Dans la continuité des « lois antiterroristes » et des dernières lois sécuritaires (lois dites « anti-casseurs », « Sécurité Globale » ou encore « Séparatisme ») et plus largement de la politique du contrôle permanent, la politique de l’État continue sur sa lancée avec la Loi d’Orientation et de Programmation du Ministère de l’Intérieur (LOPMI). Ces dernières années, le cadre législatif n’a cessé de renforcer le pouvoir des forces de l’ordre et les modalités de contrôle social : nouvelles missions aux polices municipales et agents de sécurité privée, autorisation de prise de signalétique forcée (empreintes et photos), surveillance numérique, etc. Face aux politiques d’austérité à venir (réforme des retraites, de l’assurance chômage, …) et aux luttes sociales correspondantes, la réponse est encore celle du musellement autoritaire de toute forme de contestation.
C’est dans ce contexte que la LOPMI, véritable « fourre-tout sécuritaire » ciblé, donne le ton pour la mandature actuelle, et ce jusqu’en 2027 : l’idée est d’occulter tous les problèmes sociaux par toujours plus de répression. Cette loi, adoptée au Sénat le 18 octobre puis par l’Assemblée nationale le 22 novembre, et promulguée le 24 janvier dernier.
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- et ci-dessous l’analyse complète :
De l’argent magique pour toujours plus de flics
15 milliards d’euros en plus sur 5 ans : c’est l’augmentation du budget dédié au ministère de l’Intérieur que permet la LOPMI, ajoutés aux 10 milliards déjà accordés par la mandature précédente. Pour le financement, rien de plus simple puisque la réforme de l’assurance chômage devrait permettre une économie d’au moins 13 milliards d’euros sur le dos des plus précaires…
À ce titre est prévue la création de 8 500 postes de policier-e-s et gendarmes de terrain sur 5 ans, en vue d’atteindre un doublement des effectifs sur le terrain d’ici 2030. En parallèle, le nombre de réservistes augmentera lui aussi, passant de 30 000 à 50 000 pour la gendarmerie et de 6 000 à 30 000 pour la police.
En plus du personnel déjà existant, la loi prévoit la création de 11 unités de forces mobiles spécialisées pour l’intervention rapide en situation d’affrontements, dotées de « matériels adaptés » qui ne sont autre que… des blindés. Ces unités seront créées sur le modèle de la CRS 8, création de Darmanin en 2021 pour les affrontements urbains et des missions de véritable harcèlement policier (comme sur le quartier de la Guillotière de Lyon actuellement). Pour les zones rurales, ce seront 200 brigades de gendarmerie qui seront ajoutées.
Comment faire pour avoir plus d’agents sur le terrain ? En numérisant certaines tâches et en déléguant des missions de police judiciaire. C’est ainsi que la LOPMI crée le statut d’Assistants d’enquête. Leurs missions seront de remplacer les agents et officiers de police judiciaire sur certaines tâches (convocation, vidéosurveillance, etc.). Cette création participe au processus de délégation de certaines missions de police, pouvant déboucher à terme sur une interconnexion public/privé, tout comme la facilitation d’intégration de flics retraité-e-s dans les entreprises de sécurité. Ce principe était déjà présent dans la loi Sécurité Globale pour défendre le recours plus important à la sécurité privée, afin de jouer le rôle d’auxiliaire de police à terme.
Une image de la police dégradée ? Le Ministère recrute !
Faisant le constat d’une image de la police dégradée auprès des jeunes, particulièrement de quartiers populaires, le Ministère de l’Intérieur propose une solution magique : les enrôler. Plutôt que de poser la question des raisons de cette dégradation (violences policières ? précarité ?), le Ministère veut en faire de bons petits soldats à travers 100 « classes de reconquête républicaine ».
Destinées aux élèves « décrocheurs » pour les préparer aux métiers du Ministère, elle seront accompagnées d’autres moyens de propager l’idéologie sécuritaire : parcours d’engagement au sein de la gendarmerie dès 11 ans, jeunes réservistes pour les 18-25 ans, développement de la filière « métiers de la sécurité intérieure » dans les lycées, passerelles entre l’Éducation Nationale, le Service national Universel, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche vers les réserves de Police et Gendarmerie.
Ce procédé n’est pas nouveau. Il est issu des stratégies militaires colonialistes et d’enrôlement au sein de « forces auxiliaires » (cf. guerre d’Algérie, etc.). Longtemps théorisées par les états-majors de l’armée française, on retrouve beaucoup de cette stratégie dans les expérimentations sécuritaires qui ont conduit à faire des populations issues de l’immigration des « ennemis intérieurs ». La loi du 21 janvier 1995 sur la programmation et l’orientation de la sécurité parle par exemple de « coproduire » la sécurité, sous-entendu recruter des personnes des banlieues pour assurer la sécurisation des quartiers populaires. Bien que ce soit moins explicite dans la loi LOPMI, on reconnait la même idéologie raciste et post-coloniale.
Vers une police-robot toute puissante
Et comme pour bien dresser, au bout d’un bras, il faut un tonfa, une augmentation des effectifs ne peut se faire sans nouvelles dotations matérielles. Et là, c’est un festival… La LOPMI promeut une police « augmentée » avec de nouvelles innovations technologiques :
– des agents-machine (exosquelette, biocapteurs, matériels de vision nocturne, etc.)
