Il suffit de se placer devant l’un de deux portails afin d’observer l’avancée des travaux pour que ça dérape. « J’étais avec ma compagne et mon gosse, ils nous ont insultés et menacés de nous gazer », raconte B. « J’étais avec des potes, et ils ont déboulé cagoulés, ridicules ; on a rigolé jusqu’à ce qu’ils ouvrent la grille et nous coursent », se souvient N. « Il y en un qui m’a dit, ‘dégagez, vous êtes sur l’espace public, c’est interdit’ », se marre M. D’autres racontent s’être pris des volées de gaz lacrymo pour rien. Quant aux manifestants passant à proximité du mur le 15 décembre dernier, ils se sont pris des volées de pierre. Voir la vidéo ci-dessous :
Mais il y a plus grave. Entre les menaces de viol – « Je vais mettre ma grosse bite dans ta bouche et je vais éjaculer dedans », s’est vue balancer S. – et les agressions physique ultra-violentes, les vigiles ont allégrement franchi la ligne rouge, au point que des plaintes ont été déposées. Voici ci-dessous trois témoignages de leurs inacceptables exactions :
L. : « Qu’est-ce que tu fous là ? Espèce de salope, de pute, tu vas payer ! »
Ça s’est passé le mercredi 28 novembre, vers 22 heures. Je voulais faire quelques photos de la place en l’état, la nuit. Il y avait un côté nostalgique, là-dedans : j’avais envie de revoir La Plaine, tenter un témoignage poétique, rien de plus. C’était un peu osé c’est sûr, mais je me disais : au pire ils me virent, j’y vais tranquille, je suis une nana, avec un physique de chips. Bref, c’était qu’un jeu.
Je commence à marcher, appareil toujours dans le sac, un premier vigile me tombe dessus, et crie : « Qu’est-ce que vous faites là ? » Je réponds que je viens faire quelques photos, et que ça fait longtemps que je n’étais pas venue mais que je pars direct s’il me l’interdit. Très vite, il monte en puissance : « Mais dégagez de là, on en a marre des gens comme vous ». Je le sens parano et le suis vers la sortie, je m’excuse avec une voix calme, tout en gardant mes distances.
Alors qu’on marche vers la grille, il continue, très énervé : « Vous faites vraiment n’importe quoi, on en a marre des gens comme vous qui nous insultent toute la journée ! Vous entendez ? On en a marre des gens comme vous, on n’est pas des monstres nous ! » Alors qu’il me gueule dessus de manière très rapprochée, je marque un temps d’arrêt pour m’expliquer. Je dis juste que tout va bien, je ne suis pas en train de l’insulter, et que c’est la première fois que l’on se voit. Il est en boucle sur ses mêmes phrases et déraille déjà : « Vous résistez ? » Je continue à marcher vers la sortie calmement, quand déboule un deuxième vigile. Celui-ci, ne dit pas un mot mais empoigne mon sac en me tirant vers l’arrière. Là, je commence à avoir peur, et je le leur signifie. Je leur répète que je suis en train de sortir tranquillement et que je n’ai rien fait de grave.
Là, les deux grimpent direct en puissance et le vouvoiement disparaît. Ils m’empoignent par les épaules et commencent à m’insulter : « Espèce de pute, espèce de salope, dégage de là, tu vas comprendre qui fait la loi ici, ni toi, ni les gens comme toi qui nous font chier toute la journée. » Les deux me tiennent, l’un par l’épaule l’autre par le cou. Je commence vraiment à flipper : « Vous me lâchez s’il vous plaît, je ne résiste pas ». La brutalité est de mise : « Ferme ta gueule ! » J’essaye de leur dire que c’est disproportionné. L’un me prend par le col et met son front très proche du mien, il reprend sa récitation : « Espèce de pute, de salope, y’en a marre des gens comme vous ». J’essaie de me dégager tout en leur signifiant qu’ils me font vraiment peur. L’escalade agressive continue, ils sont en roue libre. Je sais que ça y est, ça part en vrille, je vais m’en prendre plein la gueule.
