Mexique.
Sous-commandant insurgé Marcos.
EZLN. Chiapas. Mexique.
À Massimo Moratti
président du FC Internazionale Milano
Milan, Italie
Don Massimo,
Nous avons reçu la lettre où vous nous communiquiez que votre équipe de football, le FC Internazionale, avait accepté le défi amical que nous vous avions lancé. Nous vous remercions du ton aimable de votre réponse et des bonnes dispositions que vous nous témoignez. Nous avons pris connaissance des déclarations des dirigeants, du staff technique, et de l’effectif de l’Inter Milan à la presse. Celles-ci constituent, s’il en fallait, une preuve supplémentaire de votre noblesse de coeur. Sachez que nous nous réjouissons de vous avoir rencontrés sur notre chemin — déjà largement parcouru ; en effet, c’est un honneur pour nous de bâtir avec vous un pont reliant deux terres pleines de dignité : l’Italie et le Mexique.
Porte-parole de l’EZLN, je tiens à vous signaler que, de surcroît, j’ai été désigné, à l’unanimité, comme sélectionneur de l’équipe zapatiste de football et chargé des relations intergalactiques (euh... j’avoue que personne ne voulait le poste). À ce titre, peut-être devrais-je profiter de cette lettre pour régler quelques détails en vue de notre rencontre. Je pourrais vous proposer, ce n’est qu’un exemple, de ne pas limiter notre rencontre à un seul match, mais plutôt d’en organiser deux. Un au Mexique, l’autre en Italie. En d’autres termes, un match aller et un match retour. À l’issue des deux matches disputés, je souhaiterais que l’équipe gagnante remporte le trophée que le monde entier connaît sous le nom de Pozol de Barro.
Et je me permettrais de vous suggérer d’organiser cette rencontre au Mexique, pour vous à l’extérieur, au Stade olympique universitaire du district fédéral, et aussi de verser les recettes de ce match aux indiens qui ont été déplacés sur les Hauts-Plateaux du Chiapas par les paramilitaires. Ah oui, à ce moment-là, il faudrait que j’adresse une lettre à la communauté universitaire de l’UNAM (à savoir, étudiants, enseignants, chercheurs, personnel d’entretien et personnel administratif) pour leur demander de bien vouloir nous prêter le stade, non sans leur avoir promis solennellement auparavant qu’on ne les sommera pas de garder le silence... il sera toujours temps de leur infliger le discours de Don Porfirio.
Et alors, puisque vous serez déjà au Mexique, nous déciderions de jouer un autre match à Guadalajara (Jalisco), et de soutenir ainsi les jeunes altermondialistes, injustement envoyés dans les geôles de cette province mexicaine, et tous les prisonniers politiques du pays, en payant les frais juridiques avec les recettes de la billetterie. Pas d’inquiétude à avoir pour le transport ; j’ai entendu dire, en effet, qu’un Mexicain — généreux comme on l’était autrefois — apporterait son aide.
Par ailleurs, l’EZLN pourrait proposer pour les matches au Mexique, le moment venu et si cela vous convient, Diego Armando Maradona comme arbitre central, Javier El Vasco Aguirre et Jorge Valdano, comme assistants (ou juges de touche), et le milieu de terrain brésilien, Sôcrates, comme quatrième arbitre. Aussi, il se pourrait que nous invitions Eduardo Galeano et Mario Benedetti, nos deux intergalactiques qui voyagent en brandissant un passeport uruguayen, à faire le récit de cette rencontre pour le Système zapatiste de télévision intergalactique (“la seule chaîne qui se lit”). En Italie, Gianni Mina et Pedro Luis Sullo feraient l’affaire aux postes de commentateurs.
