soit 40 000 € pour donner du crédit à la fable raciste des deux voleurs arabes.

A partir de la fin 2013, Wojciech Janowski remet à son coach des enveloppes de billets destinées à recruter des tueurs. « Il mettait, au début du cours, une enveloppe dans mon sac. Il utilisait des gants.  » Le coach prend sa part et distribue le reste. Ce sont donc deux petites mains de Marseille, spécialisées dans le petit trafic de stupéfiants qui vont faire le sale boulot. Pour 120 000 €. Une somme énorme pour eux qui les sortirait définitivement de la merde. Une broutille pour la famille puisque de son vivant la milliardaire donnait chaque mois 500 000 € d’argent de poche à chacun de ses deux enfants.

Confronté aux multiples charges de l’enquête, Wojciech Janowski change de ton, et finit par presque avouer « Oui, j’ai commandité ce meurtre  », avant de se rétracter en assurant avoir mal compris le sens de ce mot.

Il met alors en cause un plus pauvre que lui, Pascal Dauriac, dont il se prétend victime de chantage et d’extorsion de fonds. Du fond de sa cellule, par l’entremise d’une nièce désignée comme avocate et qui peut donc entrer au parloir sans être fouillée, il tente encore en 2016 de faire plonger son ancien coach en achetant contre 60 000 € le faux témoignage d’un détenu des Baumettes pour qu’il vienne affirmer devant le juge qu’il a recueilli les aveux de Pascal Dauriac. Une nouvelle fois, par la toute puissance de l’argent qu’il peut mobiliser, l’aristocrate, même faux, fait plonger un inconnu.

Faute de prudence au téléphone, la manipulation est éventée et tout ce petit monde interpellé. A l’accusation d’assassinat en bande organisée.

Les joies de la surveillance généralisée...

Au lieu de se débarrasser du téléphone utilisé le jour du crime, il se contente d’en changer la carte SIM.

C’est principalement par la surveillance des caméras et des téléphones que les flics remontent aux portes flingues. Les caméras de surveillance installées devant l’hôpital ont saisi l’arrivée de deux hommes vêtus de noir, dans des taxis distincts, l’un à 18 h 34, l’autre à 18 h 47, qui se positionnent de chaque côté de l’entrée et de la sortie des véhicules. Puis à 19 h 10, alors que la Lancia d’Hélène Pastor sort du centre hospitalier, elles montrent le premier homme quitter son emplacement et remonter la rue pendant que l’autre fait feu à deux reprises sur le véhicule avant de s’enfuir.

Quarante-huit heures plus tard, le dossier s’est encore enrichi : les enquêteurs disposent de la description précise des deux agresseurs grâce au témoignage des chauffeurs de taxi, et surtout des numéros de téléphone occultes avec lesquels ils les ont commandés. Une fois couplées les données de géolocalisation des lignes qui les conduisent jusqu’à Marseille et celles de la vidéosurveillance, ils obtiennent aussitôt les images montrant les deux hommes le matin même sur la Canebière en train d’acheter un sac de sport et deux téléphones qu’ils activent en sortant puis, plein écran, leurs silhouettes sur le quai de la gare Saint-Charles lorsqu’ils montent à bord du TGV pour Nice.

Les caméras de Nice prennent le relais et les saisissent à la sortie d’un hôtel près de la gare. Et dans l’hôtel, le propriétaire leur remet un flacon de gel douche oublié par l’un des deux occupants et récupéré par la femme de chambre. Le 16 mai, l’ADN parle. Le tireur, déjà connu des fichiers policiers, est identifié. Le guetteur commet une autre erreur. Au lieu de se débarrasser du téléphone utilisé le jour du crime, il se contente d’en changer la carte SIM. Ses appels vont permettre à la fois de débusquer son identité, et surtout d’ouvrir aux grandes oreilles des enquêteurs une stupéfiante galaxie.

Une galaxie de puissants s’organisant pour maintenir et agrandir une richesse déjà indécente en s’appuyant à chaque étape sur des désirs d’appartenance à une classe supérieure, sur un enrichissement soudain qui réglerait le problème de l’argent pour de longues années, le tout sensé tenir ensemble, figé dans le ciment raciste qui parcoure la côte méditerranéenne.

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