Calais, rentrée 2016, sixième mort depuis juillet. On pourrait dérouler la liste tragique sur toute l’année mais gageons que les chiffres de l’été suffisent à poser l’ambiance. La plupart des décès ont eu lieu sur la rocade dont la sécurisation est l’argument favori de la maire, pour confiner toujours plus fermement les exilé.e.s sur une lande boueuse et exiguë. Pourtant le danger tient moins au trafic routier qu’à la chasse à l’homme assidûment menée par les forces de l’ordre. Quadrillée par 1300 flics, la ville est un terrain de jeu plus vrai que nature qu’il faut débarrasser des intrus. Traquer de jour comme de nuit. Verrouiller le port et l’Eurotunnel à coups de matraque, flashball et grenades. La préfecture ne lésine pas sur les moyens et dispose même de quelques blindés pour l’exotisme. Il y a longtemps que l’on n’a pas vu l’ombre d’un matricule sur le littoral. Les policiers peuvent besogner tranquilles et quand bien même ils seraient identifiés, ils n’ont pas à craindre pour leur carrière. Après tout, ils ne font que leur boulot. Briser les os, gazer, inscrire la peur dans les chairs pour dire « N’oublie pas ce que tu es, n’oublie pas où tu es, go back to the jungle ». Et ça te passera l’envie de sortir.
Une jungle de plus de 10 000 habitant.e.s c’est-à-dire la taille d’une petite ville de province où l’on peut d’ordinaire trouver un ou deux collèges, un lycée, un stade, une médiathèque et toutes les commodités. Sauf qu’ici, ceux qui comptent sur les pouvoirs publics, devront se contenter de 3500 repas par jour, 250 places d’hébergement pour femmes au centre Jules Ferry et 1500 au Camp d’Accueil Provisoire. Le fameux CAP généreusement acheté par l’Etat à un de ses anciens fidèles des renseignements militaires. Cet hiver, Logistic Solutions avait fourgué pour 20 millions d’euros, prix d’ami et frais de fonctionnement inclus, l’installation d’un camp de 125 containers. Des boîtes à marchandises de 14m² pour 12 personnes. Pas de douche, pas de cuisine, interdiction de fumer ou de faire à manger mais contrôle par empreintes palmaires à l’entrée et des chauffe-serviettes, pour faire moderne. Evidemment, visite interdite sans autorisation sinon les mecs risqueraient de se sentir chez eux. Hospitalité minimum pour profits maximum, l’accueil à la française n’a pas toujours le charme qu’on imagine.
Au mois de mars, on a bien essayé de les faire disparaitre en détruisant la zone sud à coups de merlin. Sogéo au gros-œuvre et les petites mains de SOS solidarité et de l’Audasse se chargeaient de faire le sale boulot de la préfecture et délogeaient les gens. Mais ils sont revenus et d’autres sont arrivés, alors on a voulu les étouffer. Rendre ce ghetto irrespirable et les regarder s’entretuer. Pouvoir invoquer la sécurité et faire le ménage tranquille. La manœuvre était déjà bien amorcée ; concentrer le double de la population sur une surface réduite de moitié, orchestrer la pénurie de vivres et de matériaux, éprouver des heures de patience pour le moindre besoin ; et chaque nuit bombarder le camp de grenades lacrymogènes. Ajoutez les rats, les ordures et le manque de toilettes pour l’insalubrité, il ne restait plus qu’à craquer l’allumette. Pourtant, malgré cela, la jungle reste le seul espace vivable et habitable, quand tout est déployé pour rendre la ville hostile et imprenable. Le bidonville, ses habitant.e.s se le sont approprié avec ce que cela implique de construction, de création et d’organisation. Plus pour longtemps. Ça n’allait donc pas assez vite avec les rixes et les morts. Les gens continuent d’arriver, il faut tout raser, vite. Il ne faut pas que ça vive, pas que ça bouge.
