Paris : Retour sur la folle journée de manifs du 26 mai contre la loi Travail et son monde

Une énorme manif entre Bastille et Nation, une manif sauvage qui part de Nation pour aller bloquer le périph’, une autre dans le XIe arrondissement qui est allée perturber une émission de télé avec Myriam El-Khomri, il y avait encore de quoi bien s’amuser en luttant ce jeudi.

Ça fait deux mois et demi que ça bouge contre la loi Travail et son monde, et ces derniers jours ça monte en puissance. Les grèves se succèdent dans différents secteurs, les blocages aussi, ça motive et ça donne envie de voir plus loin.

Surtout que les manifs sont enthousiasmantes ! Malgré des parcours répétitifs et courts, le cortège autonome de tête est de plus en plus fourni, avec toujours autant de détermination et toujours plus d’entraide.

# Bastille-Nation

Cette fois encore, 100 000 personnes (selon FO, et la grosse blague c’est la police qui n’a vu que 18 ou 19 000 personnes), avec un cortège autonome de tête réunissant plein de gens différent-e-s, et c’est difficile à chiffrer tellement il y avait de monde... Peut-être encore plus que jeudi dernier, à mon avis plus de 10 000 personnes.

On se sent tellement bien dans ce cortège que ça semble plus compliqué de rejoindre la manif sans se faire contrôler que d’éviter de se faire pécho par les keufs pendant la manif (parmi les 36 interpellations du jour, pour dégradations et port d’armes prohibées, 7 auraient eu lieu avant la manif).

Comme à chaque fois, il y a eu une sorte de jeu "opération zéro pub". Et ça a plutôt bien marché : panneaux de toutes tailles pétés ou neutralisés, affiches détournées, remplacées ou arrachées. Dès la sortie de la place de la Bastille, sur la rue de Lyon, une affiche faite à la main se trouve dans un panneau d’abribus avec une citation d’Alfred de Musset : "Venez voir marcher au soleil les rêves de votre vie. La liberté est mûre !"

Rue de Lyon puis avenue Daumesnil, l’ambiance est assez tranquille, le cortège de tête grossit vite et avance assez rapidement. Quelques premiers tags sont effectués, puis sur le boulevard Diderot la fête commence : des dizaines et des dizaines de tags sont inscrits sur les murs, à l’aérosol, au posca ou au marqueur, souvent il n’y avait pas assez de place pour tout le monde ! Pareil pour la casse, les cibles les plus évidentes sont prises d’assaut par différents groupes. Tous les panneaux de pub y passent, ainsi que les banques, les assurances et les agences immobilières (d’ailleurs un certain nombre d’enseignes étaient déjà recouvertes de planches de bois - c’est pas vraiment la première fois qu’on prend le boulevard Diderot...).

Quelques brefs affrontements avec les CRS ont lieu à l’angle d’une ou deux rues sur le chemin, mais la manif continue son chemin sans trop se fixer là-dessus. Au niveau de la rue Chaligny, un groupe tourne sur la droite et crie "manif sauvage". Trop bonne idée ! Ces manifs officielles sont trop courtes, et aussi belles soient-elles avec ce joyeux cortège de tête, l’idée de partir en manif sauvage, où on veut quand on veut, ça réjouit forcément beaucoup de monde. On s’engouffre donc dans la rue, mais ça traîne un peu, et comme lors de la manif du 17 mai, on se retrouve bloqué-e-s au bout de la rue par un arrivage de CRS. On a sûrement manqué un peu de coordination et de réactivité pour pouvoir arriver à nos fins, mais surtout, pour les prochaines fois, y’a pas à chier, faudra pas hésiter à courir. Parce qu’on n’y arrivera pas par la force, on y arrivera par la rapidité, la ruse et la finesse.

Caillasses contre lacrymos, on reste là quelques minutes, mais on sent bien que ça ne passera pas. La rue étant complètement occupée par les manifestant-e-s, ça continue de taguer et d’attaquer diverses cibles. Par exemple, un Franprix voit ses vitres se faire défoncer comme il se doit. Puis les lacrymos se font de plus en plus nombreuses, ça commence à refluer sévère. Et y’a trop de monde dans la rue, et à l’entrée de la rue Chaligny côté boulevard Diderot deux lignes de CRS ont réussi à s’interposer à nous couper du reste de la manif. Relou !

On se retrouve donc nassé-e-s avec des lacrymos qui tombent du ciel. Sauf qu’on est tellement compressé-e-s qu’on ne peut même pas s’écarter pour s’éloigner des lacrymos. V’là la panique, surtout pour celles et ceux qui n’ont pas de protection (masquez-vous les ami-e-s !). Ces abrutis de CRS continuent dans la brutalité crasse et balancent carrément de la grenade de désencerclement au milieu des gens ! Un mec est salement touché à la cheville, d’autres manifestant-e-s voient leurs vêtements à moitié cramés par des lacrymos qui leur tombent dessus, c’est pas joli-joli.

