Nouvelle expulsion en hiver : la préfecture décide de ne plus respecter la trêve hivernale

Ce mardi 17 janvier à 5h du matin a eu lieu une nouvelle expulsion d’un logement en centre-ville. Sous la pluie, les 13 personnes (9 adultes et 4 enfants) qui habitaient le 21 rue du coq ont été jetées hors de leur domicile parce qu’elles l’occupaient "sans droit ni titre" - autrement dit : elles squattaient ce bâtiment vide.

Nous étions quelques marseillais·es venu·es en soutien aux personnes expulsées, et plusieurs raisons nous poussent à écrire et alerter au sujet de la situation : l’injustice liée à la grande précarité subie par les personnes vivant en squat, et particulièrement parmi elles les personnes en situation de migration qui se retrouvent souvent forcées d’habiter ainsi (a) ; la colère et la volonté de publiciser la réalité violente de ce qu’est une expulsion, ainsi que la décision préfectorale de ne plus tenir compte de la trêve hivernale (b).

(a) Les personnes qui vivaient sur place font face à des galères administratives qui les empêchent d’accéder à un travail et un logement légalement reconnus – des témoignages oraux ont été recueillis (21rueducoq@riseup.net). Pourtant, leur présence sur le territoire français (depuis 5 ans pour l’une des familles, dont 3 ans en squat, et 7 ans pour au moins l’un des adultes) est bien réelle et, comme la plupart des personnes exilées, elles doivent essayer de composer avec ces obstacles administratifs et les flics qui leur pourrissent la vie. "Seuls environ 15% des demandeurs d’asile de Marseille sont hébergés dans des logements dédiés. Les trois quarts des adhérents de notre association sont obligés de vivre en squat" explique Alieu Jalloh, responsable de l’Association des Usagers de la Pada (AUP). Nous vous invitons à écouter l’émission de radio qui laisse la parole aux personnes exilées contraintes de vivre en squat [1] et à lire le rapport [2] datant de mars 2022 qui décrit la réalité du quotidien des habitant·es de squats à Marseille.

(b) Une expulsion est une expérience violente, autant physiquement que psychologiquement : enfonçage de porte, réveil et sommation de déguerpir, perte de son chez soi, et bien souvent retour à la rue. Ainsi, s’il y a eu ce matin du 17 janvier – pour une fois – la proposition d’un hébergement d’un mois à l’hôtel pour les familles avec enfants, 4 adultes ont été laissés sans aucune solution, le 115 étant continuellement complet. De plus, non averti·es de la date d’expulsion, les habitant·es du 21 rue du coq n’ont pu se préparer émotionnellement, ni mettre à l’abri leurs affaires en amont. Le strict minimum a été sauvé dans l’urgence, bien qu’un policier connu pour être responsable des expulsions usait de son pouvoir pour refuser à une famille de récupérer une simple valise - celle-ci était remplie de papiers nécessaires à la continuité de la scolarisation des enfants et de leurs procédures administratives, et de médicaments importants pour garantir la santé d’une membre de la famille. Le reste a été embarqué par une équipe de déménageurs en direction de la décharge, alors que la police avait laissé entendre que les affaires seraient déposées dans un garde meuble.

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Nous le voyons, s’ajoutent à l’expulsion d’autres complications stressantes, qui semblent au bon vouloir des services impliqués :

  • pas ou très peu de proposition de relogement,
  • perte des affaires personnelles et de documents importants liée à la gestion des meubles et des affaires complètement arbitraire,
  • absence d’information de la date d’intervention alors que l’information était jusqu’à peu une pratique courante, par ailleurs facilement réalisable,
  • et désormais, non-respect de la trêve hivernale : en centre-ville c’est la 2e expulsion à notre connaissance cet hiver – il y en a sans doute eu plus.

Pour rappel, cette trêve des expulsions a été instaurée par la loi du 3 décembre 1956, suite au combat de l’Abbé Pierre. La loi ELAN permet depuis 2019 aux juges de supprimer ce délai aux squatteureuses, mais son application dépend encore de la préfecture et jusqu’à cet hiver, le "département logement - prévention des expulsions" semblait ne pas vouloir expulser en période de froid. Virement de cap donc, avéré depuis la veille de Noël et l’expulsion de 17 personnes du 49 rue Curiol sans proposition de relogement - pas même pour la famille et ses 3 enfants (un nourrisson, un de 1 an et demi et un autre de 3 ans) [3].

Difficile de ne pas lier ces expulsions avec le récent changement des pratiques policières et préfectorales. Jusqu’à il y a 2 ans environ, lorsque la préfecture prévoyait d’envoyer la police pour une expulsion de logement, une enquête sociale était systématiquement mise en place : c’est un rendez-vous qui permet de prendre contact, de statuer sur le nombre de personnes habitant le lieu, leur situation et les besoins de relogement, avec une attention particulière portées aux enfants. Or d’après des expériences et des témoignages croisés, et seulement dans les arrondissements du centre-ville, ce rendez-vous ne se fait plus. Ce changement de protocole a le double effet de raccourcir la procédure d’expulsion et d’exposer les habitant·es a encore plus de brutalité arbitraire. En effet, au lieu de l’enquête sociale, un policier (toujours le même : le responsable des expulsions) se rend parfois sur place pour dénombrer les habitant·es, et surtout les intimider en leur demandant leurs papiers, ou en menaçant de refus de demande d’asile si les personnes ne quittent pas immédiatement leur domicile. Sans honte, il prend régulièrement des photos de l’intérieur du logement, et joue de chantage et de mépris en donnant de fausses informations : une fois, il menace d’une expulsion le lendemain qui n’aura pas lieu, une autre (en l’occurence au 49 rue curiol), il s’amuse d’un "vous avez le temps, je vous préviendrai" en promettant des relogements, alors que ses collègues-flics interviendront dans la semaine et sans proposition de relogement. Un dossier de plainte contre lui est en élaboration, la préfecture ayant déjà été prévenue sans qu’il n’y eut d’effet. Plus largement, de nouvelles méthodes d’expulsion semblent être apparues ces dernières années - prenant parfois une tournure spectaculaire [4] -, et une collecte de témoignages lancée il y a un an au sujet de ces pratiques [5] est toujours en cours (temoignage-expulsion13@riseup.net).

La nouvelle décision préfectorale de ne plus tenir compte de la trêve hivernale vient se surajouter à ces changements. Peut-être s’agit-il de voir là une politique visant à « faire place nette », particulièrement dans le centre-ville ? Quoiqu’il en soit, le projet de loi Darmanin qui durcit plus encore - mais où s’arrêtera-t-on - les conditions de survie des personnes exilées, et la loi anti-squat actuellement en examen, risquent d’offrir une assise légale supplémentaire à ces pratiques d’éviction qui existent déjà, et qui concernent avant tout les personnes en situation de migration.

Notes :

[4en mai 2021, plusieurs expulsions du boulevard de la Libération ont été faites par un bataillon d’agents cagoulés et armés - sans doute une équipe du RAID en mal d’entraînement -, et quelques jours auparavant les armes étaient même dégainées et braquées sur les habitant·es lors de l’expulsion d’un bâtiment vers Castellane.

[5https://mars-infos.org/appel-a-temoignages-sur-les-5584 : attention le mail indiqué dans ce lien n’est plus valide. Il faut maintenant utiliser : temoignage-expulsion13@riseup.net

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