Tourisme prédateur…
Gérard Chenoz n’en fait pas mystère, il veut attirer les touristes sur La Plaine. Depuis quelques années, la mairie de Marseille a une obsession quasi mono-maniaque : elle compte sur le tourisme pour doper l’économie locale. Sa deuxième obsession, parsemer le territoire de centres commerciaux pour capter la taxe professionnelle des grandes enseignes jusque-là exilées dans les communes voisines, est également axée sur la séduction des divins touristes. C’est le cas des Terrasses du Port.
Tous les grands chantiers récents vont dans ce sens. Hôtels de luxe réclamant des plages privées pour leurs clients. Centres commerciaux et musées bourgeonnant en grappe sur le pourtour du domaine portuaire. Gigantesques paquebots déversant leurs flots de croisiéristes. Sans oublier l’ineffable maire du 1er secteur, Sabine Bernasconi, qui rêve de transformer La Canebière en Broadway ou en Soho… Et voilà que Chenoz, conseiller municipal délégué aux « Grands Projets d’attractivité » et président de la Soleam, veut faire de La Plaine une annexe du « New Port » : un espace de déambulation désincarnée pour des visiteurs qu’on espère plein aux as.
… l’exemple de Barcelone
Il est instructif de se pencher sur l’exemple barcelonais, puisque cette ville est une des premières destinations au monde, avec 7,5 millions de touristes par an. La bourgeoisie barcelonaise a su depuis longtemps vendre une image de cité dynamique, jusqu’à faire de son nom un label mondialement connu. Pour attirer le chaland, la ville a su mettre en valeur les réalisations architecturales de Gaudí, les tableaux de Picasso, mais aussi ses quartiers et marchés populaires, ainsi que sa vie nocturne.
Le premier coup d’accélérateur dans ce processus de « touristification » a été l’accueil des Jeux olympiques en 1992. Pour l’occasion, le quartier de pêcheurs de La Barceloneta a été chamboulé par le parachutage d’un village olympique. Deuxième emballement : le Forum des cultures, en 2004. Depuis, les terrasses à « menu typique » et les boutiques de souvenirs ont envahi les places, grignotant les lieux de convivialité des habitants. L’inauguration du Centre d’art moderne du Raval a accompagné l’expulsion des classes populaires de l’ancien Barrio chino. En 2014, les Ramblas ont vu transiter 96 millions de passants – 260 000 par jour, dont seulement 20 % de Barcelonais. Et la manne touristique a surtout enrichi les promoteurs. Pour les gens du commun, cela se traduit par des emplois précaires de larbins, payés entre 3,5 et 5 euros de l’heure. La dernière vague de ce tsunami est arrivée avec les vols low-cost et Airb’n’b. Alors que l’offre hôtelière augmentait de 35 %, le quartier historique de Ciutat Vella a perdu 9 % de sa population. Les appartements touristiques ont connu un boum de + 60 % en cinq ans – plus de 15 000, dont 40 % illégaux, selon l’estimation des services municipaux.
Comme l’écrit La Directa, journal local indépendant, « la monoculture touristique » est une « économie perverse : plus les gens travaillent pour améliorer l’offre d’accueil, plus ils font monter les prix de leur propre quotidien ». En particulier les loyers, qui flambent, les proprios préférant louer à des touristes à la semaine qu’à un autochtone à l’année. « Un touriste en plus, un voisin de moins », « Non aux terrasses, tourisme basta ! », pouvait-on lire il y a peu sur des banderoles accrochées aux fenêtres de la vieille ville.
Le mécontentement est tel que la mairie a basculé lors des élections municipales de juin 2015, portant au pouvoir une liste menée par la porte-parole d’un mouvement s’opposant physiquement aux expulsions locatives. Aujourd’hui, de nombreuses associations de quartier réclament une « décroissance touristique » et un moratoire hôtelier a été décrété par la nouvelle équipe municipale – 35 chantiers stoppés. Aveuglés par la soif de profits, les promoteurs sont capables de tuer la poule aux oeufs d’or : aujourd’hui, à Barcelone, même les touristes disent qu’il y a trop de touristes !