Ces documents (que vous pouvez télécharger en bas d’article dans leur intégralité pour vous en faire une idée complète), qui font un peu moins d’une cinquantaine de pages, constituent un ’Rapport à destination des cadres de l’Action Française’ et sont intitulés ’La guerre de l’information en politique’. On y trouve entre autres des consignes quant au rapport à l’image, à l’action politique et à la hiérarchie interne au groupe. Et il commence sur une note assez réaliste : Nous avons toujours été à la traîne sur le terrain militant (Introduction, page 6).
Mais avant tout, faisons un rapide retour en arrière :
Qui sont ces bouffons du roi ?
L’Action Française est le plus vieux groupe d’extrême-droite encore en activité en France, bien qu’elle ait connu plusieurs phases historiques différentes.
Elle est née en 1898, au moment de l’affaire Dreyfus, en se rengeant dans le camp des antidreyfusards, sur la base de positionnements nationalistes (’La France aux français’) et antisémites. Des positions que ses membres n’ont toujours pas laissé de côté, comme l’indiquent l’un de leurs slogans de référence ("tout ce qui est national est nôtre") ou les prises de position numériques de certains de leurs membres actuels. Un exemple avec Antoine Pizaine, ancien responsable de la section de Grenoble, et également présent à Marseille lors de la défense (ratée) de leur local le 16 avril, qui nous offrira en prime un peu de négationnisme plus loin dans l’article :
Gageons que cela contribuera à créer "l’image de marque [qui] détermine qui nous attirerons à nous, ainsi que l’opinion générale du public à notre sujet. Elle est capitale pour que le mouvement attire à lui des talents plus que des boulets. Un mouvement sulfureux attirera des gens sulfureux. Un mouvement idiot attirera des gens idiots. Un mouvement respectable attirera hélas des gens sulfureux, des idiots et des gens respectables. Aussi une bonne image de marque est un combat perpétuel, il faut en permanence veiller à ce qu’elle ne soit pas salie par des facteurs internes ou externes", comme il est précisé dans la page 32 du rapport. Pour rajouter une petite dose de racisme dans la démonstration, quelques lignes plus bas, on lit que le mouvement "doit ressembler à une ruche active et organisée, pas à l’armée gabonaise" (page 33). Mais nous y reviendrons plus tard.
Une fois ces bases antisémites et nationalistes posées, l’AF devient très vite royaliste, sous l’égide notamment de Charles Maurras, qui professait le ’nationalisme intégral’.
Là encore, ces positions restent encore vraies aujourd’hui : l’Action Française prône le retour à la monarchie et leur but ultime est la remise sur le trône de celui qui aujourd’hui est connu sous le nom de Louis XX. C’est-à-dire qu’ils sont sur des positions dites ’légitimistes’ et soutiennent la branche aînée des Bourbons, à la différence de la branche ’orléaniste’ des royalistes. Pour la petite histoire, le Louis en question est né en 1974 à Madrid et est l’arrière-petit-fils de Franco, dictateur d’Espagne pendant un peu plus de 35 ans. D’où son petit nom de naissance de Luis Alfonso Gonzalo Víctor Manuel Marco de Borbón y Martínez-Bordiú, puisqu’il nait de deux parents de nationalité espagnole (seul le père avait la double nationalité). Bref, bien de "chez nous" pour ceux qui appellent à la France aux français.
Afin de continuer l’éventail des prises de positions historiques de l’AF, on peut aussi remarquer qu’en 1940, une énorme majorité d’entre eux va soutenir Pétain et fustigeront la résistance interne, la voyant comme ’un complot contre la nation’, quand bien même d’autres (infinimement minoritaires) rejoignent les rangs de la Résistance et soutiendront les positions de De Gaulle contre les nazis. Après diverses scissions pendant et après la guerre, l’Action Française ne revivra plus en tant que telle avant de nombreuses années. En 1998, on voit de nouveau réapparaître cette appellation.
