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Après la plainte de Marion et Eliot contre ces fonctionnaires et la transmission de cette vidéo, une enquête confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a confirmé les violences de deux des policiers qui doivent comparaître devant le tribunal de Marseille le 22 novembre. Cependant et contre toute attente, le parquet a décidé de ne pas les poursuivre pour avoir écrit un faux procès-verbal d’interpellation. Un crime, dans le droit français, passible de 15 ans d’emprisonnement devant une cour d’assises.
Images extraites des vidéos enregistrées lors de l’intervention de la BAC, le 30 avril 2021 à Marseille.
À l’issue de l’enquête confiée à l’IGPN, le parquet a conclu, sans craindre de se contredire, que le procès-verbal rédigé par les policiers « comporte des inexactitudes et édulcore à l’évidence la séquence d’interpellation. Les images révèlent en effet une scène bien plus violente qu’il n’y paraît à la lecture du rapport ». Pour autant, la falsification n’est pas, selon le procureur de la république adjoint, Patrice Ollivier-Maurel, « suffisamment significative pour avoir eu des conséquences préjudiciables pour les requérants ».
Étrange perception par le magistrat de l’absence de préjudice pour le couple ainsi interpellé. Car c’est sur la base du faux procès-verbal des policiers que Marion et Eliot ont été arrêtés pour « outrages, rébellion et violences aggravées sur personne dépositaire de l’autorité publique » et placés en garde à vue 43 heures. Sans ces images enregistrées par un témoin, leur innocence n’aurait pu être prouvée et les violences des policiers seraient restées impunies.
Le couple et un de leur ami, Clément A., également blessé par des policiers lors de cette soirée, sortent traumatisés de cette nuit. Victime d’une fracture au coude, de brûlures au visage et d’une entorse cervicale, Marion, infirmière dans un hôpital public de Marseille, a eu vingt et un jours d’interruption totale de travail (ITT). Les complications de ses blessures et le choc psychologique l’ont contrainte d’interrompre son activité durant six mois. Tandis que son conjoint Eliot a eu cinq jours d’ITT et a dû s’arrêter de travailler, pendant plus d’un mois, dans le magasin où il était vendeur.
Le 30 avril, vers 1 h 40, sur les ondes radio, un équipage de la BAC est alerté par le centre d’information et de commandement (CIC) pour un « individu sur le toit d’un immeuble de 5 étages, avec un échafaudage ». Ils arrivent vers 2 heures et font descendre, sans heurt, les jeunes du toit avant de procéder au contrôle de leur identité devant l’entrée de l’immeuble.
La suite a été enregistrée par un voisin.
La vidéo du voisin
Sur les images vidéo, on voit l’un des policiers s’approcher d’Eliot, qui habite en colocation dans l’un des appartements du rez-de-chaussée et fait partie des fêtards montés sur le toit. Alors que le jeune homme ne s’oppose pas à son contrôle, le brigadier-chef Cyril A. lui donne un coup au visage avec sa lampe torche. S’ensuit un coup de tête et plusieurs coups de poing. Plaqué sur le capot d’une voiture et maîtrisé par un autre policier, Eliot reçoit de nouveau au visage plusieurs coups de Cyril A. qui lui hurle « Ferme ta gueule ».
À quelques mètres, l’amie du jeune homme, Marion, interpelle les policiers pour que leur collègue cesse de tabasser Eliot. Mais elle est violemment poussée à terre par le gardien de la paix Melik S. au point d’en perdre connaissance quelques secondes. Lorsqu’elle se relève, Melik S. se rapproche d’elle, l’asperge, à quelques centimètres du visage, de gaz lacrymogène et la pousse de nouveau au sol en lui criant « Casse-toi ».
Menotté, Eliot subit un étranglement arrière avant d’être tiré par les cheveux jusqu’au véhicule de police. Interpellés et conduits au commissariat, Marion et son ami sortent finalement libres de 43 heures de garde à vue sans aucune poursuite. Compte tenu de l’absence d’éléments et des faits révélés par la vidéo, ils écopent d’un rappel à la loi, mesure alternative, laissant leur casier judiciaire vierge.