Une partie des gens se réfugient dans un immeuble en attendant que ça passe, et pendant ce temps le reste de la manif s’est arrêté, mais il faut un peu de temps pour que ça s’organise pour mettre la pression à la ligne de flics qui est de leur côté. Pendant un long moment ça gueule "Libérez nos camarades" et "Cassez-vous" côté boulevard Diderot, et ça pousse côté rue Chaligny. A force de pressions des deux côtés, après avoir gazé des deux côtés, les CRS ont fini par lâcher et un passage s’est ouvert pour que tout le monde rejoigne la manif. Ce qui est chouette, c’est que la jonction s’est faite plus rapidement que lorsque la manif a été coupée en deux sur ce même boulevard Diderot le 1er mai dernier. Et finalement, ce qui est chouette aussi, c’est que les keufs ont bien énervé tout le monde, et même s’il n’y avait clairement pas besoin de ça, j’ai l’impression que ça a augmenté encore un peu la rage des manifestant-e-s...

Le boulevard Diderot en a subi les conséquences jusqu’au bout. Ça a re-tagué et re-pété en mode furie (mais presque toujours en ciblant avec précision). Des ampoules de peinture ont aussi été jetées sur les mêmes cibles.

Un moment d’affrontement bizarre a eu lieu sur la gauche du boulevard : des flics étaient cachés derrière une palissade de chantier et ont balancé des lacrymos par-dessus ! La riposte a été immédiate : caillassage à volonté ! Et on continue à avancer, hop hop.

Plusieurs magasins prennent des coups, dont un autre Franprix, un Tati, un Speedy et un concessionnaire Skoda qui a pris bien cher ! Toutes ses vitres ont dans un premier temps été étoilées et taguées, et juste après qu’un tag "Brisons le capitalisme" a été posé sur la vitrine principale, celle-ci a été littéralement défoncée, jusqu’à tomber complètement. Une voiture neuve à l’intérieur a pris des coups (plus un tag rapidos), le tout sous les hourras et les "Haaaa, anti, anticapitaliste !" des manifestant-e-s. Une sorte de moment exutoire bien joyeux ! Et c’était trop bien de voir que la joie de ce moment était partagée par plein de gens différent-e-s.

Un peu derrière, quelques personnes ont commencé à gueuler "Casseurs, cassez-vous !" mais tout le monde autour a recouvert leurs slogans en criant "Nous sommes tou-te-s des casseurs".

En chemin, la station Autolib’ se fait attaquer (même sans les caisses), des parcmètres aussi, et y’a même un ou deux panneaux de signalisation qui sont arrachés... C’est un peu défouloir, mais ça reste bon esprit.

À côté d’un magasin Emmaüs, des manifestant-e-s pètent des bouts de mur pour faire des projectiles (on approche de la place de la Nation...) et immédiatement d’autres manifestant-e-s se mettent en rang devant le magasin, pour le protéger d’éventuel-le-s vilain-e-s casseur-e-s. Bon, c’est sûr qu’Emmaüs a une réputation "humanitaire" a priori plus sympa que l’image de LCL ou de Mc Do, mais en réalité il y aurait beaucoup à dire sur Emmaüs (lire par exemple Grève des réfugiés à Emmaüs, Pour Emmaüs, la répression est plus forte que la solidarité ! et La solidarité avec les migrant-es condamnée ! ; et ce reportage-vidéo pourtant complètement mainstream : Emmaüs, le business de la misère).

Mais hormis ces quelques petits moments de tension, l’ambiance reste à la solidarité et à l’entente entre les manifestant-e-s. Les actions directes continuent dans la bonne humeur.

Parmi les nombreux tags aperçus sur les murs du boulevard : "Détruisons tous les pouvoirs, révolution", "Nique la loi Travail et son monde", "À bas la société marchande", "Tout le monde déteste le PS", "Nique les CRS / la BAC", "Anarchie, entraide et détermination", "Vivre l’émeute" (avec un coeur), "La révolution sera une fête ou ne sera pas", "Guérilla, insurrection, féminisme", "Rage, joie, anarchie", pas mal d’autres, et à l’arrivée place de la Nation, un magnifique "Enfin une manif qui se passe bien".

C’est d’ailleurs à la fin de la manif que ça se corse. Sur la place de la Nation, un dispositif policier jamais vu jusque là : il y a des CRS tout autour de la place, mais aussi en plein milieu de la place ! Des grilles ont été placées de façon à ce que les flics occupent de facto plus de la moitié de la place. Des bacqueux rodent en nombre aux côtés de groupes de CRS, un hélico survole le tout, bref, l’ambiance est malsaine au possible.

Les CRS sont beaucoup plus mobiles que lors des fins de manif précédentes (encore qu’à place d’Italie la semaine dernière c’était déjà assez speed) et chargent à plusieurs reprises ici et là. Caillasses, lacrymos, charges, plusieurs arrestations ont lieu sur la place. Plusieurs personnes sont blessées, aussi. Le chaos lacrymogène et la position de force évidente des flics poussent beaucoup de monde à partir, ce qui n’est pas si simple puisque des flics barrent toutes les rues et la station de métro/RER Nation fermée...

