Nous nous sommes déplacé.es entre deux lieux frontaliers (Melezet, Clavières) dans les Hautes Alpes. Un espace qui, comme toute frontière, divise, sélectionne et tue.
Chaque jour, dans ces montagnes, des dizaines de personnes sont obligé.es de marcher des kilomètres, fuyant différentes polices et milices fascistes, pour tenter d’arriver en France. Toute autre forme de déplacement leur est proscrite.
Dans ces mêmes montagnes, en revanche, camions et trains de marchandises passent par centaines sous la protection des flics. Loin des sentiers caillouteux, on y trouve un tunnel aisément franchissable pour qui possède papiers et argent. Des milliards y sont également dépensés en vue de construire la ligne à grande vitesse Lyon-Turin (TAV) dans la Vallée de Suse. La restructuration de ce territoire, guidée par les intérêts économiques des riches, contribue ainsi à accentuer la fracture déjà existante entre celleux qui en bénéficient et celleux qui la subissent.
C’est parce que nous ne croyons pas en ce système de contrôle et de gestion, en ce dispositif constitué en tout lieu par des frontières sociales et économiques, que nous avons voulu prendre le temps de réfléchir ensemble sur la façon dont nous pouvions le combattre.
En cette période historique où de nouveaux fascismes émergent de toutes parts, où les différents gouvernements mettent en place des politiques sécuritaires et d’exclusions, où les rafles augmentent ainsi que les détentions en Centre de Rétention Administrative et la déportation des « indésirables », nous avons ressenti le besoin de mieux nous organiser. Individu.es et collectifs italien.nes, français.es, allemand.es, suisses, slovèn.es, turc.ques, espagnol.es, grec.ques, etc… ont débattu sur plusieurs thèmes : les racines et les conséquences du système d’exclusion actuel, le concept de solidarité et d’« accueil », les méthodes d’organisation et le rôle de la communication. Il a aussi été question de l’identité en général (administrative, territoriale et nationale) et de l’idée de s’identifier ou d’être identifié. Cela prenait d’autant plus de sens que pendant deux jours, les routes d’accès au camping ont toutes été fermées par des barrages de flics et par la digos (police politique italienne), lesquels fichaient chaque personne contrôlées (prise d’identité, photos et fouilles).
Le vendredi 21 avait été prévu un cortège contre les frontières à Bardonecchia, une ville frontalière où sont refoulé.es celleux qui tentent d’aller en France en train par le tunnel du Fréjus, ou à pied, sans les « bons » bouts de papier. Ce cortège voulait lutter contre le fait que marchandises et capitaux passent librement chaque barrière, là où les personnes sont en revanches sélectionnées et refoulées.
Nous avons finalement annulé son organisation.
La veille, le maire de Bardonecchia, Avato, avait pris le temps d’alarmer ses citoyen.es de la tenue de ce dangereux cortège contre les frontières. Il conseillait à tout.es de rester chez elleux, dans le but « de faciliter au maximum les activités de contrôle des forces de police agissant sur le territoire ». C’est-à-dire l’activité de 25 fourgons de polices et de carabinieri, d’une dizaine de jeeps, de deux canons à eau et de nombreux digos postés un peu partout. La ville de Bardonecchia était totalement militarisée et vidée de ses habitants, tous les parking laissés libres pour le dispositif policier, et les magasins fermés, 10 camions de la gendarmerie française étaient également postés de l’autre coté de la frontière de peur que nous ne tentions de la franchir. Nous ne voulions pas tomber dans un jeu de mise en scène de la manifestation, pris en sandwich par toute la police présente, sans réussir à bouger ni à parler avec quiconque, dans une ville déserte. Nous n’avons pas voulu être les acteur.rices d’un théâtre inutile.
Nous avons décidé de ne pas y aller et de ne pas faciliter leur jeu médiatique et politique. Nous nous déplaçons et attaquons quand nous le choisissons .
Environs soixante-dix personnes sont allées faire une promenade à Bardonecchia avec un mégaphone pour raconter la situation, suivies par de nombreuses forces policières.