Ces dernières années, ils prennent notamment position contre le mariage homosexuel et font les gros bras au service de la Manif pour tous, ou encore contre l’immigration, quand bien même ce domaine politique est courtisé par l’ensemble des structures d’extrême-droite et nationalistes, entre lesquelles l’Action Française peine à trouver sa place (comme ils l’affirment d’ailleurs eux-mêmes en page 10 de leur rapport : "Les « cacophonies » sont des terrains où il faut se distinguer au milieu d’alliés. La difficulté de ces terrains est double : Risque de se brouiller et risque de ne pas être audibles. Exemple : l’immigration ou la politique étrangère".
Retour à la réalité, de nos jours :
Si nous revenons à notre dossier, nous y apprenons que l’enjeu de ces pages est de démontrer que l’information doit devenir une arme, au même titre que la trique et le casque (page 6).
En premier lieu, il y est conseillé de repérer les terrains d’action (page 8) existants et de faire une cartographie des acteurs présents sur chacun de ces terrains, divisés en huit catégories dans un petit schéma : engagés, alliés, passifs, neutres, contradicteurs, opposants, adversaires, hésitants. Par exemple, si le Front National est considéré comme opposant sur son rapport à la monarchie, il y est considéré comme un allié sur le terrain de l’immigration, ajoutant qu’il faut en permanence savoir quel est l’intérêt profond de chaque acteur, ainsi que ses divisions internes (page 9). C’est sûrement de ces stratégies là que découlent leur accointances avec tous les groupes d’extrême-droite, des plus institutionnalisés aux plus néo-nazis. Ne valant rien tout seuls, ces petites stratégies de manipulation est leur façon d’essayer de maintenir la tête hors de l’eau (ou loin de l’échafaud).
Selon eux, la défaite vient toujours du manque d’engagement des alliés et de l’insuffisante division des adversaires (p.9), et jamais de leur propre inconsistance. Bref, c’est la faute des autres, argument que l’on retrouve souvent dans les discours xénophobes et démagos de tout poil. Pas d’exception ici. Un peu plus loin dans le texte, on peut lire que "Si l’Action Française est ce qu’elle est aujourd’hui, malgré les déclins, les scissions et les reprises c’est grâce à deux choses : la somme écrite laissée par Maurras et le journal. Rien d’autre ne peut expliquer la pérennité du mouvement. Si nous sommes aussi faibles depuis la mort de Maurras, c’est parce que personne n’a produit d’ouvrage majeur au sein mouvement " (p.35). Cette fois, l’inconsistance est assumée, mais l’action politique est reléguée à la production écrite comme facteur clé de la création d’une crédibilité politique, et non pas le travail politique au jour le jour. Mais venant d’une organisation qui ne jure que par quelques textes sacrées et une obtusité théorique absurde, ce n’est pas si étonnant.
Ensuite, à propos de travail politique, ce sont les terrains d’action de demain qui sont à l’honneur, faisant écho à leur nouvelle maxime, selon laquelle ’Demain nous appartient’. En tout cas, aujourd’hui, c’est pas gagné. L’objectif visé par cette action, c’est de "sortir de l’ornière qu’est l’image « faf » en sortant des combats traditionnels : mariage gay, immigration, tous-pourris, etc" (p.10). Là encore, sortir de cette catégorie "faf" (à savoir que ’faf’ est l’acronyme de ’France aux Français’, souvent associé à ’fachos’, parce qu’effectivement, il n’y a que moins d’un pas de l’un à l’autre) ne semble pas évident, d’autant plus quand on a dans ses rangs des types comme Pizaine, déjà cité plus haut. De plus, la récente présence de Marion Maréchal Le Pen dans une rencontre de l’Action Française dans le Vaucluse contribue elle aussi à renforcer ce lien déjà connu entre l’AF et d’autres groupes ’fafs’, tels que le Front National.
Est-ce que ces militants, dont certains anciens responsables, rentreraient donc dans la catégorie des militants "déviants", comme l’explique le manuel ? : Les déviants sont des militants ayant des positions incompatibles avec la doctrine du mouvement, ce malgré la formation dispensée par le mouvement. Nous ne parlons pas ici de petites divergences, bénéfiques au mouvement car il faut des débats internes, mais d’idées manifestement incompatibles comme le nazisme, par exemple [NdMIA : certaines citations insérées dans cet article montrent bien que ce n’est pas si incompatible que ça].Les déviants ont deux effets négatifs. D’abord ils participent à un climat de laxisme doctrinal chez les militants : l’AF devient un grand salon de thé qui accueille tout le monde. Ensuite, ils créent de la confusion dans l’esprit du public qui entend leur discours. Les planquer lors des évènements publics n’est pas une solution, tôt ou tard ils ressurgiront et feront une boulette (p.34). Dont acte.