Là, j’ai l’impression que celui qui me tire par le col a ses yeux dans les miens, j’ai de plus en plus mal, et je ne peux pas m’empêcher de lui cracher à la figure. C’est le seul geste agressif que j’aurais. Aucune insulte de ma part, aucun coup à leur égard.Ils me jettent avec force dans les grilles du portail puis me balancent à l’extérieur. L’un d’eux, continue de m’insulter : « Tu vas payer, tu vas payer, salope, pute ! » Je ne réponds pas, essaie de m’éloigner et il me crache en plein dans la figure, à son tour. Là je suis à l’extérieur et, hors de moi, lui recrache dessus. Dans un mouvement très rapide, ils ré-ouvrent le portail, m’attrapent par le dos, et me font chuter au sol. A partir de ce moment là, il y a trois témoins, qui essayent d’intervenir. Selon eux, les vigiles me maintiennent au sol pendant vingt à vingt-cinq minutes au niveau du portail. Moi j’étais tellement sous le choc, me débattant, que je ne me rappelle plus, c’est confus. En tout cas je suis maintenue à terre par les deux vigiles et j’ai très mal. Un des témoins se fait lui aussi frapper à l’épaule. Finalement ils ferment le portail et me traînent vers le centre de la place. Il faut noter qu’il y a un troisième vigile avec un chien en laisse, qui jamais n’interviendra.
Ensuite, ils me lâchent dans le chantier. Je cours dans tous les sens, je sais plus où je suis. J’essaye de ré-escalader le mur mais je suis beaucoup trop fébrile et j’ai peur qu’ils me tirent par les pieds. Je m’assois sur un plat, avec un vigile à côté. Je lui dis : « ça part trop loin, faut que ça se calme, c’est vraiment trop violent pour rien là ». Il répond en gueulant que lui aussi c’est sa Plaine, qu’il y vient depuis ses 15 ans, et qu’il galère, il a que ça comme travail. Alors que nous sommes calmés, le deuxième vigile revient et me reprend directement par le col en me tirant vers lui. Je lui dis « vous n’avez pas à faire ça. Calmez-vous maintenant ». Je suis en pleurs et déboussolée. J’arrête pas de répéter « c’est du grand n’importe quoi là, c’est trop violent ce que l’on vit tous sur cette Plaine. Je comprends plus rien ». Et l’autre : « t’es une salope, une pute, c’est trop tard maintenant, tu vas payer. J’ai appelé les flics. »
C’est là que les flics arrivent. Ils sont calmes. Ils prennent mon identité et me disent que je vais passer au tribunal (je n’ai pas eu de nouvelles depuis). J’ai l’impression qu’ils essayent de faire tampon, qu’ils voient bien que l’un des vigiles dégoupille. Quand je sors, les témoins m’ont attendu.e.s. Ils me réconfortent, j’ai le droit à un câlin collectif. Ils me confient qu’ils ont halluciné de la scène, que c’était extrêmement violent.
J’ai été voir un médecin le vendredi. Le jeudi je ne pouvais pas sortir, j’étais épuisée, et je pense choquée. Il a constaté des bleus sur le cou, le dos et les deux jambes, avec traces de doigts. Aussi une grosse bosse sur le sacrum. Grâce au soutien de mes ami.e.s militant.e.s et des témoins, j’ai décidé de porter plainte en étant accompagnée.
Depuis, avec les témoignages de violences verbales qui affluent (sexistes, classistes, homophobes, transphobes, putophobes et à caractères sexuels), la deuxième agression physique, le lendemain de celle que j’ai vécu, ajoutés à la vidéo du samedi 15 décembre, des caillasses jetées par dessus le mur en fin de manif, je me suis dis qu’il fallait en parler à l’Assemblée de la Plaine pour apporter une réponse collective à ces violences institutionnalisées.
Il n’y a finalement rien d’étonnant à ça : la violence, sous couvert de sécurité, est sous traitée par les capitalistes depuis belle lurette, mais il nous apparaît encore plus clairement aujourd’hui, que notre combat collectif local contre les Chenoz, les Gaudin et leur monde pourri, doit se déployer ici aussi.