Toute la journée, la ville a été véritablement bloquée par les forces de police. Des sous, l’État en a dépensé. Pour rien, comme toujours. (souvent)
Samedi 22, nous nous sommes déplacé.es en convoi jusqu’à Clavière, pour continuer le camping. Nous avons fait une pause à Oulx, ville traversée par un TGV allant vers la France, pour faire quelques interventions au mégaphone, puis nous avons monté le campement.
Clavière est juste sur la frontière. La police française vient jusqu’à l’entrée du village pour décharger les exilé.es capturé.e.s, et fait des maraudes en continu sur les chemins et les routes qui mènent en France. C’est là que se trouve Chez Jésus, un lieu occupé, un refuge autogéré ouvert en solidarité avec toutes les personnes de passage. Il s’agit de faire exister un espace pour celleux qui veulent passer la frontière et/ou qui luttent contre celle-ci. Nous connaissons bien les violences de la police sur les exilé.es de passage (menaces, vols, passages à tabac). Nous voulons combattre ce dispositif territorial qui permet aux riches de se promener librement entre ces espaces, tandis que les exilé.es sont chassé.es et poursuivi.es.
Le samedi 22, nous sommes allé.es faire une marche sur le terrain de golf. Ces « 18 trous transfrontaliers » traversés chaque jour par des dizaines de golfeurs. Pendant l’hiver, les mêmes terrains deviennent des pistes, empruntées par des centaines de skieurs qui ne s’aperçoivent même pas qu’ils traversent cette ligne imaginaire nommée frontière.
Le terrain de golf est divisé en deux : le côté italien appartient à la famille Lavazza, propriétaire d’une multinationale du café qui a créé son empire grâce à l’exploitation des ressources humaines et environnementales des (anciennes) colonies d’Amérique du Sud et d’Afrique du Nord ; le coté français est géré par la commune de Montgenèvre.
Pour réaffirmer la liberté de chaqu’un.e de se déplacer et de vivre où et comme ille veut, et l’opposition à ces multinationales qui s’enrichissent partout sur la planète, exploitant des territoires que les personnes se trouvent obligées de fuir, le samedi 22, quelques centaines de personnes ont occupé une partie du terrain de golf.
Ces espaces réservés aux riches sont alors devenus le terrain de sports populaires : matchs de football, rugby, volley-ball et frisbee se sont déroulés pendant quelques heures, accompagnés par de la musique improvisée.
La police française s’est déployée sur les chemins et sur le terrain pour nous empêcher de continuer la marche, balançant des gaz lacrymogènes et bombes assourdissantes.
La police italienne, carrément équipée d’un camion à eau, était déployée en contre-bas afin de protéger ses terrains.
Chaque fois que les intérêts des plus riches sont effleurés, les médias de masse se mettent en action, utilisant la puissance dont ils disposent pour déformer la réalité, jetant l’opprobre sur les potentielles menaces afin de les éliminer. Dans ces montagnes, la stratégie visant à construire une représentation de « l’ennemi ». Et c’est exactement selon cette stratégie que la violence des celleux en costume-cravate, blancs qui plus est, condamnent à la misère des dizaines de milliers de personnes, et dévastent par la monoculture et l’usage de pesticides des zones entières de la planète.
La violence de ces costumes et uniformes qui chassent et poursuivent celleux qui tentent de continuer leur voyage, passe au second plan par rapport l’action de quelques centaines de personnes qui essaient de rendre manifeste et de combattre ces contradictions inacceptables. Les morceaux de terre enlevés de ce terrain sont tâchées du sang des deux garçons et de la fille qui ont perdu la vie sur ces chemins au court des derniers mois, en tentant de poursuivre leur voyage.
Samedi soir nous avons fait la fête. Et dimanche, un bilan a été effectué avant la fermeture du camping.
La police française s’est engagée dans le fichage de toutes les personnes qui traversaient la frontière ce jour la, jusqu’ à mettre en GAV deux personnes pour toute la journée.
La solidarité ne s’arrête pas. La lutte contre le dispositif des frontières non plus.
Quelques participant.es du Camping Itinérant Passamontagna