Pour revenir à leurs terrains d’action de demain, ceux-ci sont divisés - avec beaucoup de poésie, il faut le reconnaître - en océans rouges et océans bleus (p.10). Au niveau de la forme, parce que c’est un détail chromatique qui fait sourire, rappelons que rouge et bleu sont les couleurs de la ville de Paris, qui ont fait plier le roi et son blanc immaculé (d’où l’actuel drapeau national, que les royalistes brandissent malgré le symbole historique qu’il représente). Dans tous les cas, ce petit détail tend à aller à l’encontre du point "Maîtriser l’Histoire pour mériter le respect" (p.36) du manuel. De fait, ils ne méritent pas le respect. Ils se rapprochent plutôt de cette phrase du haut de la page 13 de leur rapport : "Il est important de savoir où l’on met les pieds pour ne pas sauter sur une mine ou pire, passer pour un imbécile". Et quand bien même ils rétorqueraient que ’tout ce qui est national est leur’, y compris la forme Républicaine et ses symboles (même s’ils réaffirment leur antirépublicanisme page 22, notamment), citons de nouveau l’antisémitisme de Pizaine :
Nous sommes bien conscients que ce que raconte un individu ne retombe pas forcément sur une organisation dans son ensemble, mais lorsque celle-ci produit un document à l’usage de ses cadres dans lequel il est écrit (en parlant d’un certain type de ces fameux ’océans rouges’) : "Les « poudrières » sont des terrains que nous voulons réinvestir, mais avec une position différente du passé. Le risque est de se voir interdire tout repentir par des adversaires trop heureux de nous tacler sur le passé. Exemples : Pétain ou les Juifs (si tant est que nous souhaitions réinvestir ces terrains)" (p.10), nous prenons en effet un malin plaisir à les tacler, et pas seulement sur le passé. Difficile alors de sortir de l’ornière "faf" citée plus haut. S’il est assumé que ’changer’ de point de vue n’est qu’une éventuelle stratégie de communication, c’est que le fond n’en est pas altéré. Mais bon, on s’en doutait un peu.
En bref, les "océans bleus" sont des espaces considérés comme libres d’adversaires, dans lesquels ils pourraient développer leur propre initiative politique sans être dérangés ou en compétition avec d’autres, tandis que les "océans rouges" sont des espaces de conquête et de bataille contre d’autres acteurs en présence. Ils basent la "légitimité" de leur présence dans chacun de ces espaces ou de ces domaines par quelques vagues maximes qui n’ont d’autre valeur politique que celle de développer un sentiment identitaire interne et donner une image de pseudo-cohésion : "Préserver l’héritage en attendant l’héritier (p.11), en plus de celle déjà citée qui voudrait que tout ce qui est national est leur. C’est-à-dire que par ces grandes phrases, ils cherchent à donner l’impression d’une existence politique réelle quand ils n’en sont réduits, comme ils le disent, qu’à "attendre".
Sur les experts de la communication
"Un groupe d’experts de domaines différents a plus de chances de trouver une bonne idée qu’un rassemblement d’imbéciles"(p.12)
Comme beaucoup de structures, l’Action Française veut avoir une maîtrise de sa communication, pour se donner une cohérence théorique (même factice) et ce à plusieurs niveaux : à la fois à l’intérieur du mouvement royaliste, où pas mal de divergences existent ("Le royalisme c’est nous, les pseudolégitimistes et autres bonapartistes qui sèment la confusion dans l’esprit du doivent être inaudibles. Même chose pour toute personne se prétendant royaliste sans aller dans notre sens., p.14"), et aussi en direction de l’extérieur. Plusieurs stratégies sont mises en place dans ce but, à commencer par une structuration hiérarchique claire de qui peut communiquer, et quoi communiquer. Il s’agit de développer des figures d’"experts" (quand bien même chaque militant est appelé à étudier), de trouver les bons porte-paroles et des cadres compétents.
