INFO
Contre l’oubli
“... nous continuons à construire la mémoire collectivement, en cherchant une réparation, non seulement de nous-mêmes, mais aussi du tissu social, des organisations et des collectifs qui nous accompagnent. Nous réclamons justice, mais pas uniquement par la judiciarisation de notre cas à travers des instruments internationaux, puisque nous savons qu’il n’y a pas de justice à attendre des institutions (…) Nous ne pouvons réparer ce qui est cassé que si nous continuons à nous organiser, en luttant pour l’autonomie et la liberté.” Femmes ayant subi la torture sexuelle durant les opérations policières du 3 et 4 mai 2006 à Atenco.
À 10 ans de la torture sexuelle perpétrée par des agents fédéraux et de l’État mexicain contre 27 femmes, durant les opérations policières réalisées à Texcoco et à San Salvador Atenco, entités apparentant à l’État de Mexico, d’autres cas similaires sortent à la lumière et sont dénoncés, démontrant ainsi que la violation sexuelle est une pratique courante des forces de sécurité mexicaines. En attendant que la Commission Interaméricaine de Droits de l’homme (CIDH) analyse si l’État mexicain est responsable ou non de la torture sexuelle contre 11 des 27 femmes qui ont décidé de dénoncer la torture sexuelle subie durant les opérations policières du 3 et 4 mai 2006, les organisations sociales continuent de documenter de nouvelles violations. (1)
Le même pouvoir en place
En 2006 le secrétaire du Gouvernement de l’État de Mexico était Humberto Benítez Treviño, l’actuel président du Collège de l’État de Mexico, collège d’études supérieures et équivalent au système des grandes écoles ; Wilfredo Robledo était le secrétaire de Sécurité Publique – aujourd’hui, conseiller de sécurité du candidat du PRI – Parti révolutionnaire institutionnel – au gouvernement de Veracruz, Héctor Yunes Landa– ; le chef de l’État-Major de la Police Fédérale Préventive était Ardelio Vargas Fosado, aujourd’hui mandataire de l’Institut National de Migration ; et l’actuel titulaire de l’Exécutif fédéral Enrique Peña Nieto, était le gouverneur de l’État de Mexico à l’époque.
À 10 ans
Cela fait déjà dix ans que dans les rues de Texcoco et de San Salvador Atenco les 3 et 4 mai 2006, les trois niveaux de gouvernement avec l’aide des principaux partis politiques et l’ensemble de l’appareil de l’État mexicain ont déchaîné leur violence et leur brutalité par l’intermédiaire de leurs forces policières et judiciaires contre des hommes et des femmes qui défendaient le droit à la terre et à la solidarité. Une blessure incontestable du processus de construction du tissu de l’Autre Campagne (aujourd’hui la sexta) a été la violente répression du 3 et 4 mai 2006 à San Salvador Atenco. Bilan de la répression : Javier Cortés Santiago et Alexis Benhumea assassinés par la police, des nombreux blessés et 207 personnes arrêtées .
Suite à ces faits, un groupe de femmes qui avait été arrêtées et torturées par l’État mexicain dans son ensemble, a décidé de porter plainte contre celui-ci pour la torture sexuelle qu’elles ont subi. Ces plaintes ont commencé au niveau national, où comme on pouvait s’y attendre, elles ont reçu pour toute réponse le silence et l’oubli. Ce qui a amené cette plainte à un niveau international tel que la Commission Inter-américaine des Droits Humains. (2).
Ainsi le 14 mars 2013, Italia Mendez une des femmes ayant subi la torture sexuelle, a exposé son cas et présenté ceux des onze compagnes dénonçantes devant la Commission Inter-américaine des Droits Humains à Washington. Ces onze compagnes ont décidé avec rage et dignité de continuer la lutte et la dénonciation de l’attaque perpétrée à Atenco par l’État Mexicain.
Pour elles, il est clair que l’utilisation de la torture sexuelle est un outil de contrôle social qui non seulement affecte d’une manière directe les femmes survivantes, mais aussi les collectifs, les organisations et la société. Depuis l’opération policière à Atenco en 2006, l’État continue de nier qu’il y ait eu des femmes torturées sexuellement en raison d’une stratégie étatique. Il continue à déclarer avec insistance que ce qui était arrivé aux femmes sur le parcours vers la prison de Santiaguito, à Toluca, État de Mexico, était le fait d’actes isolés, accomplis par des policiers qui ont agi de leur propre chef. Or, il s’agit en réalité d’une stratégie délibérée à l’encontre des femmes, qui a été employée pendant les deux jours qu’a duré la répression. (3)
Suite à la réunion des femmes survivantes du cas Atenco à la CIDH à Washington, représentées par Italia Mendez, celle-ci a déclaré que « le fait pour l’État Mexicain de présenter aux femmes du cas Atenco une « solution amicale » représentait la dernière carte qui pouvait être jouée par l’État afin d’éviter un examen par la Cour et en même temps, cela représentait une maniéré d’atténuer le cas Atenco partout dans le monde. Il est clair que par cette proposition, l’intention de l’État était de minimiser le niveau des violations graves aux droits humains à San Salvador Atenco ».(4)
L’État Mexicain a tenté en vain durant l’audience publique à la CIDH par l’intermédiaire de sa représentante Lía Limón García, sous-secrétaire aux Affaires Juridiques et aux Droits Humains, de négocier une « solution amicale » avec les onze femmes qui ont été agressées sexuellement pendant l’opération policière de 2006 à Atenco et qui portent plainte, afin d’éviter une sanction éventuelle de la Cour Interamericaine des Droits Humains (CoIDH). Ce que les femmes d’Atenco ont instantanément refusé.