En attendant pour gratter un peu de thunes, on dresse un mur à 2,7 millions d’euros. Voilà le coup de génie de la préfecture pour assurer la sécurité des usagers de l’A16 - ceux qui ne s’arrêtent pas lorsqu’ils percutent un.e migrant.e - et lutter contre les intrusions dans le port. Ça calmera le patron du site maritime qui se sentait lésé en termes de barbelés, comparé à l’Eurotunnel. Et comme en France on a le souci du détail, ce mur-là sera végétal. C’est-à-dire qu’un architecte urbaniste aura foutu un peu de lichen dessus contre beaucoup d’argent pour faire passer la pilule. Pas de raison de se priver quand les Anglais régalent. Les deux parties savent se rabibocher s’il y a du fric à faire. A l’instar de Frontex, Dublin III et des accords du Touquet, c’est ce type de coopération raciste qui incarne le projet de communauté européenne.
Ce bref rappel parait dérisoire tant la situation est inextricable. Pendant ce temps, les associatifs continuent à s’agiter dans l’espoir de voir le « problème » pris en charge par le gouvernement, celui-là même qui le gangrène depuis vingt ans. Les petites victoires obtenues par pétition ou au tribunal ne soignent guère plus qu’un pansement sur une jambe de bois en ce qu’elles retardent le moment de s’organiser pratiquement et jugulent les velléités de résistance pour le jour où les bulldozers déboulent. D’autant plus qu’organiser la résistance est secondaire quand la survie intime de baisser la tête pour passer en douce. Reste que chaque aspect du système répressif et de la « machine à expulser » est composé d’hommes et d’infrastructures contre lesquels chacun.e.s d’entre nous peut s’exprimer . Notre révolte peut donner lieu à un vaste mouvement d’actions directes contre ces politiques mortifères.
Cela signifie s’attaquer à ce qui permet de faire du bidonville un territoire étanche et suffoquant, avec tout ce que la France a de savoir-faire concentrationnaire. Détruire les moyens techniques qui entravent les trajectoires des exilé.e.s ; des scanners aux barbelés, en passant par les caméras, les véhicules de la PAF, les centres de rétentions et les compagnies de transport qui participent aux expulsions. Par tous les moyens possibles, empêcher l’édification de murs et de grilles, les démolir côte à côte avec les habitant.e.s qui refuseront de vivre dans cette taule à ciel ouvert, et s’en prendre au matériel des sous-traitants peu regardants qui profitent d’un marché juteux. Du vandalisme au sabotage rien n’est trop beau pour dissuader les entreprises de collaborer.
Notre champ d’action est bien plus vaste que la zone des jungles. Les pourvoyeurs de l’arsenal policier sont répartis sur tout le territoire. D’où la nécessité, selon nous, d’une riposte décentralisée contre ces fournisseurs du contrôle gouvernemental. Des bornes biométriques aux lunettes thermiques, il y en a forcément près de chez vous. Après l’annonce de l’expulsion et le déplacement forcé des exilé.e.s aux quatre coins de la France les possibilités d’actions sont multipliées. L’enjeu est de taille et délocalisé.
Maintenant, à nous.
Liste non-exhaustive des collabos
Logistic Solution : fournisseur des containers
Launay des Moulins / 35390 Grand-Fougeray (Ille-et-Vilaine)
La PME Logistic Solution est déjà un partenaire régulier des militaires, puisqu’elle fournit par exemple les containers du chantier sur Mururoa en association avec Sodexo Defense Services (contrat à 30 millions d’euros), et l’avait fait pour le ministère français de la Défense lors de l’exercice de certification de 5000 militaires de l’OTAN Steady fast Jazz, en Pologne (novembre 2013). C’est aussi un fournisseur de l’armée égyptienne. Sur son site, à la rubrique partenaire, elle a trankillou posé les logos de l’OTAN, de la Marine nationale et de l’Economat des armées.
Logistic Solution a commencé à livrer ses containers à Calais le 7 décembre 2015, pour une ouverture du camp prévue au mois de janvier. Elle livrait 21 containers par jour la première semaine de l’année.
Groupe CW (Clôtures Michel Willoquaux) : Grillages du camp
Marques déposées : Clonor et Clowill
Famille Willoquaux : Michel (Président du conseil d’administration), Christophe (directeur général), Stéphane (directeur général délégué), Andrée (vice-président)
7/21 Route Nationale / 59152, Tressin
ATMG : surveillance du site pendant les travaux
Habitués de la surveillance des chantiers Eiffage, Bouygues, etc.