Et pour mettre un terme à la chosification de la femme, promue, dans les matches de football par les pom-pom girls, et ailleurs par les publicités, l’EZLN demanderait à la communauté gay-lesbienne nationale, notamment aux travestis et transsexuels, de présenter au public mexicain, avant les rencontres, un numéro de pirouettes inédites ; outre la censure à la télévision, le scandale au sein de l’extrême droite et la perplexité dans les rangs de l’Inter Milan, cela gonflerait le moral de notre équipe et lui donnerait de l’assurance. Comme il n’y a pas que deux sexes et qu’il n’existe pas qu’une seule réalité, il est toujours souhaitable que ceux qui sont persécutés pour leur différence partagent des joies et se soutiennent mutuellement sans renoncer pour autant à être différents.
Dans la foulée, nous jouerions encore un match aux États-Unis, à Los Angeles en Californie, dont le gouverneur (qui colmate avec des stéroïdes son manque de neurones) mène une politique criminelle contre les immigrés latinos. Les fonds levés à cette occasion pourraient être destinés au conseil juridique des sans-papiers résidant aux États-Unis et à l’emprisonnement des voyous du Minuteman Project. Et d’ailleurs, la dream team zapatiste arborerait une grande banderole où l’on pourrait lire “Liberté pour Mumia Abu-Jamal et Leonard Peltier”.
Comme très probablement Bush empêcherait nos passe-montagnes — collection printemps-été — de faire un tabac à Hollywood, on pourrait délocaliser le match sur le digne sol cubain, à Guantanamo, en face de la base militaire que le gouvernement des États-Unis conserve en toute illégalité et en toute illégitimité. Dans ce cas, les deux délégations (celle de l’Inter et celle de l’Ezède) s’engageraient à apporter, au minimum, un kilo d’aliments ou de médicaments par personne, en signe de protestation contre le blocus subi par le peuple cubain.
Il se pourrait bien que je vous propose de jouer les matches retours en Italie, à domicile pour vous (et pour nous aussi, car l’Italie a un penchant zapatiste bien connu). La première rencontre se déroulerait à Milan, dans votre stade, la suivante, ce serait à vous d’en décider (pourquoi pas à Rome, puisque, comme dirait l’autre, “tous les matches mènent à Rome”... Ou sont-ce “tous les chemins” qui “mènent à Rome” ?... Enfin, c’est pareil). L’argent du premier match permettrait de venir en aide aux immigrés de différentes nationalités qui se font traiter de criminels par les gouvernements de l’Union européenne ; et l’argent du deuxième, je vous laisserais en faire ce que bon vous semble. En revanche, et j’y tiens, nous aurions besoin de passer au moins une journée à Gênes pour peindre de petits escargots sur la statue de Christophe Colomb (note : l’amende pour détérioration de monument devra être prise en charge par l’Inter Milan), ainsi que pour déposer une fleur à la mémoire de l’altermondialiste Carlo Giuliani à l’endroit où il fut assassiné (note : la fleur, c’est pour nous).
Comme nous serions déjà en Europe, nous pourrions également jouer un match à Euskal Herria, au Pays Basque. Et puisqu’il n’a pas été possible par le passé de donner “une occasion à la parole”, cette fois on donnera “une occasion aux torgnoles”. À cette fin, nous envisageons de nous manifester au siège des racistes du BBVA-Bancomer, qui tentent de pénaliser l’aide humanitaireaux communautés indigènes (sans doute pour détourner l’attention de la procédure judiciaire qu’ils se traînent pour “évasion fiscale, comptes secrets, fonds de pension illégaux, blanchiment d’argent, financement illégal de campagnes politiques, versements de pots-de- vin pour achat de banques en Amérique latine et abus de confiance” (Carlos Fernândez-Vega “Mexique SA”, La Jornada, 25 mai 2015). Mmm... Il semblerait bien qu’on en soit déjà à sept matches (pas si mal pour disputer des téléspectateurs à la Coupe d’Europe, à la Copa Libertadores et aux éliminatoires de la Coupe du monde). Le Pozol de Barro sera décerné à l’équipe qui parviendra à gagner quatre matches sur sept (note : si l’équipe zapatiste perd plus de trois matches, le tournoi sera annulé).