E. : « Tu vas voir ce qu’on va te mettre. »
C’était le jeudi 29 novembre, vers 23h. Je revenais d’un concert à l’Espace Julien, un peu bourré, plutôt joyeux. Et j’ai eu la mauvaise idée de sauter le mur, un genre de défi. Là ça a pas traîné : ils m’ont sauté dessus, m’ont traîné au centre de la place pour se mettre à l’abri des caméras ou des regards, et pendant cinq minutes ils m’ont mis des grandes baffes à tour de rôle. Ils étaient complètement tarés, gueulaient « tu diras à tes potes que c’est comme ça que ça se passe ici », ou bien « on va te défoncer, tu vas voir ». En plus ils m’avaient déjà chopé une semaine avant, pour le même truc (je suis un peu con et têtu), simplement passer le mur, et déjà ils m’avaient bousculé. Et ce retour, ça les rendait fou : « t’es revenu ? Putain mais tu vas voir ce qu’on va te mettre ! » Ils étaient quatre je dirais, tous dans le même état, des cinglés. Mais ils savent taper pour ne pas laisser de traces. Le lendemain, je n’avais pas de blessures hormis du sang dans un œil.
Le pire, c’est qu’ils ont porté plainte contre moi en inventant un truc complètement absurde. Le lendemain, les flics m’ont chopé dans la rue et amené au comico de Noailles. Je comprenais rien jusqu’à ce qu’ils me disent que j’étais accusé d’être entré sur le chantier avec un cocktail molotov (que j’aurais ensuite re-balancé à mes potes de l’autre côté de mur avant qu’ils me chopent, tranquille). Là j’ai pas rigolé. Ça pouvait m’envoyer aux Baumettes. Bon, c’était absurde, ça tenait pas debout, mais j’ai quand même passé 22 heures en garde à vue. Et ces mythos ont osé maintenir leurs déclarations pendant la confrontation, genre « on des professionnels », ne montrant leur véritable visage seulement quand je leur ai dit qu’il n’y avait rien de plus lâche que 4 gusses qui frappent un mec sans défense. « On t’aurait tapé tu serais pas sorti indemne », qu’ils ont craché. Heureusement leur mytho était tellement gros et bancal qu’il a pas tenu et que les flics m’ont relâché sans poursuites. Mais c’était quand même spécialement fourbe comme combo. 1/ Je te tape. 2/ Je fais tout pour te foutre en taule.
J. : « Si je sors, je te viole. »
La première fois que les vigiles m’ont menacé de viol, c’était vers le 20 novembre. On discutait avec des copines devant le portail du chantier, côté Saint-Savournin. À ce moment, il y a un vigile qui arrive depuis la rue et souhaite rentrer à l’intérieur. Il fait les gros bras devant nous, se montre menaçant. Ses collègues lui ouvrent, le font rentrer et referment la grille derrière lui. Nous restons devant le portail à les regarder et à rigoler gentiment de leur côté ‘malabar’. C’est à cet instant que celui qui venait de rentrer et qu’un autre vigile déjà sur le chantier se rapprochent, énervés. Ils commencent à nous menacer. L’un d’eux balance : « Si je ressors, je te viole ! » Choquée par la violence du propos, j’arrive quand même à lui répondre par la provocation : « Eh bien sors, on va voir ce que tu vas faire, il y a une caméra juste au-dessus de nous ! » Ça lui ferme le clapet. On se casse.
Le 24 novembre, rebelote. C’était après la manifestation contre les violences faites aux femmes. Je suis avec des amis et on rentre chez nous en parlant de la manif. On fait une pause devant ce qu’il reste de notre Plaine, toujours devant le même portail. Il y a aussi un copain qui s’adosse tranquillement à la grille. Un vigile arrive aussitôt en nous hurlant de dégager. Le copain ne comprend pas pourquoi il se fait crier dessus comme ça. Du coup, le vigile commence à s’exciter sur nous, d’autant il nous reconnaît. Moi aussi : c’est le même que la dernière fois, un grand costaud bien mastoc. Et il se met à répéter les mêmes menaces. Il va nous violer et on va bien voir… Il insiste ensuite sur le fait qu’il va faire descendre ses amis des quartiers nord pour nous défoncer. Avant de nous mettre, gratuitement, un coup de gazeuse à travers la grille…
Pour finir, je tiens à dire qu’il y a eu au moins une autre amie qui s’est faite menacer de viol dans ces jours-là.