Pendant ce temps, à la frontière entre Menton et Vintimille, la ville où partager un repas avec des migrant-e-s est un délit

Depuis quelques semaines, la préfecture des Alpes-Maritimes revendique dans les médias une hausse des interpellations de migrants à la frontière franco-italienne, préfigurant donc de nièmes nouvelles mesures de renforcement des contrôles aux frontières. Dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 avril, 70 personnes dites migrantes ont été capturées à la frontière : 30 dans la montagne et 50 sur le bord de mer entre Vintimille et Menton. Présentées comme "des migrants ayant tenté de forcer la frontière", elles ont été remises à la police italienne qui, comme c’est le cas depuis l’an dernier et comme cela est rapporté dans de multiples témoignages, va sans doute les battre pour prendre leurs empreintes de force. A Vintimille, les autorités recommencent également à agiter l’épouvantail des migrant-e-s et des personnes solidaires qui viendraient troubler la douce quiétude de la riviera. Ce texte écrit par des personnes solidaires et publié sur le site noborders20miglia revient sur la situation en ce moment à Vintimille, la ville où partager un repas avec des personnes dites migrantes est un délit.

VINTIMILLE : CE QUI SE PASSE EN VILLE

Ces derniers jours, les médias ont recommencé à parler de ce qui se passe à la frontière franco-italienne.

Les mots sont toujours les mêmes : “invasion”, “crise”, “urgence”, etc. En lisant les journaux, on a l’impression que le “problème migrants” a subitement resurgi de nulle part, comme si pendant ces mois on n’avait plus vu de personnes en voyage à Vintimille. La vérité est que les migrants ne sont pas revenus : pour cause, le “flux” de gens n’a jamais cessé.

Vintimille est une zone frontalière : beaucoup ont continué et continuent à arriver ici pour essayer de passer la frontière. La chasse aux migrants dans toute la Côte d’Azur ne s’arrête pas, les refoulements et les déportations continuent, le travail des passeurs ne s’arrête pas non plus. En somme, les dispositifs aux frontières continuent à tourner à plein régime, et s’applique avant tout à qui n’a pas les moyens de s’offrir un passage par le biais de trafiquants d’êtres humains.

Le nombre de personnes qui dorment à la gare augmente de jour en jour. Nombreux choisissent de ne pas accepter “l’accueil” du centre de la Croix Rouge. Mais pourquoi ? Depuis les attentats de Paris, l’accès au centre est soumis à la prise d’empreintes digitales, comme le prévoit le règlement de Dublin, selon lequel les migrants doivent être identifiés -si nécessaire, par contrainte physique- et présenter leur demande d’asile dans le premier pays d’arrivée en Europe. Pour la grande majorité des personnes en transit ici, un passage par le centre de la Croix Rouge compromettrait le rêve d’une possible protection ailleurs, hors d’Italie.

L’accueil offert par la Croix Rouge n’est pas neutre : l’institution ne suit pas un rôle purement humanitaire mais constitue un acteur de la gestion des migrations. En échange d’un repas et d’un lit de camp, ceux qui sont en transit doivent accepter un contrôle renforcé. Comprendre ceci est plutôt élémentaire, pour peu que l’on se rapproche de l’entrée du centre et qu’on y voit les policiers qui y président. Il ne semble alors plus excessif de redéfinir comme un chantage humanitaire le travail effectué par la Croix Rouge.

Et alors que tant de gens dorment à la gare, sans nourriture sauf le peu que Caritas et quelques solidaires plus ou moins organisés sont capables de leur fournir, la situation est aggravée par l’ordonnance émanant du maire Ioculano et interdisant de partager toute nourriture avec les migrants sur le territoire de la commune de Vintimille. Un des titres les plus intéressants dans la presse des derniers jours annonçait : “les noborders donnent à manger aux migrants. La municipalité unanime : “nous allons faire respecter l’ordonnance”. Intéressant mélange d’absurdité, d’imprécision et de clarté. Pour Ioculano et l’administration municipale menée par le Parti Démocratique, partager un repas avec les personnes en voyage est une pratique à sanctionner, et ceux qui l’enfreignent doivent être poursuivis, amendés et criminalisés. La solidarité doit être réprimée parce qu’elle donne la possibilité aux personnes migrantes d’échapper au chantage humanitaire, de pouvoir décider pour elles-mêmes, et peut-être de s’organiser contre la frontière. Cette histoire nous révèle la dimension absolument grotesque du pouvoir qui s’acharne de façon explicitement raciste contre le plus humain des gestes, celui de partager ce que l’on a à manger, et rappelle en même temps la force potentiellement subversive de la solidarité dans cette période toujours plus sombre.

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