"Dimanche 29 novembre, rencontre UE-Turquie : 3 milliards d’euros accordés à la Turquie pour bloquer le flux de réfugiés vers l’Europe. En échange, Ankara s’engage à la gestion des réfugiés, qui seraient alors bloqués sur une étroite bande de terre occupée militairement sur la frontière syrienne pour empêcher leur marche vers l’Europe. Une partie de ces fonds seraient utilisés pour créer une zone où pourraient être confinés jusqu’à cinq millions de personnes. Le plan inclurait six camps principaux pour réfugiés, onze bases logistiques et 17 points de sécurité".
Il n’y a pas de fin au grotesque.
Depuis début octobre, l’Union Européenne, en la personne de son président Jean-Claude Juncker, devait prendre une décision sur le fait de concéder ou non à la Turquie la gestion des millions de réfugiés qui transitent dans la zone balkanique (http://www.internazionale.it/notizie/2015/10/06/turchia-unione-europea-profughi-siriani).
Hier, aux heures mêmes lors desquelles les puissants se réunissaient pour la COP21, la rencontre entre Europe et Turquie sur la gestion des réfugiés est passée en sourdine et est finalement parvenue à un accord, à la satisfaction de toutes les parties.
Juncker avait demandé à Erdoğan de renforcer les contrôles aux frontières pour combattre le trafic d’êtres humains ainsi que d’accueillir les migrants irréguliers qui sont repoussés par les pays de l’Union vers la Turquie.
En échange, la Turquie demandait que les citoyens Turcs puissent plus facilement obtenir le visa de voyage en Europe et que l’Union Européenne reconnaisse la Turquie en tant que « payx sûr », c’est-à-dire un pays où « sur la base du statu juridique, de l’application de la loi à l’intérieur d’un système démocratique et de la situation politique générale, on peut démontrer qu’il n’existe globalement et généralement pas de persécutions ni de tortures ou d’autres formes de peines ou de traitements inhumains ou dégradants, ni de péril du fait de violence aveugle en situation de conflit armé interne ou international ».
En bref, l’Europe, qui s’est déclarée secouée par le péril de l’islamisme intégriste après les attentats de Paris et qui se sent en guerre contre Daesh, déclare que sa ressource la plus fiable pour gérer la question des réfugiés provoquée par ce même scénario de guerre et de destruction est la pays qui soutient le plus explicitement l’État Islamique et combat celles et ceux qui cherchent à s’y opposer.
La Turquie demande d’être admise en tant que pays de l’Union Européenne en tant que pays qui « respecte les droits de l’Homme », quant bien même elle bombarde et torture chaque jour les Kurdes qui, solitaires et courageux, affrontent Daesh sur le terrain.
Pour la Turquie d’Erdogan, les terroristes sont les Kurdes du PKK, les femmes guérilleras des YPG, pas l’EI.
La Turquie qui devra gérer les millions de réfugiés de la guerre qu’elle-même soutient et alimente est la même Turquie qui, quelques jours après les attentats de Paris et alors que la France bombardait la Syrie avec pour objectif déclaré d’attaquer les positions de Daesh, abattait un chasseur russe parce que ces derniers avaient bombardé quelques jours plus tôt des raffineries aux mains de l’État Islamique, raffineries prises dans un cercle d’affaires très proches du fils d’Erdogan lui-même (http://www.ilfattoquotidiano.it/2015/11/25/siria-turchia-abbatte-caccia-russo-tre-giorni-prima-mosca-aveva-bombardato-il-petrolio-di-isis-con-cui-ankara-fa-affari/2252068/).
Que pouvons-nous encore dire face à tout cela ?
Il est évident que les puissants, les chefs d’État, spéculent aujourd’hui plus que jamais sur nos vies, qu’ils jouent plus que jamais avec le feu. On a pu voir autant de confusion sous le ciel uniquement lors de moments historiques dramatiques. Quelle crédibilité peuvent donc avoir ces seigneurs de la guerre qui nous proposent ce genre de jeu des trois verres ? Sommes-nous vraiment convaincus de ce que nous racontent les médias, c’est-à-dire que les gens seraient prêts à sacrifier un peu de leur liberté pour une sécurité promise par des États qui agissent aussi explicitement et ostentatoirement de mauvaise foi ?
La réalité semble un peu différente, et les Parisiens qui sont descendus dans la rue hier contre la COP21, au nez et à la barbe de l’état d’urgence et des interdictions de manifester, ont offert une réponse sensée, courageuse, digne et dense de significations à l’encontre de ces scénarios tellement opprimants.
Leur résistance face aux charges de la police est une bouchée d’air frais dans le panorama asphyxiant des dernières semaines.
Nous les remercions de tout cœur et nous relançons par le cœur.