On aura vu depuis le viol de Théo le 2 février, des émeutes à Aulnay-sous-bois, République, Nantes, des rassemblements à Bobigny, des manifestations à Paris, Lille, Marseille, des blocus lycéens dans toute la région parisienne. A tel point qu’il ne semble plus possible de déterminer où commence l’émeute d’où finit la manifestation, de voir où débute le blocage et où s’arrête le rassemblement, de distinguer une forme des autres.
On aura vu depuis le viol de Théo le 2 février le rideau médiatique tombé à chaque manifestation, le silence convenu autour des blocages et des émeutes. Le spectre de 2005 hante les événements récents.
On aura vu depuis le viol de Théo le 2 février les hésitations des gouvernants, les appels au calme, les rappels à l’ordre. Et l’on agita l’épouvantail de 2005.
On aura vu depuis le viol de Théo le 2 février au moindre rassemblement, au moindre blocage, l’arrogance des forces de l’ordre, leur sentiment de toute-puissance et leur impunité. Leur déploiement systématique et massif, comme si la peur s’installait, comme s’il fallait conjurer le sort. Un président au visage crispé, un premier ministre à la mine déconfite, un ministre de l’intérieur la voix tremblante à la radio, n’est-ce pas là la crainte que cette campagne présidentielle ne tourne court ? Qu’aux surprises bidons des primaires et des révélations, se substitue toute une série d’événements-surprises, qui renverse l’agenda politique, balaye les meetings, anéantisse la succession convenue des dates et des programmes.
Marine Le Pen et son parti, ne semblent eux pas trop pris au dépourvu. Et pour cause, elle est la seule à reconnaître le clivage entre ceux qui souhaitent que la police continue et amplifie son action, et ceux qui s’y opposent par tous les moyens. Dans l’échiquier politique, elle est la seule qui assume sans hypocrisie que la brutalité policière soit la garante de l’ordre républicain. Elle défend les flics à chaque meeting autant que les flics la défendent à chaque meeting. La force du parti de l’ordre est d’être le parti des forces de l’ordre.
Le FN est le premier parti pour lequel votent les flics. Leurs représentants syndicaux peuvent tranquillement assumer des propos racistes à la TV. Les flics manifestants de novembre gueulent « Sauvageons en prison ». Qui aurait encore la naïveté de croire que la police républicaine se maintient en dehors des manœuvres de basses politiques, qu’elle serait un élément neutre au service des gouvernants ?
Peut-être même est-ce l’inverse, peut-être même est-ce le gouvernement qui tend à être l’élément neutre au service de la police, cherchant à gauche comme à droite à se maintenir en dehors des manœuvres de basses polices. Ceci explique l’air d’éternels cocus des ministres de l’intérieur qui à chaque affaire crient à la bavure pour couvrir les pratiques courantes, éviter de froisser l’institution et ses forces armées, et dévoiler par là-même qui sont les vrais maîtres du navire. D’où l’impunité systématique dont bénéficient les flics, les peines symboliques, les mises à l’écart temporaires, le temps que ça se tasse. D’où les manifs nocturnes de cet automne, armées et cagoulées, en voiture sirènes hurlantes, rappels à tous ceux qui en doutaient qu’en marchant sur l’Élysée, les flics indiquaient simplement leur objectif. Les condés sont en roue libre, ils ont parié sur la victoire de leur camp. Ce qu’elle souhaite, cette police, c’est que l’incarnation de cet État, le président de la République, leur corresponde, que l’appareil d’État et sa symbolique fusionne enfin.
Alors qu’elle met le PS à sa botte, elle veut le FN à sa tête.
Il ne s’agit pas ici de crier au loup comme le font les suppôts de la république et de ladémocratie. On se rappelle de 2002, du climat de panique qui s’était installé. Aujourd’hui une victoire du FN, au premier ou au second tour, ne peut pas être une surprise. Les autres candidats l’ont bien compris. A gauche comme à droite ils se servent de cette hypothèse. D’abord pour se neutraliser les uns les autres dans leurs jeux politiques. Ensuite pour appeler massivement aux urnes et faire barrière au front national. Ils appellent au rassemblement et à la raison. Mais les dernières années de gouvernance nous montrent clairement que l’intolérance et le racisme n’ont pas de bord politique. On se souvient de la fermeture des frontières cet été, des passages à tabac, de l’état d’urgence, des pleins pouvoirs policiers, de l’expulsion de la jungle de Calais, on se souvient d’Adama Traoré.
Le FN n’est que le parti de ceux qui revendiquent ouvertement ces pratiques. Faire ce constat, c’est premièrement ne pas se laisser duper. Ne pas répondre à l’injonction au vote pour faire barrière au front national. Il n’y aura pas de front unitaire contre l’extrême droite.
Faire ce constat, celui que les forces de l’ordre garantissent le pouvoir du gouvernement au moins autant que le gouvernement ne garantit le pouvoir de la police, c’est comprendre ce qui se joue lors de l’élection présidentielle : la reconduction et la légitimation de ce pouvoir. Ce qu’il nous faut attaquer c’est bien l’ensemble de la scène politique. Ne pas s’arrêter au combat contre le FN sinon c’est un direct de gauche ou un revers de droite qui risque de nous arriver en pleine gueule. Faire ce constat, c’est aussi prendre acte que les flics sont racistes et qu’ils sont organisés. Que ce groupe organisé est aussi armé et fait usage de la violence. Ceci implique de s’organiser à son tour, en groupe, en bande, collectivement, en descendant dans la rue, pour être moins vulnérables, avoir les moyens de se défendre et les capacités d’attaquer à chaque fois que cela s’avéra nécessaire.
Comme le 19 avril prochain, pour accueillir comme il se doit Marine Le Pen, son parti et ses flics.