Lors d’un entretien avec un.e des membres du collectif nous avons pu échanger sur leur organisation et leurs modes d’action et revenir plus en détails sur leurs objectifs.
Les Veilleur.seuxses ont notamment l’envie de monter un dossier pour dénoncer le sexisme de certains profs vis à vis des élèves, et font des appels à témoignages sur leur page Instagram. “On est en train de monter un gros dossier sur des remarques qui auraient été dites par certains profs à des élèves pour amener tout ça à l’administration. Le truc c’est qu’un prof a trouvé notre compte instagram et a vu notre appel à témoignage et une collégienne nous a écrit sur le compte pour nous dire qu’un de ses profs en avait parlé en classe et avait menacé d’en parler à l’administration, donc pour l’instant on essaye un peu de faire profil bas, mais en même temps on récolte quand même plein de témoignages. On sait pas ce que l’administration fera de ça, mais bon ça vaut le coup d’essayer.” On lui conseille de choper des parents, parce que mine de rien, ce sont elleux qui peuvent faire bouger les choses parce qu’iels sont les seul.e.s à pouvoir faire flipper une administration. —
Cette discussion avec M. m’a beaucoup marquée, parce que j’ai été à Thiers, et que j’en suis partie il y a 6 ans. A l’époque c’était un prof de philo, aujourd’hui à la retraite, qui semait la terreur et qui avait des comportements plus que déplacé avec toutes les filles qui passaient dans sa classe. Et des filles il y en avait beaucoup puisqu’il enseignait tous les ans en classe de Terminale L, (classes majoritairement féminines). Mais jamais, jamais je n’aurais pensé à m’organiser, à le visibiliser parce que comme je l’ai dit à M. pendant qu’on discutait, c’était un homme, vieux, blanc, et que j’avais 17 ans, et mes copines aussi et que c’est dur de se sentir légitime quand on a la moitié de leur âge, voire plus. C’est pour ça que visibiliser leurs luttes et leurs actions me parait d’une importance capitale, pour que d’autres lycéennes puissent trouver le courage de faire pareil. Comme M le dit très justement “Souvent les profs de Thiers, surtout ceux d’un âge un peu plus avancé, ils se croient un peu tout puissants...et ils sont un peu tout puissants !”.
D’ailleurs, ce travail de visibilisation des comportements sexistes des équipes pédagogiques qu’iels pratiquent au sein de ce collectif a tourné dans Marseille, et le collectif a rapidement été contacté par des collégiennes d’un autre établissement, le collège Chape, suite à des propos sexistes proférés par un prof à l’encontre d’élèves. Ce prof est connu des élèves depuis longtemps, et plusieurs générations se sont méfié.e.s de lui puisque au sein des Veilleur.seuxses certaines filles avaient eu affaire à lui 10 ans auparavant ! Cela montre bien le tabou le plus total qui règne dans les établissements scolaires par rapport aux questions de harcèlement des élèves par les adultes de l’équipe pédagogique. Suite à un épisode problématique récent, des parents d’élèves se sont réuni.e.s pour aller voir l’administration. Depuis, le prof en question est en arrêt maladie. Ainsi, même quand il y a verbalisation puis prise en charge de l’administration, cette prise en charge se limite à la disparition temporaire du professeur problématique, ce qui me questionne sur l’efficacité et la portée de cette mesure. D’après M “Quand on cherche un peu on se rend compte que toutes les filles qui ont été ses élèves depuis des années et des années ont vécu ça avec lui et qu’en fait y a moyen de se battre contre lui.” Du coup, dans une véritable optique de prise en charge autonome du problème, puisque les administrations ne s’en occupent pas, des élèves de 4e ont contacté.e.s les Veilleurseuxses pour leur demander de venir faire des interventions sur le consentement et le sexisme dans l’établissement. Les membres du collectifs ont donc été mis.e.s en lien avec l’administration du collège et sont allé.e.s dans les classes soulever ces questions et créer des espaces de discussion. Les interventions peuvent aussi avoir lieu sur d’autres sujets, comme lorsqu’iels sont intervenu.e.s dans les classes de Terminale de Thiers pour parler de l’endométriose et visibiliser cette pathologie qui ne l’est pas assez.