Bárbara Italia Méndez Moreno – représentante des onze femmes qui ont été agressées sexuellement- a donné lecture d’une lettre écrite par celles-ci, devant les magistrats, les représentants de l’État mexicain, les avocats ainsi que devant des dizaines de personnes qui se sont rendues à l’audience :
“ Nous ne voyons pas de possibilité et ce n’est pas notre désir d’explorer une solution amicale, puisque l’État a démontré pendant plus de six ans, non seulement son incapacité à répondre à nos demandes de vérité et de justice, principalement parce que les seules actions qu’il ait menées visaient notre dénonciation au niveau inter-américain et international, mais aussi parce qu’il continue de répandre une fausse information sur ce qui s’est passé à Atenco et sur la recherche de justice.” (5)
Lettre signée par Mariana Selvas Gómez, Georgina Edith Rosales Gutiérrez, María Patricia Romero Hernández, Norma Aidé Jiménez Osorio, Claudia Hernández Martínez, Ana María Velasco Rodríguez, Yolanda Muñoz Diosdada, Cristina Sánchez Hernández, Patricia Linares, Suhelen Gabriela Cuevas Jaramillo et Bárbara Italia.
La lutte a continué, entre autres, par le biais de la Campagne contre la répression politique et la torture sexuelle, cette campagne contre la répression est menée par des femmes qui ont été arrêtées lors des opérations de contrôle de population à Texcoco et à Atenco, le 3 et 4 mai 2006. Femmes qui ont survécu aux tortures à caractère sexuel et physique, telles que : les agressions, postures obligées pour un temps prolongé et la prison. Depuis l’été 2008, ce groupe de femmes a commencé à travailler pour rendre visible les buts de la répression en abordant de manière franche et ouverte l’utilisation de la torture sexuelle comme instrument de contrôle social, utilisé couramment par la police et les militaires au Mexique.
“Nous insistons : nous ne cédons pas devant les stratégies de l’État, nous continuons la lutte, nous continuons à parier sur une « autre réparation » celle qui reconstruit le tissu social, la confiance, la solidarité, celle qui évoque la mémoire et construit la vérité pour nous celles et ceux qui sommes en bas.” Femmes ayant subi la torture sexuelle durant les opérations policières du 3 et 4 mai 2006 à Atenco.
Voici leur dernier communiqué paru en mai 2015 :
Communiqué de la Campagne contre la répression politique et la torture sexuelle, 9 ans après la répression à Texcoco et à San Salvador Atenco
“Nous n’oublions pas la répression des 3 et 4 mai 2006, à Texcoco et San Salvador Atenco. Elle a constitué un châtiment exemplaire, toute sa brutalité déversée sur nos corps, les fibres les plus sensibles de notre être ont été touchées et ensuite, exhibées.
La solidarité a été le prétexte utilisé par l’État pour assiéger, frapper, perquisitionner des domiciles, assassiner et torturer. Ce fut un acte de guerre contre l’Autre Campagne [aujourd’hui la sexta], ils ont essayé, par la terreur, de nous annuler, nous réduire, nous démobiliser.
La réponse a été merveilleuse, une vague de solidarité a réussi à rompre le siège policier à San Salvador Atenco, une campagne nationale et internationale a commencé, où des milliers et des milliers d’adhérents à la Sexta [nationale] et la Zezta Internationale ont obtenu la libération de ceux et celles qui avaient été emprisonné-e-s : L’alerte rouge lancée par l’EZLN [Armée Zapatiste de Libération Nationale] et son appel à mobilisations, les blocages des routes et les actions dispersées réalisées de part et d’autre du pays et du monde, le piquet de protestation [aux environs de la prison], les gardes, le barco (7), les concerts solidaires, les cris depuis l’autre côté du mur de la prison. Tout cela, a été l’effort et le fruit de la solidarité et de l’organisation de nous tous et toutes qui sommes la Sexta et des gens solidaires d’en bas.
La violence est inhérente au capitalisme et à l’État, comme un binôme du système d’exploitation et de domination. Évidemment cette dernière n’est pas nouvelle, cependant à présent nous pouvons voir comment elle s’aggrave, s’approfondit et se socialise, ce qui plonge la société dans l’incertitude, la peur et la paralysie.” Lire la suite sur le site des trois passants :
https://liberonsles.wordpress.com
À lire également dans cet article :
- À Atenco : « Nous ne pourrons réparer ce qui est cassé que si nous continuons à nous organiser »
- Brève chronologie des faits
- Plus d’infos : Femmes dénonçant le cas Atenco + Videos
Résumé /traductions les trois passants, Caracol Solidario et Amparo
Corrections Valérie et Myriam
À lire ailleurs : Depuis la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et depuis l’Autre Europe : communiqué de soutien à San Salvador Atenco au Mexique