– bardés de caméras, sur eux-mêmes, sur leur véhicule, et encore plus de caméras dans l’espace public puisque les fonds alloués à la vidéosurveillance seront triplés sur 5 ans. Les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire pourront à leur tour recourir au port de caméras piétons
– pouvant réprimer plus rapidement : car ils seront dotés de tablettes et d’ordinateurs portables pour effectuer des tâches de contrôle directement en patrouille (vérification d’identité, procédure pénale numérique, contrôle des fichiers notamment biométriques, etc.),
– encore plus armés : nouveaux véhicules et armements innovants (pistolets à impulsion électrique, drones, robots, etc.).
avec une nouvelle matraque financière contre la population
Déjà bien utilisée par l’État lors du mouvement des Gilets Jaunes suite aux multiples arrêtés d’interdiction de manifestation, l’arme de l’amende est à nouveau dégainée. Invoquée comme une « simplification de la réponse pénale », la LOPMI étend l’encadrement des Amendes Forfaitaires Délictueuses (AFD). Les AFD sont des amendes distribuées arbitrairement par un-e agent de police ou gendarmerie en cas de constatation d’une infraction par une personne majeure, sans
passage au tribunal et pouvant être inscrites dans le casier judiciaire. Cette mesure, déjà étendue en 2016 pour la consommation de stupéfiants, concernera maintenant une vingtaine de délits supplémentaires, dont les délits d’entrave à la circulation, tags, atteinte à la circulation des trains, intrusion non autorisée dans une école, etc.
Une partie de cette extension concerne clairement la répression organisée pour les futurs mouvements sociaux (occupations de lycées, blocages économiques, etc.) et contre les populations des quartiers populaires. Pour contester il faudra d’abord verser la somme en « consignation » et en cas de non-paiement, une saisie directe sur revenus est envisagée ! Ainsi, si le texte évoque la lutte contre les formes de « subversions violentes » (manifestations offensives entre autres), le gouvernement adopte clairement une logique de dissuasion et de verbalisation de masse pour appauvrir les personnes mobilisées, les dissuader de revenir occuper la rue et financer les prochains investissements pour la « sécurité intérieure ».
Parce que renforcer l’impunité et le pouvoir policier ne peut aller sans pouvoir coercitif et judiciaire, les membres du Sénat ont fait ajouter au texte une augmentation des peines concernant les refus d’obtempérer (pour contrôle routier) passant à une peine maximale de 3 ans de prison et 30 000 euros d’amende avec des réductions de peines limitées. Par la même occasion, on assiste également à l’alignement des peines pour violences contre des élu-e-s sur celles pour violences commises sur les forces de l’ordre, jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pouvant être assortie d’interdictions de manifester.
Une loi sécuritaire au service du racisme d’État
Dans le climat ambiant de renforcement des groupes et idéologies d’extrême-droite, la LOPMI s’inscrit dans ces logiques. En parallèle des deux lois « anti-squat » (qui devrait impacter l’ensemble des locataires précaires au passage) et « immigration », le volet sécuritaire de cette loi balise une nouvelle étape de la militarisation des frontières. Ainsi, la Police Aux frontières (PAF) se verra dorénavant autorisée à inspecter visuellement les véhicules de particuliers dans les zones frontalières.
L’ensemble des forces de l’ordre intervenant dans ces espaces se verront dotées de nouveaux matériels et accès pour empêcher toute entrée : généralisation des drones avec vision nocturne et détection thermique, caméras infrarouges, lecture automatisée des plaques de véhicules, renforcement du contrôle biométrique, interconnexion des fichiers au niveau européen, etc. La LOPMI encadre l’intégration des gardes-frontières de Frontex à la gestion des frontières extérieures de la France.
Cette milice semi-privée de l’Europe aura maintenant certains droits similaires à la PAF (port d’armes, recours à la force, accès aux bases de données, etc.). En plus, lors des discussions au Sénat et à l’Assemblée Nationale, une nouvelle mesure a été ajoutée pour investir 60 millions d’euros supplémentaires afin de quasiment doubler les places en Centres de rétention administrative (jusqu’à 3 000).
Le but : enfermer toujours plus de personnes en situation irrégulière.
Avec cette loi, on assiste au fantasme du ministère de l’Intérieur : mettre en place son fameux continuum sécuritaire pour une société sous contrôle social permanent, de la sphère privée à celle publique. Digne des meilleurs romans d’anticipation, cette vision sera appliquée par des forces de répression de plus en plus nombreuses, équipées, et diversifiées : des agents de police « augmentés » aux réservistes, en passant par les entreprises de sécurité privée. Comme à son habitude, le gouvernement dilue tout un ensemble de mesures au sein d’un texte de loi, pour arriver à une articulation de plus en plus importante de la surveillance d’Etat.
Loin d’être une finalité, la LOPMI n’est qu’un nouveau rouage du processus répressif frénétique. Dans nos espaces, dans nos luttes, enrayons la machine à contrôler, enfermer, et renforçons nos outils collectifs de solidarité.