Quelques réflexions sur le recours à l’éloignement pour échapper à la détention provisoire, notamment dans le cadre de la répression contre le mouvement social.
Lors du dernier mouvement social de (trop) nombreuses personnes ont été mises en examen dans diverses affaires pour lesquelles les qualifications retenues par le juge d’instruction, et partant les peines encourues, étaient particulièrement lourdes. Dans toutes ces affaires, et alors même que le juge d’instruction s’orientait parfois vers un contrôle judiciaire, le parquet a requis un placement en détention provisoire dans l’attente du procès au motif allégué de préservation de l’ordre public, révélant une prétendue "dangerosité” des inculpés.
A lire les réquisitions du ministère public, l’incarcération est alors le seul moyen de "préserver la sécurité et l’ordre public". Les prévenus apparaissent ainsi comme des "dangers publics" que la société ne pourrait se permettre de laisser, ou à tout le moins de savoir, libre. Fort heureusement dans certains de ces cas, la détention provisoire a pu être évitée en proposant au juge d’instruction et au juge des libertés et de la détention un éloignement du mis en examen hors de sa ville de résidence habituelle voire de sa région.
Si de prime abord une telle alternative semble en tous points positive, en ce qu’elle permet au mis en examen d’échapper à une incarcération, elle pose de véritables questions d’ordre politique, moral et social. Le seul fait que le mis en examen soit souvent à l’origine de son propre éloignement ne doit pas empêcher d’en dénoncer les travers dès lors que ce choix est, en réalité, contraint.
Tout d’abord, dans son principe même, la résurgence et le recours à la pratique médiévale du "bannissement" peut laisser perplexe en ce qu’il s’agissait jadis non d’une mesure préalable au procès mais bien d’une peine et, surtout, parce qu’il s’agissait d’une alternative à la peine capitale. Si les termes employés ont pu varier selon les lieux et les temps, le "bannissement", "l’exil", "la relégation" voire "la déportation" étaient toutes des peines dites de haute justice, i.e. de même nature que la peine de mort, qui visaient à punir "le crime". Au Moyen Âge, ces peines avaient donc vocation à se substituer à celle du châtiment capital. Contrairement à la peine de mort, on considérait que le bannissement comportait une part importante de pénitence, puisqu’après avoir en général été limogé sur la place publique, le banni devait quitter seul, mais à la vue de tous, sa ville pour ne plus jamais y revenir.
Le bannissement présentait également une dimension de "purification de l’espace" puisque le banni, officiellement reconnu comme un "homme dangereux", était une personne dont la commune se débarrassait. Dans certaines sentences prononcées au XIIIe siècle, on bannissait ainsi les gens "de la paix de la commune". Le fait de bannir des criminels semblait donc ressortir à une démarche à la fois pénitentielle (pour le criminel) et cathartique (pour le corps social).
Il peut également être remarqué qu’au delà de ces considérations théoriques, c’est aussi une logique comptable qui conduisait la justice à privilégier le bannissement à la peine de mort, les frais liés à l’exécution étant alors évités. Et c’est d’ailleurs également une logique comptable qui a contribué au remplacement du bannissement par les peines des galères qui permettaient au criminel de régler sa dette sans rien coûter à la société. Le droit a ainsi longtemps considéré que le bannissement était une peine équivalente à la peine de mort qui, si elle permettait d’échapper à la mort physique, n’en entraînait pas moins une mort sociale.
Retour en grâce du bannissement
Lorsque l’on sait ce que signifiait et impliquait une telle peine, dont la ressemblance avec la mesure d’éloignement n’est pas à démontrer, on ne peut que s’interroger sur le recours actuel à une telle pratique qui intervient préalablement à toute condamnation et en général sur proposition du prévenu.
Ensuite, cette pratique interroge encore puisque, sauf à considérer que l’ordre public ne serait finalement pas à préserver de manière équivalente sur tout le territoire français, l’éloignement démontre par lui-même que le mis en examen ne présente finalement pas un "danger en sa seule personne" pour la société civile.
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[Loi Travail] Quand la menace de l’incarcération pousse à choisir l’exil
« Quasiment dès le lendemain de l’audience, on te catapulte loin de chez toi, de tes amis, etc. C’est humiliant d’être ballotté comme ça sans avoir de prise sur la situation, d’avoir l’impression que tout est suspendu à la bonne humeur d’un magistrat quelconque pour qui t’es juste un numéro de dossier parmi quarante autres. »
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