Il n’y a pas de santé sans liberté - retour sur l’interruption du film sur le médecin du CRA de Marseille

Le vendredi 7 avril, le festival du film engagé de Marseille avait dansson programme au Cinema La Baleine la projection du film ’Je ne sais pas où vous serez demain’, un documentaire sur le médecin du CRA de Marseille. Le réalisateur et l’un des médecins du CRA de Marseille, Samuel DEZELEE, étaient présents pour présenter le film.

En petit groupe d’une quinzaine de personnes, avec une banderole, unmégaphone et des tracts, on a décidé d’interrompre leur soiréesoi-disant "engagée". On a rappelé la collaboration du médecin du CRA en participant à la dégradation organisée de la santé au sein des lieux d’enfermement, sa responsabilité quant au refus systématique de soigner, et le travail commun que font médecins, juges, flics pour ne pas libérer les prisonniers et les prisonnières. On a rappelé aussi toutes les fois où les prisonniers ont lutté à l’intérieur du CRA de Marseille, ainsi que dans les autres CRA, pour se faire soigner et pour leur liberté.

Le médecin du CRA sait que les auto-mutilations et tentatives de suicide au CRA ne sont pas soignées mais punies de plusieurs jours de mitard, le médecin sait que des actes médicaux non consentis tels que les refus de test sont forcés pour faciliter l’expulsion ou bien envoient les retenus et retenues en taule en cas de refus, le médecin sait quand des violences policières ont lieu et les couvre en ne constatant pas les blessures, le médecin sait quand les prisonniers et prisonnières demandent à le voir et qu’il ne le fait pas. Le médecin sait qu’il participe à l’enfermement en CRA de toutes les personnes pour lesquelles il ne constate pas un "état de santé incompatible avec la rétention", papier qu’il signe très rarement.

Ce n’est pas être "engagé" que de faire sa carrière sur l’enfermement et les expulsions.

La santé est par définition incompatible avec l’enfermement. La seule solution est la liberté.

A bas les CRA !

Ci-dessous le texte diffusé dans la salle :

Cette année, 18,36 millions d’euros seront consacrés à ce que l’Etat appelle "la prise en charge sanitaire" des personnes en CRA. De la thune qui sert à financer les unités médicales qui travaillent dans les CRA, une somme revue à la hausse pour tenir en compte des nouvelles places de rétention dans les mois à venir.
Présentée par l’Etat comme la garantie de santé pour les détenu.e.s, la présence d’unités médicales dans les CRA n’est qu’un outil supplémentaire pour réprimer et permettre l’enfermement.
Régulièrement, dans les CRA, les prisonnier.e.s témoignent les violences médicales et le refus de soins ainsi que l’enfermement des personnes malades, le refus d’accès à des soins urgents, la distribution abusive de traitements, la minimisation des souffrances psychiques et physiques, la collaboration entre médecins, juges et PAF.

En juillet 2022, les prisonniers du CRA de Marseille se sont mobilisés contre la situation sanitaire catastrophique dans le CRA : tuberculose, covid, manque de clim et d’eau fraiche, suppression des parloirs, les prisonniers étaient à bout et les autorités s’en foutaient. Les prisonniers n’étaient pas visités par les médecins, et lorsqu’ils arrivaient à obtenir une visite, aucune mesure n’était prise pour les traiter correctement. Un prisonnier, A., racontait que lorsqu’il avait finalement réussi à obtenir une visite, le médecin lui avait dit « ça se voit que t’es pas malade », sans même l’ausculter. « Comme s’il avait un scanner dans les yeux". "On est en guerre : il y a des ennemis, des amis, et on décide de ne pas soigner les blessés de cette guerre », ajoutait A. Une grève de la faim s’était étendue alors à deux bâtiments du centre pour obtenir des soins et la libération de tout le monde.

Systématiquement, des protestations et des grèves de la faim éclatent dans les CRA contre les conditions d’enfermement et pour obtenir des soins, qui restent pourtant souvent invisibilisées et isolées. Dans la plupart des cas, d’ailleurs, les prisonnier.e.s subissent une médication massive qui vise à éteindre leur colère, à anéantir les esprits et les corps.
Parfois directe et violente lors de passages forcés en hôpital psy, la contrainte exercée par le personnel médical pour les droguer est le plus souvent sournoise : on incite les retenu.e.s à prendre des anxiolytiques et des sédatifs pour supporter un environnement qui ne peut que générer angoisses et insomnies. La destruction psychologique fait partie de la logique du CRA et ses effets continuent bien après l’enfermement.
On entend souvent dire que les gens « deviennent fous » en CRA. Entre le harcèlement des flics, la bouffe dégueulasse, la saleté et la crainte permanente d’être emmené.e.s de force dans un avion ou sur un bateau, la santé mentale est mise à l’épreuve au quotidien. Dans ces conditions, médecins et flics travaillent main dans la main pour briser toute tentative de rébellion : les uns frappent, les autres sédatent.

