Cette CGT n’est pas la mienne

Un camarade de la CGT revient sur la manif du 24 mars 2016 à Paris et de l’attitude d’un SO de la CGT. Cette réflexion pose aussi bien la question des service d’ordre que celle des pratiques ancestrales des SO de la CGT...

Jeudi 24 mars 2016. À Paris, il fait gris, le printemps est là, mais il est timide. Aujourd’hui, c’est jour de manifestation contre le projet de loi Travail du gouvernement Valls. C’est la troisième journée de mobilisation, après le beau succès du 9 mars et la gymnastique du 17. Rendez-vous est donné à 12 h 30 à la gare Montparnasse pour les organisations syndicales et les cortèges lycéens et étudiants, dont une bonne part bat déjà le pavé depuis 11 heures.

J’arrive sur place un brin en avance, mes camarades ne sont pas encore arrivés. Je sors un drapeau CGT (j’y suis syndiqué depuis plusieurs années) et je jette un premier coup d’œil pour prendre un peu la température et chercher l’emplacement du cortège de ma fédération syndicale. Bon, le constat est un peu déprimant : quelques camions et ballons syndicaux garés près des trottoirs, la circulation n’est pas vraiment coupée, on dirait bien qu’il n’y aura pas foule ce jour-là… La mobilisation s’essoufflerait-elle déjà ? Trop tôt pour le dire, d’autant plus que l’absence d’appel national à la grève bloque pas mal de travailleurs et de travailleuses au boulot, les empêchant de manifester aujourd’hui.

À 13 heures, la place finit par se remplir un peu plus, la CGT commence à occuper la route, les effectifs se gonflent. La police s’agite aussi, entame ses manœuvres : des camions de CRS et de mobiles arrivent, des lignes se forment. Au loin, le gros cortège lycéen et étudiant se dessine, précédé et partiellement encadré par des gendarmes un peu sur les nerfs. Il paraît que, ce matin, les manifestants partis de place d’Italie leur ont fait savoir tout du long du trajet qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans nos rues…

Le cortège de la jeunesse marche vite et dépasse ceux des syndicats, qui les regardent passer, mi inquiets mi rassurés par ces centaines de personnes qui viennent à point nommé renforcer l’effectif de la manifestation. Pour ma part, je suis plutôt content : l’après-midi s’annonce moins déprimante que prévue, moins morose, moins plan-plan. Les lycéens sont motivés : ils balancent des slogans avec enthousiasme, ils font voleter quelques drapeaux avec énergie. Certains se moquent aussi des flics, et notamment des types de la BAC, qui déploient beaucoup de violence depuis quelques semaines, le gouvernement cherchant très clairement à briser par la peur la dynamique naissante de mouvement social. Dans une ruelle, un passant qui veut rejoindre la manifestation passe devant trois flics en civil : un lui balance un grand coup de pied au cul, comme ça, gratos, tandis qu’un autre lui retire des mains la cannette qu’il portait, avant de le laisser retrouver les manifestants, en l’insultant.

Devant le cortège qui ouvre la manifestation, les flics gazent ; mouvement de foule, de recul, on en a tous plein les yeux, la bouche. Ça tousse, ça pleure, on sort les sérums. On se retrouve au niveau du premier cortège CGT et, rapidement, une ligne de mecs se forme, composée de gros bras badgés CGT. Bah oui, voilà le fameux service d’ordre (SO) de la centrale de Montreuil de sortie ! Le chef des flics, en civil, vient leur parler, ensemble ils font copain-copain ; c’est dégueu. Quand je m’apprête à rejoindre le devant de la scène – là où c’est un peu joyeux, où les esprits sont échauffés, où on n’entend pas se laisser dicter nos comportements de rue par la police –, un type du SO se précipite vers moi. Il a l’air un peu au taquet, le gaillard, et il me dit de ne pas aller plus loin. Je lui demande pourquoi et il me répond que, au-delà de cette ligne de gros bras, il n’y a que, je cite, « des casseurs qui veulent nous empêcher de manifester ». Je hausse les épaules, lui fais savoir que je m’en moque et je poursuis ma route. Un instant, je me demande s’il va me courir après pour me choper mon drapeau ; ce serait rigolo. Sauf que, dans le cortège des fameux « casseurs », il y a déjà quelques drapeaux CGT qui flottent… Il y a des camarades de SUD, aussi. Tout le monde est choqué de l’attitude de ce SO surprise qui montre très clairement sa raison d’être : empêcher les gens du cortège de devant de se mêler aux cortèges syndicaux et faciliter ainsi le boulot de la police, qui, si elle le souhaite, aura alors tout loisir d’aller choper ceux et celles qu’elle juge trop virulents. Je n’avais pas vu ça depuis longtemps, et ça fout la haine, encore plus quand ces collabos-là partagent ton affiliation syndicale…

Finalement, la manifestation s’élance vers Invalides, mais le SO veille à maintenir sa ligne, son « cordon sanitaire ». Je reste devant, et je ronge mon frein pendant tout le parcours, peinant à expliquer à mes petits camarades non syndiqués – que j’ai fini par retrouver – que ces connards-là ne peuvent pas représenter toute la CGT. J’ai aussi envie de balancer mon drapeau, que je me contente de mettre en berne.

Une chose est sûre, cette CGT-là n’est pas la mienne, et ne l’a jamais été. Ma CGT ne parle pas avec les flics pour les aider à serrer des manifestants, elle n’empêche pas des mômes qui en ont marre de bouffer du gaz de se réfugier dans un cortège un peu plus sûr. Non, ma CGT, c’est celle des Goodyear qui affrontent les flics à Amiens et qui séquestrent des patrons ; c’est celle qui arrache les chemises des DRH ; c’est celle qui, la veille, le 23 mars, a foutu tout un McDonald’s en grève et dans la rue ; c’est celle dont les élus, les militants et les militantes de base s’acharnent au quotidien dans leur boîte pour défendre leurs droits et ceux de leurs collègues ; c’est celle qui, ce matin, occupait les mairies des XVIIIe et XIIIe arrondissements parisiens ; c’est celle dont les militants refusent, comme à Roanne, qu’on leur prélève leur ADN ; c’est celle qui se solidarise de toutes les victimes de la répression et des violences policières. Je sais que cette CGT-là, solidaire et debout dans les luttes, qui n’affectionne pas les rôles de flicaillons, est celle de beaucoup de camarades. Et je ne serai pas de ceux qui donnent dans l’antisyndicalisme primaire ou qui crient à la trahison à chaque fois qu’ils voient un drapeau siglé. Mais je me demande si, un jour, les syndiqués qui ne tolèrent pas ces pratiques révoltantes sauront se rassembler pour faire face à ces SO de merde et les briser.

Guillaume
Un syndicaliste CGT énervé

PS :

Repris de Paris-luttes.info.

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