Sans ces enregistrements, sur la base des écrits mensongers des policiers, Marion et Eliot risquaient respectivement une peine de deux et trois ans d’emprisonnement. Dans le procès-verbal rendant compte de leur intervention, les agents de la BAC expliquent qu’après avoir fait descendre les jeunes du toit, le policier Cyril A. a procédé au contrôle de l’un d’entre eux, Eliot, qui « gesticul[ait] dans tous les sens et ne cess[ait] de bouger ».
La version des policiers
Dans le même temps, une jeune femme « se précipite vers [leur] direction afin de s’interposer entre [eux] et l’individu qu[’ils] contrôl[ent] », relatent-ils avant de préciser qu’elle est « assez excitée et qu’elle semble alcoolisée ». Lorsque le gardien de la paix Melik S. tente de la « maintenir à distance » et « vu son état d’ébriété, elle chute en arrière au sol », racontent-ils dans le procès-verbal.
Le couple semble particulièrement agité et violent. Ainsi, Eliot « rapproche son visage » du brigadier-chef Cyril A. pour lui donner un coup de tête, obligeant ce dernier à « repousser avec sa main le visage » du jeune homme. C’est également parce que Eliot le repousse « avec ses mains et ses pieds » que Cyril A. doit lui porter un « coup au niveau de [s]a pommette afin d’arriver à le maîtriser ».
Au cours de cette interpellation et toujours selon les écrits des policiers, le jeune homme se heurte lui-même le visage contre le capot de la voiture puis il se cogne, encore tout seul, la tête lorsqu’il rentre menotté dans le véhicule des policiers.
Quant à son amie, Marion, « particulièrement excitée », elle « se jette sur le gardien de la paix [Melik. S] » qui « fait alors usage de la bombe lacrymogène sur la jeune femme », « occasionn[ant] une nouvelle fois sa chute au sol ».
« T’es qu’une pute », lui aurait alors lancé Marion, insultes justifiant son interpellation pour outrages et rébellion. Malgré les violences que les policiers prétendent avoir subies, aucun d’entre eux n’a été blessé au cours de cette intervention.
Les conclusions de l’IGPN
Lors de la comparaison entre les enregistrements vidéo et le procès-verbal, l’IGPN ne peut que constater l’ensemble des « divergences » et des « éléments discordants susceptibles de caractériser l’infraction de faux en écriture publique ». Ainsi, en retranscrivant les vidéos, les enquêteurs relèvent que les policiers n’ont pas fait mention dans leur procès-verbal de « la gifle initiale » portée par le policier à Eliot, ni de « la succession de coups de poing » qu’inflige ce même agent au jeune homme.
Ils constatent également que Marion, qui est « plutôt calme » sur les enregistrements vidéo, contrairement aux écrits des policiers, « ne chute pas au sol à cause de son état d’ébriété mais suite à une violente poussée » du gardien de la paix Melik S.
D’ailleurs, Marion n’insulte pas le policier de « sale pute », l’IGPN notant que ces injures sont proférées par une voix masculine. Enfin, c’est à la suite du tabassage de son ami par le brigadier-chef qu’elle tente de s’interposer, et non l’inverse comme l’ont écrit les policiers.
Malgré ces constats, l’IGPN parvient à blanchir l’équipage de la BAC. Les enquêteurs minimisent tout d’abord les violences commises en reprenant textuellement les déclarations des policiers lors de leurs auditions. Ainsi, le brigadier-chef Cyril A. déclare n’avoir pas porté de coup de poing à Eliot mais lui avoir assené une « gifle dite “soufflette” ». Il s’agit selon le policier d’un « geste de repoussement de la main sur le visage du jeune homme » pour « attirer l’attention » de celui-ci dont « les propos étaient confus ».
Lorsqu’Eliot est plaqué sur le capot et reçoit plusieurs coups de poing au visage, il s’agit, toujours selon le policier incriminé, de « coups de l’avant-bras », des « gestes de dégagement » parce qu’il aurait eu les mains saisies par le jeune homme. Une nouvelle version des faits ne correspondant pas aux enregistrements vidéo.