Sur l’intérieur : Plusieurs obstacles se dressent alors face à eux, dont certains exprimés par les questions "Qui accepte de voir son nom associé à l’AF ?" et "Qui accepte d’être porte-parole du mouvement, à d’avoir sa tête associée au mouvement ?" (p.17), qui pose un éclairage divertissant sur une contradiction flagrante de l’AF : à la fois considérer qu’ils sont légitimes et les vais représentants de la France populaire et de ses aspirations, mais en parallèle estimer trop complexe d’associer sa tête et son nom au mouvement. Deux explications à cela : le fait qu’ils sont conscients que leurs aspirations et la réalité sont des choses bien différentes et qu’ils inspirent plus de pitié que d’admiration, et le danger de s’exposer. Dans les deux cas, c’est bien parce que c’est contre eux que s’élèvent des forces qu’il leur est compliqué de pouvoir s’afficher. Et ils le savent.
De plus, les chefs et les porte-paroles, quand bien même ils disposent d’un pouvoir conséquent au sein de l’organisation, sont aussi liés à elle par une coercition paradoxale, puisqu’ils la représentent officiellement :
Les chefs et les porte-parole n’ont plus le droit de déraper dans leurs communications publiques pendant toute la durée de leur mandat. C’est une règle capitale. S’ils veulent être libres, qu’ils démissionnent.
Seconde règle : l’honneur personnel doit s’effacer devant les besoins du mouvement. Ceux qui ne sont pas capables d’essuyer provocations et crachats ne doivent pas être porte-parole. Un bon porte-parole doit savoir se retirer lâchement lorsqu’il n’y a rien à gagner dans un débat. Il ne doit pas débattre pour convaincre à tout prix son adversaire, mais pour persuader le public et donner une bonne image du mouvement.
Enfin, le porte-parole doit être le bon soldat de la communication du mouvement. Un militant qui diverge du mouvement apporte de la diversité utile. Un porte-parole qui diverge du mouvement apporte du chaos et décrédibilise le mouvement. Un bon porte-parole doit réciter la doctrine et taire ses opinions le temps de son mandat.
page 33
Dès lors, il leur faut harmoniser un discours interne pour pouvoir se sentir la force de se proposer à l’extérieur. Laissons-les présenter eux-mêmes la façon de gérer la situation sur la maîtrise des débats internes. : Il est sain qu’ils existent, il ne s’agit nullement de remettre en cause cette liberté constructive. En revanche, les divergences internes doivent d’effacer en présence de public. Chaque divergence est une faille dans laquelle un ennemi rusé peut glisser son doigt diviseur. les divergences doivent être inidentifiables par un tiers, elles ne doivent pas quitter les locaux. Cela implique bien entendu une certaine forme de démocratie interne, afin d’évacuer les frustrations. Même l’homme le plus loyal finira par se répandre à l’extérieur s’il n’a pas de moyen intérieur d’évacuer sa frustration. La mauvaise gestion (ou la non-gestion) des conflits internes sème la discorde et fait naître bien malgré eux de futurs traîtres, de futurs séditieux et de futurs informateurs. (p.18).
Le fait même que nous recevions ces notes internes est une belle preuve que c’est une réussite, et que le futur décrit ici est assez proche du présent.
Ensuite, cette belle image de cohérence et de maîtrise est aussi un rien entâchée par ceci : "La gestion des militants est complètement artisanale et inefficace, en témoigne l’impossibilité de savoir qui est à jour de cotisation. Même chose pour le journal. Certains le reçoivent sans avoir payé depuis plusieurs années" (p.16).
Sur l’extérieur : Comme pour beaucoup d’autres groupes, individus, entités politiques plus ou moins institutionnelle, les réseaux numériques ont profondément modifié le rapport à l’information et à la représentation de soi vers l’extérieur. Il s’agit donc en premier lieu de collecter des informations, en les organisant selon un système de sources plus ou moins fiables selon ce qu’elles servent ou non leurs intérêts politiques. A la fois pour savoir ce qu’il se passe dans le monde et pour se faire une idée de ce qu’il se dit d’eux, plus ou moins publiquement, et préparer une stratégie médiatique contraire, la fameuse "guerre de l’information".