Le dernier maillon de cette chaine, c’est le juge des libertés et de la détention (JLD) : une personne enfermée au CRA peut passer quatre fois devant le JLD, qui décide le plus souvent de prolonger la rétention administrative. Souvent les personnes enfermées signalent leurs problèmes de santé lors de ces audiences ; même lorsqu’elles amènent des certificats médicaux, les juges ont tendance à s’en foutre.
« Au CRA, la mort et la vie c’est pareil », disait H., un prisonnier du CRA de Marseille qui en décembre 2021 avait commencé une grève de l’insuline. Diabétique, H. a été hospitalisé à plusieurs reprises au cours de sa rétention car il est impossible de contrôler son taux glycémie lorsqu’on ne peut pas décider quoi manger et quand.
A la suite d’une de ses hospitalisations, qui ne s’est faite rapidement que grâce à la protestation d’autres prisonniers pour que les pompiers viennent, l’hôpital Nord de Marseille lui avait délivré un certificat attestant de son état de santé très grave. Un certificat qui est arrivé sur le bureau du JLD, qui a quand meme prolongé sa rétention de 28 jours et qui n’a jamais décidé de prononcer une incompatibilité de la rétention avec l’état de santé de H. : ce serait risquer de faire une jurisprudence favorable aux prisonniers.

Face au prolongement de la rétention et au risque d’expulsion, des prisonnier.e.s en arrivent à des pratiques telles que l’automutilation. C’est souvent un moyen pour les gens de résister à l’expulsion ou de faire pression sur les flics pour avoir accès à des soins.
Enfermé dans le CRA de Marseille depuis le mois d’août 2021, Mounir avait participé à la grève de la faim en septembre 2021. Après avoir vu sa détention prolongée de 15 jours, il a ingéré deux lames de rasoir et il s’est blessé le pied en signe de protestation.
Suite aux violences policières subies en hôpital et surtout en raison de l’obligation de faire un test PCR avant de se faire opérer, Mounir avait refusé l’opération. Il craignait en effet que la préfecture utilise ce test pour pouvoir l’expulser. Transporté de l’hôpital au CRA, Mounir a passé deux semaines avec une lame de rasoir dans le ventre.

Il arrive aussi que certains retenu.e.s qui font des tentatives de suicide voient un psychologue à l’intérieur, comme si leur déprime pouvait être soignée à coup de psychothérapie et comme si leurs envie de suicide n’étaient aucunement liées à l’enfermement.
En définitive, juges et médecins se renvoient la balle pour ne libérer personne. Les juges ne font rien, car libérer des prisonnier.e.s poussé.e.s aux tentatives de suicide et à l’automutilation reviendrait à valider ces modes d’action. Le médecin lui, travaille à maintenir les personnes enfermées à la limite de la survie, parce qu’un.e mort.e en CRA, ça la fout mal publiquement ; s’il meurent trois jours après leur libération ou leur expulsion, ce n’est plus le problème de l’Etat français.
Les médecins du CRA, de l’Ofii, de l’hôpital, la Préfecture, le JLD, les flics… Tous sont les petites mains de l’Etat, qui orchestre la dégradation de la santé physique et mentale des prisonniers. Ils savent ce que ça veut dire d’enfermer les gens, ils savent la violence que ça représente, ils savent que ça pousse à se mutiler et à tenter de se suicider, et ils le valident par leurs décisions. L’Etat applique une politique de répression et d’enfermement qui banalise la dégradation de la santé, si bien qu’il faut aller toujours plus loin dans la mise en danger de soi pour être pris.e au sérieux.

Le soin est par définition incompatible avec l’enfermement. Le personnel médical qui entre au CRA pour y travailler n’a rien d’héroïque ni d’engagé. En acceptant d’intervenir en CRA, les médecins légitiment l’existence de ces taules et la violence qui les traverse. En étant présents, ils cautionnent les mauvais traitements subis par les prisonniers, lorsqu’ils ne les provoquent pas.
Le vrai courage est celui des prisonnier.e.s qui luttent pour leur liberté, souvent en mettant en danger leur vie. Ce qui doit être visible, ce sont leur révolte et leur parole, pas celle de ceux et celles qui décident de participer à ces machines de destruction de la santé que sont les Centres de Rétention.

Il n’y a pas de santé sans liberté !
A bas les CRA !

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