Ça a commencé l’air de rien, lundi matin. D’après les dires, quelques bruits un peu suspects, quelques ouvriers encasqués, armés de stylos et de feulles de papiers, un petit camion blanc au nom d’une entreprise d’étude géologique du coin : Hydrogéo technique (sondage, forage, étude des sols et fondation). Ça a continué le lendemain, après le marché. Première alerte vers 13h : "Ils commencent les études de sol à la Plaine. Soyons nombreux pour empêcher le carottage". L’info tourne, suivie de quelques "plainards" arpentant le pavé à la recherche des hommes et femmes en blancs. Rien à signaler, la vie reprend son cours.
Le lendemain, l’entreprise remet le couvert, armée cette fois-ci d’une bombe de peinture orange fluo, pour marquer les endroits des futurs prélèvements effectués à l’aide d’une foreuse. Je comprend que c’est cela qu’on appelle une "opération de carottage". Les techniciens se font alpaguer par quelques passants et ne tardent pas à déserter les lieux, non sans avoir eu le temps de "décorer" le pavé de la place de quelques marques oranges fluo.
On se doute bien que ce n’est pas une proposition de déco pour la prochaine fête de quartier, mais on se dit qu’il en faut peu pour que ça le devienne. Et c’est parti ! Quelques heures après, les repères des futurs prélèvements de sol sont entourés de dizaines d’autres marques de la même couleurs et bientôt remplacés par des tapis de pois oranges, jaunes et roses fluo. On ne peut plus distinguer les vraies marques des fausses. Quelques tags accompagnent la nouvelle déco, histoire de pimenter la blague. " Vous ne nous carotterez pas la plaine", "Carotteurs, on ne vous laissera pas faire". C’est plutôt rigolo et pour sûr, ça risque de les faire galérer un peu...
Vendredi matin, c’est de nouveau l’alerte. les carotteurs sont là, avec leur machine à forer. Y’a aussi quelques flics municipaux et un huissier-costard-cravatte avec son appareil photo. On est une petite quinzaine à se rendre sur place, armés de croissants, parce qu’on va quand même pas se laisser abattre. On interpelle les ouvriers, on se rapproche doucement de la machine. Ils sont plutôt réceptifs, nous posent quelques questions, nous disent qu’ils comprennent mais que c’est leur boulot. On leur suggère d’exercer leur droit de retrait. On est là, ils peuvent donc prétexter que ça craint pour leur sécurité et celle de leurs machines . Quelques passants viennent s’ajouter au groupe que nous sommes. On rigole. On tente de s’approcher des machines, de déplacer un plot. On invective gentiment les travailleurs. Ça dure quelques minutes et les travailleurs décident de s’arrêter, exerçant finalement leur droit de retrait bien mérité. L’huissier nous tire des portraits de famille avec son appareil. On lui rend la pareille. L’un des ouvrier demande où est-ce qu’il y a un tabac dans le coin. On lui indique la route et on lui dit de se dépêcher car bientôt, ce bar tabac n’existera plus dans le quartier. On leur dresse le portrait de la Plaine selon la Soleam pendant qu’ils rangent leur matos. Ils s’en vont dans la joie et la bonne humeur, tout comme nous, qui finissons notre petit dèj’ au soleil.