Assemblée de lutte de Marseille : Questions de stratégie

Production anonyme partagée cette semaine dans l’Assemblée de lutte de Marseille contre la loi « travail-exploitation ». Les auteurEs encouragent à diffuser...
Ce papier veut résumer quelques points « stratégiques » évoqués de manière diffuse dans différentes assemblées et différentes cellules à Marseille depuis début mars....

Il s’agit d’une manière d’ouvrir le débat sur un certain nombre de questions qui permettent de structurer et d’amplifier le mouvement. Le texte veut aussi tirer partie de l’expérience des dernières semaines, notamment en ce qui concerne l’organisation des rassemblements ou la lutte contre répression ou l’organisation des manifs. A propos de ce dernier point, il est clair aujourd’hui pour tout le monde que la loi « travail-exploitation » et la répression sans limites sont les deux faces d’une même réalité : une politique de gestion arbitraire et autoritaire des classes dominées, de la jeunesse et de toutes formes de contre-conduites.

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1- Ne pas confondre mouvement majoritaire et mouvement de masse. Le premier renvoie à une conception arithmétique de la politique, qui, jusqu’à présent, a toujours fait le jeu du capital et de la domination d’une classe sur d’autres. Le mouvement de masse est une autre chose. Il se caractérise par le nombre (mais n’est pas forcément majoritaire), la diversité ainsi que la dissémination de ses membres et de ses actions en différents lieux et différents temps. Le mouvement de masse n’est pas une avant-garde. Il part de multiples foyers avant de se généraliser. Il entraîne de proche en proche la mobilisation totale et un changement dans le rapport de force social. La question de la « majorité » ne peut surgir que dans un second temps. Le mouvement actuel qui s’appuie sur la critique de la « la loi travail-exploitation » à toutes les propriétés d’un mouvement de masse et il a donc une fonction transformatrice et instituante d’une lutte plus générale.

2- Grossir les rangs et propager la lutte. Chaque foyer de lutte ou « cellule » (étudiants, précaires, chômeurs, salariés stables, anonymes, « encartés » ou non etc.) à une fonction de propagation de l’information et des modalités d’actions possibles. Les non mobilisés ne sont pas des idiots sans conscience, tout est une question de temps. Être mobilisé, se mettre en mouvement est une chose complexe et la propagation du mouvement de masse doit permettre matériellement la mobilisation du plus grand nombre. Il n’y a aucun privilège à être ou à avoir été présent aux premiers temps de la mobilisation, c’est souvent seulement une question de circonstances.

3- Faire ce qu’on sait faire et ce qu’on peut faire. Dans un mouvement de masse, il n’y a pas de spécialiste a priori. Mais personne n’est obligé d’adopter un rôle pour lequel il ne sent pas les moyens. Si tu sais faire des affiches : fait des affiches ; si tu sais te battre, vas-y ; si tu sais transmettre l’information, n’hésite pas ! Du temps, quelques euros, ramener des copains, tout est utile à la propagation du mouvement.

4- Le rôle de l’assemblée de lutte (ADL). Une ADL n’a pas de fonction représentative de quelque groupe que ce soit. Elle est un lieu de convergence des luttes et des différentes « cellules » ou organisations participants au mouvement de masse contre la « loi travail-exploitation ». L’ADL permet l’information. Elle sert la coordination et la préparation d’actions (unitaire ou non). Elle est aussi une instance de débat rétrospectif sur les actions menées ou les journées de mobilisation. Le mouvement peut progresser à travers elle, mais elle ne suffit pas au mouvement de masse et à sa propagation. Les participants ont la liberté de représenter l’ADL (sur décision lors de celle-ci) dans un cortège ou de retourner vers leur « cellule » ou organisation. Les participants de l’ADL peuvent décider d’action au nom propre de l’ADL, mais ne peuvent prescrire d’action à qui que ce soit.

