Ma première nuit en garde à vue

J’ai fait l’objet de violences policières samedi soir.
Regardez moi. Lisez mon nom. Je suis une petite blanche qui sort tous les jours sans ses papiers. A qui on ne demande jamais de compte. La police me vouvoie. Je suis la typique gauchiste privilégiée qui manifeste depuis toujours pour différentes luttes, d’abord sur les épaules de mon père dans les années 90, au lycée contre la réforme des retraites, puis pour les combats féministes, aujourd’hui contre les violences policières, le racisme d’Etat, l’impérialisme français. Pour moi les keufs sont aussi des victimes du système. Les flics ne m’avaient jamais traité comme ça. Je sais désormais ce que ça fait, d’être "traitée comme ça". Même si, j’en suis sûre, ça doit être cent mille fois pire pour nos soeurs racisées.

Je remontais le Cours Julien, à Marseille, vers 21h30. Les faits se sont déroulés au 52 Cours Julien, en face du bar le Nexus, dans le 6e arrondissement. La terrasse était pleine. J’étais seule, j’avais perdu mes amies dans la cohue. La manifestation se terminait tristement, les forces de l’ordre nous avaient bloqué·e·s en chemin, comme toujours, ils avaient chargé, gazé. J’étais émue, en observatrice. Derrière moi, une orde de flics armés et armurés me suit, et je ralentis le pas, par provocation. L’un d’entre eux me colle sa matraque et me crie « bouge de là ». Je me décale sagement. J’ai réalisé quelques secondes après que ce geste était violent. J’avais une petite bouteille d’eau quasi vide dans la main, de rage je leur ai lancé dessus sans réfléchir, au niveau des hanches. Il ne leur a pas fallu longtemps pour se jeter sur moi, me plaquer contre une voiture. J’ai tout de suite coopéré, je n’ai pas résisté, j’ai reconnu les faits. Cela ne les a pas empêché de me frapper aux genoux, de me plaquer la tête contre un mur avec les cheveux.

Le flic qui m’a emmené et que j’aurais visé « à la tête, avec une arme » (comme si un bout de plastique était une arme), plus jeune que moi, a pris soin d’éteindre mon téléphone avant de se serrer contre moi et de me chuchoter « sale chienne, clocharde, tu vas voir ce qu’on va te faire ». Il m’a mis les menottes et les a serré le plus fort possible, en tournant mes poignets, jusqu’à me faire saigner. J’ai des égratignures. Au moins 10 flics m’ont ‘escorté’ jusqu’au camion, le jeune flic a continué de retourner les menottes par pur sadisme ; plus je lui disais « tu me fais mal » plus il continuait à appuyer, j’ai finalement crié dans la rue « Tu me fais mal putain ! » et il m’a attrapé par le bras en me secouant et me disant de « fermer [m]a gueule de salope ». Il m’a donné un coup de pied pour me faire entrer dans le camion.

Quand on est arrivé au commissariat, son collègue et lui ont pris soin de m’emmener dans un hall où il n’y avait pas de caméra et m’ont donné des coups de pieds à l’arrière des genoux. Ils m’ont traité de tous les noms, « salope, sale pute, gaucho de merde... » « Vous avez perdu cette guerre et vous le savez ». C’est là que j’ai craqué et que je les ai insulté de connards, de fachos… Et là ils ont explosé de joie : « Parfait ! Cool, outrage à un agent. Tu vas payer mes vacances d’hiver. Toi t’es vraiment conne hein. »

Ensuite il s’est passé le pire. Ils m’ont emmené au poste, j’étais face à 6 ou 7 hommes, j’ignore à quoi ils servaient à part à m’insulter. Il y avait un gamin de 16 ans à côté de moi, « trafic de stup », le visage ensanglanté. Je lui ai dit de demander un médecin et un avocat. Ils ont dit « pourquoi vous vous mariez pas, les anticapitalistes de merde ? » Ils ont pris mon nom, mes coordonnées. Le jeune flic (je crois qu’il s’appelle Guilhem) m’a dit « sale pute de merde » je lui ai dit « je préfère être pute que flic », il a rétorqué que c’est vrai que ça rapportait plus mais qu’avec un cul comme le mien je risquais pas de faire fortune. Il m’a dit qu’il allait me retrouver sur Facebook ou Instagram, qu’il avait maintenant mon adresse, mon numéro. Ses potes se marraient. Le flic qui m’a auditionné est arrivé et m’a expliqué les risques, mes droits. J’ai bien sûr dit que je voulais voir un·e avocat·e et un·e médecin, prévenir ma famille. Ce dernier policier a été respectueux et à l’écoute, intéressé que je parle de violences policières, inadmissibles selon lui. Il m’a dit « le problème c’est qu’on ne nous forme à aucune déontologie, juste aux techniques de dissuasion ».

Les deux flics qui m’ont frappée m’ont descendue en garde à vue. J’ai demandé à me laver les mains, temps de covid oblige, ils m’ont dit « tu t’es crue chez ta mère la pute ». Toujours aucune femme en vue. Le jeune flic a commencé à m’enlever ma sacoche en me touchant la peau, j’ai reculé, effrayée. J’ai demandé à ce que ce soit une femme ou que je le fasse seule. Il m’a dit « je peux même pas te violer t’es trop poilue ». Il a dit qu’il ferait en sorte que je sois prolongée 48 heures. Il a refusé de m’expliquer ce que je risquais vraiment, de quoi j’étais inculpée. Il a continué de me demander des trucs personnels, genre si j’aimais les femmes avec ma gueule. Il a insisté auprès de ses collègues qui riaient « t’as vu ses poils ? ». Et aussi « le pire c’est que je rentrerais bien avec toi, mais t’es tellement conne ». Ils ont rigolé. Ils ont terminé leur journée, contents.

Ma nuit en garde à vue a été horrible. On a refusé de me donner un verre d’eau, de m’accompagner aux toilettes. Il y avait des cafards, ça puait la pisse. J’avais tellement peur de rester 48h dans ces conditions. Mais quand j’ai été auditionnée, le policier m’a rassurée en me disant qu’il y avait peu de chance que je reste plus de 24 h. J’ai été relâchée à 11 heures du matin, à ma grande surprise. Une femme flic (enfin) m’a expliqué que je serai bientôt confrontée à mon agresseur, qui a porté plainte contre moi. Que je ne pouvais pas quitter Marseille (ce qui par la suite a été démentie par mon avocate), que je devrai répondre à un numéro privé dans les prochains jours pour être convoquée.

Quand je pense à cette prochaine confrontation, alors que je n’ai aucun témoin de ses propos abjectes et qu’il sera sans doute couvert par ses collègues, j’ai envie de vomir.

J’ai dit que je regrettais mon geste, mais aussi qu’être condamnée pour un morceau de plastique lancé à des robocops qui n’attendaient que de se jeter sur la première manifestante pour lui mettre la misère, me semble complètement disproportionné. Je suis accusée pour outrage à agent, et attaque à main armée. Je n’ai eu aucun papier en partant. Je suis juste partie en courant.

PS :

Ps : Quelques jours après, je suis allée voir le gérant du Nexus Bar, voir si jamais il m’avait vu et qu’il serait prêt à témoigner (des miracles arrivent). Il m’a reconnu, il a bien vu tous les flics se jeter sur moi avec violence. Mais "évidemment", il ne peut "pas témoigner", comme "n’importe quel citoyen", "vous comprenez, on est à Marseille". Évidemment. Et ne se souvient pas des clients sur place ce jour là. Bah oui. Facile. Allez minote, "bouge de là".

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