# Nation - Porte de Vincennes

Alors que la manif continue d’arriver sur la place de la Nation mais que l’ambiance y est délétère, des manifestant-e-s réussissent à s’extraire de la place et partent en manif sauvage vers la porte de Vincennes.

Arrivée porte de Vincennes, aux abords du périphérique, la police intervient violemment et tente de disperser tout le monde. La manif est coupée en deux. Un mec est blessé à la tempe par un éclat de grenade de désencerclement.

Une partie de la manif réussit à bloquer brièvement le périph’ mais les flics interviennent là aussi rapidement et violemment pour faire dégager tout le monde.

# République - Bastille - place Léon-Blum

En début de soirée, l’ambiance est tranquille sur la place de la République. Il y a pas mal de monde, une ou deux assemblées en cours, et on entend parler d’une action qui se prépare pour aller à la rencontre de la ministre du Travail, Myriam El-Khomri, qui serait l’invitée non loin d’ici de l’émission "C à vous"

Vu que le mot circule pas mal sur la place, on se dit qu’on n’arrivera probablement jamais à atteindre les studios de l’émission, mais si déjà on peut partir en manif sauvage ça sera pas mal !

On fait un petit tour de la place, une meuf au mégaphone incite à nous rejoindre et d’une vingtaine de personnes on passe à facilement 100 voire 200 personnes, et ça avance sur le boulevard Voltaire, pas de flics à l’horizon ! Des slogans sont criés, quelques tags inscrits, on prend la rue de Malte, et là, au croisement avec la rue Oberkampf on rentre en masse dans un hall d’immeuble.

Dans la cour intérieure, il y a un petit moment de flottement, comme si les gens à l’initiative de l’action n’osaient pas faire plus. Le temps de réaliser où est quoi, on dépasse les deux vigiles et les quelques employé-e-s paniqué-e-s, on manque de peu d’entrer dans les studios mais on s’aperçoit qu’une excroissance du studio de "C à vous" est atteignable de l’extérieur via des fenêtres. Plein de manifestant-e-s s’y massent en criant, le sourire aux lèvres, comprenant que la perturbation en direct de l’émission est immédiate et réussie. On voit Myriam El-Khomri partir à la va-vite, "exfiltrée" comme ils disent dans les articles relatant notre intervention. Les journalistes/chroniqueurs sont en panique et errent dans le studio sans trop savoir quoi faire. Nous, on est mort-e-s de rire.

L’émission n’a pas eu le temps de couper à temps (comme il est d’usage en ce genre de cas), voilà ce que ça donne : http://dai.ly/x4ctbqk

Ensuite, l’émission a été suspendue pendant quelques minutes. Elle reprendra sans la ministre honnie, qui a dû quitter les lieux sans dire "au revoir, merci, vive l’exploitation capitaliste". Dommage pour elle. Quelques minutes plus tôt, interrogée sur son projet de loi, elle avait exclu de le "dénaturer", affirmant vouloir en conserver la "philosophie". La philosophie du capital selon Myriam El-Khomri, bientôt dans les supermarchés de la culture et de la politique ?

Plutôt content-e-s de l’effet de notre petite action, on sort dans une certaine précipitation. Dehors, on nous crie que la flicaille arrive en nombre. Et effectivement, la bande à CRS arrive en courant. Alors on enchaîne, on repart en manif sauvage, hop hop on prend le boulevard des Filles du Calvaire en direction de Bastille. Certain-e-s crient "Apéro chez Valls", ce qui nous donne comme un objectif commun et nous permet d’avancer sans tergiverser, mais c’est pas sûr que beaucoup de gens prenaient cet objectif au sérieux à ce moment-là (sachant que la rue de notre salaud de Premier ministre est constamment sous surveillance policière).

À travers les rues du XIe arrondissement, on ne perd pas de temps, la manif sauvage est bien dynamique. Les poubelles sont renversées presque systématiquement sur notre passage, créant de mutliples mini-barricades ralentissant l’arrivée éventuelle de flics par derrière.

En chemin, des tags apparaissent un peu partout, quelques oeufs sont balancés et plusieurs vitrines sont attaquées : plusieurs banques et agences immobilières, et notamment l’OFII, autrement dit l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, un établissement dépendant du Ministère de l’Intérieur qui fait partie intégrante de la machine à expulser les sans-papiers.

À deux ou trois reprises, des voitures de flics sont mises en fuite dans les cris de joie des manifestant-e-s (pour ça, ça aide de crâmer des bagnoles de flics, nan ?).

On se balade dans les petites rues du quartier de Bastille en criant "Grève, blocage, manif sauvage", puis on remonte un bout de la rue de la Roquette jusque la place Léon-Blum, où on voit des camions de CRS arriver des deux côtés du boulevard Voltaire. Hop hop, dispersion ! Zéro arrestation, 100% sourire aux lèvres à nouveau !

Pour le moment, le prochain rencard-manif c’est le 14 juin. Mais en plus des grèves et des blocages nécessaires à l’intensification de la lutte, on va bien trouver des moyens de se refaire des manifs sauvages d’ici là, hein ?

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