Pour commencer en beauté avec la notion de crédibilité de leurs discours, voyons plutôt comment les choses sont présentées en page 20 :
La technique la plus classique d’influence consiste à devenir incontournable par la publication d’une veille exhaustive sur un sujet, puis à truquer. Le public abonné à ce canal incontournable ne remarquera pas la disparition de certaines sources, ou l’apparition d’autres. Bien entendu, mieux vaut utiliser un canal neutre, afin de ne pas être grillés.
La clé de tout est la crédibilité. Elle n’est jamais acquise et peut être perdue par une manœuvre d’influence malhabile. La crédibilité découle de l’exhaustivité, en tout cas au début, et de l’utilité tout le temps. Une source exhaustive mais polluée lassera vite son public. A l’inverse, une source biaisée mais extrêmement efficace peut être plébiscitée si les ficelles ne sont pas trop visibles.
L’influence par la veille peut être orientée sources ou orientée cibles. Une influence orientée source a
pour but de descendre ou de promouvoir des sources selon une stratégie précise. Elle vise le public le plus large possible. Une stratégie orientée cibles vise à influencer un public très précis dans le but de lui faire passer des messages. Elle joue sur les sources afin de plaire à ce public, pour mieux l’influencer ensuite.
En ce qui concerne l’usage de l’image, par exemple, on apprend page 35 que "L’art du photographe et du cadreur est d’arriver à masquer ce que l’on ne veut pas voir, pour mettre en valeur ce que l’on souhaite montrer". Un exemple récent et tout proche serait celui de la fameuse "défense" du local de la rue Navarin par l’Action Française, qui avait pour le coup fait venir des gens de toute la France puisqu’ils sont trop peu localement, et qui s’était gargarisée sur leur faceboo, ou leurs médias d’avoir repoussé les hordes gauchistes sans problème. En omettant toutefois de publier des photos sur lesquelles on voit des hordes de camions de CRS dans la rue Navarin pour les protéger. Au cours de l’évènement, les flics en question avaient le dos tourné vers l’AF, et la tête et la matraque vers les antifascistes.
Mais bon, mieux valait omettre cela, effectivement, parce que ça rendait leur défense un peu moins glorieuse. D’autant plus que le local en question a tout de même été ravagé dans la journée.
On voit ici que nos petits fachos à mèche ont bien révisé leur manuel de propagande, et nous saluons leur façon d’assumer directement le fait que ce qu’ils racontent est truqué et fallacieux, laissant de nouveau entrevoir le peu consistance politique que leurs propositions portent effectivement. Dans la même veine, citons ce passage sur le blanchiment d’idées : "Le blanchiment consiste à faire relayer par un média fiable, une information douteuse voire complètement inventée. Cette technique d’influence est moralement douteuse, mais très efficace. Elle doit être utilisée avec parcimonie car elle est très chronophage." Pour celles et ceux que ça intéresse, le processus est détaillé en page 20, avec en sus un petit schéma explicatif.
Et pour que cela ne se retourne pas contre eux, ils se proposent de "fidéliser un réseau d’informateurs", ce qui est déjà une forme d’action en soi. S’ensuivent les propositions de lobbying, notamment au niveau électoral à travers le chantage, chose qui ne peut se faire sans alliés, informateurs et informations. Là encore, le rapprochement avec le Front National a son utilité stratégique.
Quel public offrir au public ?
"Une part raisonnable de cheveux blancs est une marque de respectabilité, trop de cheveux blancs asphyxient la jeunesse. Les femmes, les minorités visibles et les styles connotés soulèvent aussi des problématiques" (p.34).
Le problème de l’affichage et de l’utilisation des personnes est clairement posé dans ces lignes. Mais ce qui les intéresse aussi (et surtout), ce sont les personnalités avec lesquelles s’afficher, pour pouvoir profiter de leur rayonnement. On a déjà parlé de Marion Maréchal Nous Voilà Le Pen, on peut aussi prendre l’exemple d’Alain Soral, raciste et antisémite notoire, histoire de ne pas changer une équipe qui ne gagne pas.