5- Le rôle des organisations (syndicats ou partis). Il apparaît clairement après un mois de mobilisation que le mouvement contre la « loi travail-exploitation » n’est pas un mouvement d’organisations, en tout cas pas principalement. C’est une réalité, puisque même les individus affiliés à des organisations y viennent le plus souvent à titre « anonyme ». Aussi, si les organisations peuvent légitimement s’organiser de leur côté pour participer au mouvement de masse contre la « loi travail-exploitation » et ainsi grossir les rangs, elles ne devraient être que des participants parmi d’autres. Au sein de l’assemblée de lutte ou face aux « cellules » non encartées, les organisations ne devraient avoir qu’un rôle de soutien logistique (matériel, information). Elles doivent participer à la structuration du mouvement et pas le structurer à leur image. La question de la récupération « politique » ne semble pas encore se poser aujourd’hui, mais elle devra faire l’objet de discussion très prochainement.

6- On ne réinvente pas la lutte sociale tous les matins… mais il faut se méfier des expériences du passé. Beaucoup d’individus ou d’organisations peuvent faire valoir ou faire partager leurs expériences en matière de lutte. C’est une bonne chose et ceux et celles pour qui il s’agit du premier mouvement social ont tout à gagner à s’en inspirer. Néanmoins, l’expérience sociale des luttes n’est pas une recette de cuisine. L’expérience sociale et historique n’est pas transposable telle qu’elle d’une période de l’histoire à une autre, ne serait-ce que parce que les contextes historiques sont différents (nous ne sommes plus à l’époque du CPE !). Comme tout, l’expérience du passé mérite d’être soumise à la critique collective et révisée à la lumière des données actuelles. De plus, les manières de lutter des organisations sont une forme parmi d’autres possibles, le plus souvent institutionnelle et portée vers le réformisme (plus ou moins radical ou plus ou moins assumé). Un mouvement de masse à aussi pour fonction de remettre en question les institutions et les formes de lutte institutionnelles : négociation, ordre, représentativité… qui font toujours et encore les beaux jours de la politique professionnelle et de la domination de classe. Cette question se pose avec beaucoup d’acuité dans les milieux lycéens ou étudiants, sur lesquels lorgnent toujours les « institutionnels ».

7- Se méfier des « prophètes révolutionnaires ». Fatalement, des individus ou des groupes seront conduits à dire que c’est le « bon » ou le « mauvais » moment pour telle ou telle chose, telle ou telle action. Si parfois ces réflexions peuvent s’avérer fondées, seules les AG intersectionnelles ou intersectorielles (comme l’assemblée de lutte ou les assemblées sectorielles – d’étudiant.e.s, de travailleu.r.se.s) doivent et peuvent trancher cette question. Il n’appartient à aucune personne ni a aucun groupe particulier de décider ou de prophétiser le moment et le devenir de la lutte pour l’ensemble du mouvement. À titre collectif ou individuel, méfiez-vous de ce genre de prophétie ou des « cuisiniers » de la contestation !

8 – Les individus ne sont pas les organisations ou les groupes. Il faudrait éviter de remettre toujours la faute sur telle organisation (par exemple, la CGT…) ou tel groupe (par exemple, les autonomes…). Premièrement, c’est d’une simplicité extrême et cela nie la composition très variée et en changement permanent de ces mouvements. Deuxièmement, cela s’appuie le plus souvent sur des catégories diffusées par les milieux dominants eux-mêmes. Troisièmement, les individus ne sont pas les groupes, il faudrait éviter de taper sur une personne au nom de son collectif ou, le plus souvent, d’une fraction de celui-ci. La question de la lutte contre les « jaunes » est pourtant une question centrale et il y a lieu qu’elle soit débattue sérieusement à un moment donné.

9 – La question de l’action directe. L’action directe est une des formes de lutte possible, voire nécessaire. Elle n’exclut pas les autres formes plus institutionnelles : meeting, conférence, vote, etc.. Pour rappel, l’action directe n’est pas synonyme de violence, elle recouvre aussi des actions de blocages de l’économie, happening dans les lieux publics, occupation pacifique, affichage, etc. La violence peut cependant en être une composante et une action non violente (comme une occupation) peut dans certaines circonstances devenir violente (comme face aux provocations de la police.