Il n’y a pas eu de la part des policiers d’intention coupable d’omettre volontairement certains faits ou altérer la vérité
Le rapport de l’IGPN
Une fois ces violences ainsi requalifiées, l’IGPN estime que les policiers ne les ont pas fait figurer dans leur compte rendu d’interpellation mais qu’ils les ont, a postériori, « unanimement reconnues comme involontaires et justifiées » au cours de leur audition.
L’IGPN trouve d’autres prétextes aux policiers. Ainsi, l’auteur du procès-verbal, le gardien Mario S., explique n’avoir pas vu l’ensemble de l’interpellation et il l’a donc rédigée « sur la base des éléments que lui avaient été rapportés sommairement par ses collègues », également signataires de ses écrits. Et Mario S. a écrit « dans une salle de rédaction bruyante à fort passage, ne permettant guère de se concentrer ».
Une justification pour le moins consternante. Sauf pour l’IGPN qui ne minimise pas ses efforts pour blanchir les policiers. Ainsi, concernant Marion, le policier Melik S. reconnaît lors de audition l’avoir poussée mais « qu’elle ne serait pas tombée si elle avait été plus sobre », version, selon l’IGPN, que « le rédacteur a essayé de retranscrire sur le procès-verbal ».
Pour le reste, lorsque les policiers ne trouvent pas d’explication pour justifier leur omission, l’IGPN conclut à une simple maladresse. L’IGPN est catégorique, « il n’y a pas eu de la part des policiers d’intention coupable d’omettre volontairement certains faits ou altérer la vérité », malgré « certaines erreurs relevées dans la chronologie des interventions ou dans la retranscription de certaines situations ».
Cette décision du parquet légitime les dérives policières
Marion
Dans l’attente de leur jugement, les policiers, dont l’un a des antécédents pour avoir conduit en état d’ivresse, sont passés en conseil de discipline. Des peines d’exclusion de 8 et 10 mois avec sursis ont été proposées. C’est la Direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) qui doit désormais décider de leur sort. Interrogée, la Direction générale de la police nationale (DGPN) n’a pas souhaité apporter de commentaire.
Contactés par Mediapart, Marion et Eliot ne comprennent toujours pas pourquoi le parquet de Marseille n’a pas reconnu les mensonges des policiers. « J’ai eu peur de finir en prison. C’est la première fois que j’avais affaire à la police. C’est traumatisant », explique le jeune homme. « Après les violences de ces policiers, il y a celle de la justice qui ne reconnaît pas les faux écrits de ces agents. Je n’ose imaginer ce qui nous serait arrivé sans les preuves apportées par la vidéo. Cette décision du parquet légitime les dérives policières », précise Marion.
L’avocat du couple, Thomas Hugues, annonce saisir un juge d’instruction sur les faux écrits des policiers. Il dénonce « le traitement de faveur judiciaire qui a été accordé à ces deux policiers qui se voient renvoyés devant une juridiction correctionnelle sur des charges totalement minorées » et déplore qu’en « dépit de ses nombreuses demandes auprès du parquet de Marseille, le Défenseur des droits n’a jamais pu avoir accès au dossier pour mener une enquête déontologique qui aurait été nécessaire et indispensable à la manifestation de la vérité ».
Il ne s’agit pas de « faire le procès de la police mais des comportements déviants de cette sorte, attentatoires à nos libertés fondamentales, ne peuvent être tolérés au sein de la police nationale et dans notre société démocratique, surtout lorsque lesdits comportements déviants ne sont pas assumés par les auteurs et couverts par leur hiérarchie ».
P.-S. : Mardi 22 novembre, le tribunal de Marseille a annulé les convocations en justice des policiers à la demande de l’avocat de Marion et d’Eliot qui contestait les motifs de poursuite des policiers. En effet, le parquet n’avait pas retenu les circonstances aggravantes des violences commises en réunion par les policiers et avait également écarté l’usage de l’arme, à savoir le gaz lacrymogène, ayant entraîné 21 jours d’interruption totale de travail (ITT) pour Marion. Si aucun appel n’est fait de cette décision, soit le parquet peut requalifier les motifs de poursuite, soit l’avocat de Marion et d’Eliot pourra ressaisir la justice en faisant un dépôt de plainte avec constitution de partie civile devant un juge d’instruction.