On peut aussi citer leurs liens avec Loïc Delboy, responsable hexagonal du réseau néonazi Blood & Honour, qui a récemment fait la une des médias avec des arrestations dans tout le pays.
Tuer l’adversaire : Par le ridicule, par l’infâmie (page 23). Ce sont les deux armes de communication que se donnent les royalistes. Comme pour toute arme dont on fait usage, il semblerait qu’ils l’utilisent d’abord contre eux afin d’en mesurer les effets, et ça marche, ils sont en effet ridicules et marginalisés.
L’Action Française, une école de pensée ?
C’est en tout cas ce à quoi elle aspire être. Et comme dans toute école, les rôles sont bien définis entre les maîtres (porte-parole, cadre, penseurs) et les écoliers (disciples, traîtres, dissidents, selon leur propre qualification. N’hésitant pas à citer Lénine, dont les stratégies de propagande étaient effectivement efficaces, l’AF se voit aujourd’hui comme "un mouvement de vulgarisateurs et de disciples. Nous manquons cruellement de porte-parole et de penseurs. [...] L’enjeu des prochaines années va être de trouver des penseurs pour ne pas mourir et des porteparole pour décoller" (p.25). Rappelons que plus tôt, ils présentaient leur capacité à la production intellectuelle comme étant l’une de leurs forces majeures. On voit ici qu’elle est limitée, de leur propre aveu. Une fois les maîtres (Maurras) morts, difficile de continuer à faire vivre une idéologie mort-vivante.
Mais le but affiché est plutôt de créer une discussion, là encore en partie artificielle, autour de leur mouvement, et de leur présence. Même leurs contradicteurs y sont vus bénéfiquement dans cette optique, puisque cela entretient leur présence visible. On peut donc considérer, selon cet argument, que la publication du présent article ferait de la pub à l’Action Française puisqu’il lui donne plus de visibilité qu’elle n’en a. Mais nous en doutons.
Nous ne devons plus revendiquer toutes nos actions ,"La guerre de l’ombre", page 25 : dans cette partie, quelques techniques de ’hacking’ sont développées pour paraître plus puissant que l’on est. Tout fiers de redécouvrir le principe de sabotage et de guerre asymétrique, on nous propose ici de griller des clopes sous des détecteurs de fumée ou encore de mettre du chewing-gum dans des serrures. Voilà qui représente une menace, alors. Exemple : "Prenons un scénario complètement fictif : nous souhaitons créer la panique en faisant croire à une faillite du pays. Une guerre de l’information répandra la rumeur, que le hacking viendra confirmer, en mettant en panne tous les DAB de Paris par exemple". Un scénario qui n’est pas si fictif que ça ces derniers temps, notamment avec la pénurie d’argent liquide qui s’est observée dans la ville de Rennes lors des manifestations à répétition contre la Loi Travail. Sauf que là, ce n’était pas une poignée de royalistes à l’oeuvre, mais des milliers de manifestant-e-s, partout dans le pays. Voilà qui devrait un peu freiner leurs ambitions de grandeur.
L’organisation interne de l’AF
Sur la hiérarchie : Son rôle y est évidemment primordial. Pas question de sortir des limites posées par la place de chacun. Un organigramme précis et en place, chacun doit savoir où il est placé et à qui obéir (p.28). Si cela est établi, le but de cet étalonnage est un peu confus : "Les cadres devraient se livrer périodiquement à l’exercice suivant : au cours d’un évènement quelconque, aller interroger quelques militants pris au hasard sur la stratégie du mouvement. Ils verraient que cela est très confus, même dans la tête des plus anciens" (p.27).
"Connaître l’organigramme est une chose. Connaître les prérogatives de chacun en est une autre. Il suffit de demander à un militant au hasard : personne ne connaît le rôle des diverses institutions. Qui connaît le rôle du Comité Directeur ? Du Bureau Politique ? Les prérogatives exactes des chefs de fédération ? Il faut clarifier tout ça si le mouvement se professionnalise" (p.27).