a. a) La question de l’action directe en manifestation. Il n’existe pas pour l’heure de cortèges unitaires dans cette mobilisation et il n’en existera probablement jamais. Des cellules ou des groupes peuvent donc décider librement de mener des actions directes lors de rassemblement. Cela peut entraîner la division du cortège ou des conséquences non anticipées par les « mots d’ordre ». Ces actions directes peuvent être de différents registres et parfois violentes. Ceux qui se reconnaissent dans une cellule, une AG ou une organisation particulière peuvent suivre ce qui a été décidé par celle-ci ou rejoindre l’action, personne ne peut l’interdire. Ceux et celles qui organisent une action directe en manifestation sont en droit de demander du soutien d’autres groupes. Cependant, la question de la légitimité ne peut être opposé d’aucun côté, c’est une vision « institutionnelle » de la lutte et qui s’appuie le plus souvent sur l’arithmétique politique et l’illusion du consensus.

a. b) La question de l’action directe hors manifestation. Cette question concerne les « cellules » et organisations en dehors de toute ingérence d’autres groupes. C’est une caractéristique du mouvement de masse que d’être disséminé et d’adopter des formes variées de lutte.

11- La question spécifique de la contre-attaque violente face aux forces autoritaires, et de l’existence d’une « Illegal Team ». Face à la répression et la disproportion des moyens de luttes (le droit et la légalité de la violence ne sont pas du côté des masses), beaucoup se pose la question de la contre-attaque violente, notamment vis-à-vis des forces de l’État. « L’état d’urgence » et la mobilisation de la classe dominante mettent en effet d’emblée le mouvement de masse face à une situation d’État autoritaire. Ce n’est pas la dictature entend-on… mais …
La création d’une « Illegal Team » a donc été évoquée ici et là. L’assemblée de lutte et les assemblées intersectorielles et intersectionnelles pourraient se prononcer sur le soutien qui sera nécessairement à apporter à un moment donné à une telle cellule « clandestine » dont l’objectif est de contre-attaquer (armée, casquée, préparée) face à la police et de permettre, par exemple, des occupations ou d’empêcher les tabassages en règle des manifestants.

12 – « La violence, ça fait fuir les gens ! » On entend ça partout. Pourtant, ça ne se vérifie pas toujours, même pas souvent. Certes, les coups de bâtons, ça calme, les gardes à vue, les frais de justice, ça donne à réfléchir… mais pour un individu sorti du mouvement ainsi, la masse, souvent, grossie ! Des exemples il y a en a plein ces dernières semaines : les arrestations du 24 et 25 mars à Marseille, les vidéos qui tournent sur internet, font monter la rage et mettent de plus en plus de gens dans la rue. À Noailles, le 25 mars, 300 étudiants et leurs profs squattaient le comissariat après les violences d’État et en soutien aux inculpé.e.s, alors qu’ils n’étaient pas pour la plupart dans la rue la vieille. À paris, un mouvement spontanéiste s’est formé le même jour pour attaquer un commissariat du XIXe où exerçaient les chiens de garde ayant tabassés un étudiant le jeudi. La recette « violence = démobilisation » est éculée et se rapproche plus de la pâte à crêpe que d’une théorie de la lutte sociale. On remarque d’ailleurs plein « d’encartés » ou de pacifiste qui vont faire le prêche aux étudiants et élèves dans ce sens. Mais ce sont ces derniers qui sont aux premiers rangs de la contre-attaque et ils n’ont besoin de personne pour en tirer leçon et se faire leur opinion sur ce qu’il convient de faire. Ressentir la violence d’État, la voir s’exercer, c’est souvent le premier pas vers la mobilisation. Que ceux qui ont peur de la radicalisation de la jeunesse le disent clairement…

12-L’horizon de la lutte. La lutte commence. Pour beaucoup, le retrait inconditionnel de la « loi travail-exploitation » ne peut être qu’un premier pas, notamment si le mouvement se massifie. Mais il semble illusoire pour l’heure d’attendre une convergence des luttes plus large au-delà. Les prochaines semaines pourraient servir à donner une autre ampleur à ce mouvement.

13 – L’adversaire n’est pas idiot.

14 – Éviter de prendre le FB « 13 en lutte » pour un journal intime ou un forum de discussion…

« Agir en sauvage, prévoir en stratège ». René Char.

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