Au fil de notre discussion, tandis que se succèdent les tasses de thé et que le soleil poursuit sa course, on aborde la thématique de l’humiliation des élèves par certain.es profs, et M. nous raconte que : “à Chape y avait un prof que j’ai eu pendant deux ans et là récemment y a eu un gros problème parce qu’il a humilié en place publique un gamin de 5e ou 4e, et en fait ce prof a toujours été problématique parce qu’il avait ses cibles qu’il humiliait et qu’il les lâchait pas, mais là un parent a porté plainte. Donc l’administration a eu chaud au cul, mais il a fallu une plainte pour qu’iels lui disent quelque chose !”. C’est donc bien la voix des adultes, des parents, accompagnée parfois de la justice française qui entraîne une “réaction” par rapport à ces agissements. La voix des mineurs, des élèves, qui savent et qui se font passer le mot sur plusieurs générations qu’un prof est problématique demeure complètement inaudible. Ces humiliations peuvent également, on s’en doute, être liées à un racisme totalement décomplexé : “Dans ma classe y a une meuf qui le jour de la rentrée avait oublié d’enlever l’alarme sur son téléphone pour sa prière. Du coup ça a sonné en cours, et le prof s’est mis à la bacher sous le couvert du second degré, en disant “Ah ben faut sortir les tapis, aller chercher les couvertures, on va tous.te.s mettre le voile !”. Et quand on est sorti.e.s du cours 1h plus tard ma pote avait les larmes aux yeux.”. Du coup l’éducation française ça donne plutôt envie de se déscolariser...Toutes ces histoires de violences au sein des établissements et au sein des classes on les connaît, tout le monde a vécu ou vu des histoires similaires dans son collège, dans son lycée, et maintenant que je fais partie du corps enseignant j’en vois tout le temps. Par exemple, un de mes élèves est quasiment le seul racisé de sa classe de 4e, et une autre de ses profs m’a dit un jour à la récré “Tu trouves pas qu’il est vraiment mal coiffé ? J’ai essayé de lui expliquer qu’il avait tout le temps l’air de sortir du lit et qu’il fallait qu’il coiffe ses boucles mais bon ça a pas trop marché…” Tu m’étonnes Simone ! T’expliques à un gamin de 13 ans comment coiffer ses cheveux crépus devant une classe entière de blancs blonds aux yeux bleus c’est quand même un peu trash. Cette impunité totale des profs, moi qui suis aussi prof, ça me saoule. Bref, je reviens à M. et à notre discussion.
Sur l’organisation concrète du collectif, M. nous raconte qu’iels sont une majorité de filles, lycéennes, et quelques élèves de CPGE. Iels ne sont pas encore organisé.e.s en association, donc ne peuvent pas être rémunéré.e.s, notamment parce que l’administration n’a pas accepté de les aider à se constituer en association lycéenne au même titre que le Foyer Lycéen ou le Conseil de Vie Lycéenne, ou du moins leur a dit que les démarches étaient très très compliquées (spoiler alert : c’est faux).
Voilà, alors multipliez les collectifs, les assos, entraidez vous dans l’école parce que si on fait confiance à la hiérarchie on est pas sorti.e.s de l’auberge !
La casse
Nous sommes un collectif de travailleur. ses dans l’éducation, pour l’instant profs et AED, qui se sont réuni.es suite aux gardes à vue d’élèves après l’hommage à Samuel Paty. On trouvait qu’aucune réaction des institutions ne condamnait la criminalisation des enfants de moins de 13 ans. On a donc écrit un premier texte, et on aimerait en écrire d’autres. On est donc un collectif en construction, et ce qu’on veut c’est faire entendre des voix dissonantes et invisibilisées sur les milieux de l’éducation et se mobiliser en conséquences (soutenir nos élèves, leurs parents, nos collègues ect.). Personnels, élèves, parents d’élèves, toutes vos idées, réflexions, propositions, attentes, expressions diverses sont les bienvenues ! On peut aussi se rencontrer, s’entraider dans la production ou recueillir des écrits déjà faits.
La version pdf du bulletin complet :