Etant donné que "nous ne sommes pas encore dans une France restaurée" (p.28, on appréciera la finesse de l’analyse), il faut des cadres forts à la tête de ces hiérarchies, afin d’éviter la déliquescence du mouvement dans son ensemble. En bref, que ceux qui ont les bases les plus solides puissent traîner les clampins douteux dans leur sillage grâce au développement d’un projet plus clair que d’autres. Les tactiques de manipulation semblent donc être utilisées pour le moment essentiellement à l’intérieur de leur propre mouvement par des personnes assez capables pour se constituer une petite place de pouvoir et faire en sorte de la garder, par différents moyens. Notamment l’expulsion des déviants (dont on a déjà parlé plus haut) ou des "touristes".
En-dessous des structures centralisées, on aura des cellules transversales, auxquelles ont fixées des missions d’étude, qui devront rendre des comptes à un de ces chefs. De bêtes groupes de travail, en somme, sous contrôle de la hiérarchie.
Sur les réseaux numériques ou non : là encore, une hiérarchie et une identité claire sont posées. Certains seront la voix de l’Action Française sur le net, les autres n’y ayant pas droit. A la fois pour éviter les dérapages internes dont nous avons déjà cité quelques exemples, mais aussi pour se prémunir des agressions de plusieurs catégories de personnes : les "amis encombrants", les "loups déguisés" et les "indisciplinés" (voir page 29). Ils souhaitent en effet des "membres triés sur le volet. Ceux-ci ne doivent pas des passagers clandestins", ainsi qu’une structure, dont les statuts "doivent être solidement construits, afin de lier celle-ci au mouvement tout en lui donnant une apparence de neutralité, afin que les membres puissent s’en réclamer dans le monde professionnel" (p.30). On voit encore une fois ressurgir cette complication du fait de s’afficher comme partie prenante d’un mouvement qu’ils prétendent être l’expression de la France populaire. Et comme "le monde professionnel" n’est pas celui qui les met en danger, on peut assez logiquement en déduire qu’ils ne se dévoilent pas uniquement parce qu’ils savent le ridicule et l’inconsistance qu’ils inspirent dans un monde secoué par des dynamiques sociales qui sont tout autres que les leurs.
De plus, toutes leurs structures sont élaborées en cercles concentriques, que ce soit en ce qui concerne les réseaux d’informateurs ou celui des sympathisants. Dans ce genre de structures hiérarchiques, couper la tête (ce qui est une sorte de vérité historique, pour le coup) conduit souvent à en finir avec le corps. Ce qui nous amène assez logiquement à la partie suivante.
Comment l’AF pense se protéger
Tout d’abord - et c’est un sujet que nous avons déjà largement abordé - par la gestion de l’information qu’elle produit et qui se produit sur elle. Ce qui est plutôt raté. Un autre axe de protection est envisagé pour permettre à ses membres de s’afficher. Là encore, d’autres extraits que nous avons déjà cité du rapport établissent que ce n’est pas gagné. Un autre risque est la scission. Cette fois, c’est la hiérarchie et l’uniformisation d’un discours qui est appelé à la rescousse. Nous avons déjà parlé de tout cela.
"Le mouvement va inévitablement être de plus en plus exposé avec sa croissance. Les attaques auront lieu contre le mouvement et contre les militants eux-mêmes. Un pendant numérique du SO est déjà nécessaire. Les militants doivent être protégés autant qu’il est possible des menaces informationnelles issues d’Internet : fichage par l‘adversaire, chantage, vol de comptes, rapprochements non souhaités de la vie militante et de la vie professionnelle, etc.
Cela passe par de la prévention, par de la détection des fuites et, en dernier recours, par une protection physique" (p.36).
Prendre conscience des menaces sert à prévenir celles-ci et à faire en sorte d’éviter les problèmes avant qu’ils ne se présentent concrètement. Pour mener cette prévention, les militants et les cadres sont invités à une formation de protection de l’information, quelle qu’elle soit, afin d’éviter les fuites, à la fois sur l’organisation ou sur ses membres. Il s’agit ensuite de connaître l’adversaire, c’est-à-dire "surveiller très précisément certains groupes hostiles locaux. Il s’agit de les ficher afin de prévenir les menaces. La frontière est mince entre un sain fichage d’information et la paranoïa. Le fichage devrait être uniquement local et dans le but de protéger les militants d’une menace concrète (groupes d’ultras, extrême-gauche violente …). Les chefs de section sont les seuls à même de connaître la réalité du terrain. C’est, dans tous les cas, illégal et à réaliser avec la plus grande discrétion" (p.38).