Cela vous semble beaucoup ? D’accord, Don Massimo, vous avez raison. Peut-être vaudrait-il mieux en rester à deux matches alors (l’un au Mexique, l’autre en Italie) parce que nous ne tenons pas à salir l’histoire de l’Inter Milan par les défaites que certainement vous essuierez.
Peut-être que pour équilibrer un tant soit peu votre évident désavantage, je me dois de vous livrer quelques informations confidentielles. Sachez, tout d’abord, que l’équipe zapatiste est mixte (c’est-à-dire, il y a des hommes et des femmes) ; que pour jouer nous portons des bottes dites “de mineurs” (avec bout renforcé en acier, ce qui explique les ballons crevés) ; que, selon nos us et coutumes, le match se termine quand plus aucun joueur d’une des équipes ne tient debout (entendez : ils sont très endurants) ; que l’EZLN pourrait se renforcer à sa guise (à savoir, que les Mexicains Bofo Bautista et Maribel Marigol Dominguez seraient susceptibles d’intégrer notre formation... s’ils acceptaient, bien entendu), et que nous avons prévu de porter un uniforme caméléonesque (par exemple, si nous sommes menés au score, apparaîtront sur notre maillot des rayures bleues et noires pour décontenancer l’adversaire, l’arbitre... et le public). Par ailleurs, à l’entraînement, nous avons mis au point, avec un certain succès, deux nouvelles actions : la marquifia avanti fortiori (note : traduit en termes gastronomiques, c’est une sorte de “galette de pizza et guacamole”) et, sa variante, la marquiiia earacoliha (note : un équivalent des spaghettis sur lit de haricots cuits au chaudron, mais rances).
À partir de ces modalités (et d’autres surprises), nous ferions un jour la Révolution du ballon rond et alors, sait-on jamais, le football cesserait sans doute d’être un pur business pour redevenir un jeu amusant. Un jeu, tel que vous le dites, porté par des sentiments authentiques.
Peut-être... Néanmoins, à travers cette lettre, nous souhaitions juste vous redire, ainsi qu’à votre famille, à tous les hommes et à toutes les femmes proches de l’Inter Milan et de l’esprit nerrazzuro, notre affection, nos remerciements, et notre admiration (mais je vous préviens, face aux buts, il n’y aura ni pitié ni miséricorde). Quant au reste, ben... peut-être... mais...
Allez. Salut, et que se retrouvent bientôt, sur nos deux sols, les vert-blanc-rouge abritant nos dignités.
Des montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant insurgé Marcos.
(Au tableau, on réfléchit avec Durito aux actions à mener, parce qu’il insiste pour tenter plutôt, à la place du traditionnel 4-2-4, le 1-1-1-1-1-1-1-1-1-1-1, qui, d’après lui, est tout à fait déconcertant.)
PS : À l’attention de la Fédération mexicaine de football, du Real Madrid, du Bayern Munich, du CA Osasuna, de l’Ajax, du Liverpool et de l’équipe de la quincaillerie Gonzàlez. — Je suis désolé, mais dans le contrat que j’ai signé il y a une clause d’exclusivité avec l’Ezédélenne.
PS : Avec le ton et le volume du journaliste sportif. — Le Sup, utilisant la technique de l’Uruguayen Obdulio Varela lors de la finale contre le Brésil (Coupe du monde, stade Maracanà, Rio de Janeiro, 16 juillet 1950), quittait les buts zapatistes d’un pas ralenti, le ballon à la main. Après avoir réclamé à l’arbitre d’invalider le but, il pose le sphéroïde au centre du terrain. Il se retourne vers ses camarades, ils échangent alors regards et silences. Le score, les paris, le système, tout est défavorable aux zapatistes, si bien que personne ne mise sur eux. Il se met à pleuvoir. Une horloge indique presque six heures. Tout semble prêt pour reprendre la rencontre...