PDG : Bardadi Beddiaf
Rue Roger Salengro / Route De Oignies Espace Tertiaire Bata / 62710 Courrières
Biro Sécurité : Dispositif biométrique du camp & surveillance du centre d’accueil de jour Jules-Ferry et de la zone « tampon » depuis mars 2015 (30 agents de sécurité et maîtres-chiens recrutés)
« "C’est un marché très important pour la société, assure le Calaisien. Et qui crée de l’emploi". Avec le nouveau camp pour 1 500 réfugiés, Biro compte recruter six nouveaux agents. L’entreprise fournit aussi à La Vie Active le dispositif d’accès biométrique sécurisé au camp humanitaire de 1 500 migrants. » (La Voix du Nord, 15/12/2015)
Par ailleurs, Biro Sécurité s’enrichit de tous côtés en montant pour des transporteurs des "parkings sécurisés" en aval près de la rocade de Calais pour empêcher les migrants de monter dans les camions, et en amont comme sur l’aire d’autoroute de Saint-Laurent à Steenvoorde (Belgique, à 70 km de Calais).
PDG : Axel Guillaume Biro
251 Avenue Antoine de Saint-Exupéry, 62100 Calais
SOGEO : filière de Vinci chargée de la destruction de la zone sud.
Verney-Carron : fabricant d’armes, grenades de désencerclement, inventeur du flash-ball LBD fréquement responsable de mutilations graves sur les exilé.e.s.
54 Bv Thiers, 40002 Saint-Etienne
Association La Vie Active : gestionnaire du camp (choisie en octobre 2015, elle était candidate en concurrence avec La Croix rouge sur ce marché)
Directeur général : Guillaume Alexandre.
Président du conseil d’administration : Alain Duconseil.
Suivi du camp : Stéphane Duval
La vie active, grosse "association d’utilité publique", gère plus de 70 établissements et sites, « dans les secteurs de la Petite enfance (crèche d’entreprises, CAMSP), l’Enfance (IEM, IME, ITEP, SESSAD), le Social (MECS, clubs de prévention, service tutélaire, CHRS, PAEJ) les Adultes handicapés (foyers de vie, SAJ, SAVS), les Personnes âgées (EHPAD, SSIAD), la Formation ».
La Vie Active - 4, rue Beffara - 62 000 Arras
La SNCF : contrpoles au faciès de la sécurité SNCF en gare de Calais Fréthun et Paris Gare du Nord, collaboratrice des déportations vers l’Italie depuis la vallée de la Roya lors des opérations de contrôles quotidiennes opérées par les militaires et les keufs dans les trains et sur les quais de gare, ciblant ainsi les personnes migrantes en les arretant et en les expulsant.
Voyages Inglard : compagnie de transport qui afrêtte les bus en direction des CAO.
Happy restauration : fournisseur des repas servis par La Vie Active (loin d’être étoilé d’après les exilé.e.s).
ACTED : grosse ONG en charge notamment du système hydrolique, subventionnée par l’Etat et collabore avec le gouvernement pour l’organisation de l’expulsion.
Security Division : équipements, télécommunications, armes,
Route d’Englisberg 7 - 1763 Granges-Paccot - Suisse
SAPPOL : équipements, télécommunications, armes
RCS Carcassonne
3 rue des grenaches - 11800 Trèbes
SARL STOCKUS : équipements, télécommunications, armes
157 rue des Fournels - 34400 Lunel
ATEQ ARES : équipements, télécommunications, armes
Noirbusson Jérôme
5 rue Leschaud - 44400 REZE FRANCE
ESDT : équipements, télécommunications, armes
39 rue de la Villeneuve, Centre d’affaires "La Découverte", Bâtiment Penfret - 56100 Lorient, France
Nobel sport : commercialise les grenades lacrymogènes et munitions du LBD.
57 rue Pierre Charon 75008 Paris
Thomet & Brüger : commercialise le LBD
Tempelstrasse 6 - 3608, Thun - Suisse
Société d’Application des Procédés Lefèvre : grenades de désencerclement, équipement de protection, formations au maintien de l’ordre.
Le Biot - 61550 Gauville
Alsetex : lanceur de grenades, grenades assourdissantes, de désencerclement, à effet de souffle, grenades fumigènes et lacrymogènes.
Malpaire - 72300 Precigne
SMP Technologies Taser France : commercialise les armes à impulsion électrique.
30, rue Pergolèse - 75016 Paris
Voir aussi la carte des fabricants et laboratoires de l’arsenal policier