On trouve une petite expression de ce fichage qu’ils appelent de leurs voeux dans leur documentaire "Le Rouge de rue", où entre deux tirades misérabilistes, ils fichent effectivement sans trop de discrétion plusieurs personnes de la région marseillaise. Dans ce film, le discours qu’ils portent est en gros "On se fait frapper, on doit regarder derrière nous dans la rue, on se fait insulter, détruire notre local, etc...". On a du mal à croire qu’une telle victimisation puisse passer pour une propagande politique efficace. En effet qui, en voyant ces images, se dirait "Hey, si je les rejoignais, ça a l’air bien !". Mais bon, eux-mêmes disent qu’ils manquent de penseurs, ces temps-ci.
Pour les citer de nouveau, "un mouvement comme le nôtre n’a pas besoin d’aide extérieure pour se prendre les pieds dans le tapis" (p.39), ce qui n’est pas faux. Là encore, bonne capacité d’analyse.
En bref, pour se protéger, il leur faut repérer leurs ennemi-e-s, et en apprendre le plus possible sur eux en recoupant les informations en suivant un certain nombre de points définis en page 44 notamment, sur des bases de légalité, de fiabilité, d’impact, de niveau, de pertinence ou encore de nature de la source.
Mais il leur faut surtout se rendre compte des informations publiées contre eux, et au besoin organiser une résistance physique, parce qu’ils ont peur d’être retrouvés et chamaillés (comme le montre bien le fameux documentaire). Il leur faut savoir lorsque l’on parle d’eux, et ce qui s’en dit, grâce à des "guetteurs" plus ou moins efficaces. D’où le fait que nous sachions que MIA reçoit un certain nombre de visite de leur part. A ce propos, une petite dédicace à Olivier Bianciotto (responsable local du Parti de la France et proche d’eux), qui a sans le vouloir liké notre page FB avant de se rendre compte de sa boulette et de retirer son clic. Manque de bol, ce n’est pas passé inaperçu. En tout cas, on les salue bien, parce que nul doute qu’ils tomberont assez vite sur cet article. Et nous leur adressons donc ce message direct : vous êtes vraiment une belle bande de clowns, personne ne vous respecte.
Mais ils ont au moins raison sur un point : leur mouvement va être attaqué. Il l’est déjà, à la fois par les mots et par les actes. Et leurs erreurs les poursuivent, parce qu’ils en commettent beaucoup et qu’ils sont peu nombreux. S’ils veulent véritablement "prendre le pouls du mouvement" (p.39 toujours), ils devraient y voir un paysage proche du champ de ruines, à l’image de leurs idéaux et de leurs scissions.
Si nous avons écrit aujourd’hui sur l’Action Française, c’est avant tout parce que nous avons reçu ces documents. Ils n’ont pas - et n’auront jamais - les moyens de faire ce qu’ils veulent, encore moins dans un quartier comme la Plaine. S’ils s’en tenaient à exister, ils ne mériteraient que du mépris. En diffusant leurs pratiques et leur ridicule, il s’agit simplement de leur rendre le terrain encore plus glissant qu’il ne l’est déjà.
On a vu ces derniers temps où les jeunes en colère se placent : en tête des manifestations, exprimant leur solidarité avec les réfugié-e-s, contre le capitalisme, contre l’Etat, contre l’extrême-droite et le libéralisme. Manifestations dans lesquelles des membres de l’AF ont justement été tabassés ou pris à partie, ou encore leur local défoncé (tout comme les locaux du FN étaient détruits à l’explosif par les FTP dans les années 90, respect !).
Voilà pourquoi nous disons de nouveau :
Vive la révolte et vive la solidarité
A bas l’Action Française et l’extrême-droite
Pour l’action directe anticapitaliste et antifasciste
Vive l’anarchie.