Une étincelle a embrasé Marseille

Entre 12 et 20.000 personnes ont pris la rue pour clamer leur colère face à la mairie ce samedi 1er décembre. Arrivée à la Mairie, après avoir croisé gilets jaunes et gilets rouges, le cortège a été une fois de plus agressé par la police, provoquant une soirée d’émeute.

  • Le parquet cherche à faire peur

    11 personnes doivent passer en comparution immédiate aujourd’hui. Jusqu’à présent, 3 personnes ont été jugées. Elles ont été condamnées respectivement à 4 mois de sursis pour des poubelles brûlées, 2 mois de ferme avec mandat de dépôt pour la destruction de deux caméras, et 2 ans ferme avec mandat de dépôt pour « vol aggravé » de la boutique d’Orange.

    Des peines complètement disproportionnées, où le juge applique quasi systématiquement les réquisitions du procureur, qui cherche clairement à intimider le mouvement de contestation.

    Mandat de dépôt veut dire que les personnes sont emmenées directement en prison.

Le fil rouge de ce samedi 1er décembre, la colère - et la répression dont elle a fait l’objet. Où plutôt les colères, car des gilets jaunes aux étudiant.es et lycéen.nes, de l’appel du comité Adama aux manifestations syndicales, les mobilisations étaient bien plus diverses à travers la France que la soupe servie au 20h. En témoigne ces récits de Paris, de Rouen, de Lyon, de la région stéphanoise, de Toulouse, de Rennes, de Nancy, de Dijon et de Tours. Cette colère, elle gronde à Marseille depuis le 5 novembre et l’effondrement de trois immeubles à Noailles, qui a coûté la vie à 8 personnes. Elle gronde face aux expulsions des logements (plus de 1500 personnes) et à l’incurie des services de la Mairie. Elle gronde face aux mépris des élu.es qui dépensent des millions dans des projets gentrificateurs, contre les habitant.es, sans investir un sous pour lutter contre l’insalubrité.

Cette colère, elle s’était déjà exprimée le 14 novembre à l’occasion de la Marche de la Colère, lorsque plus de 10.000 personnes étaient descendues jusqu’à la Mairie en clamant « Gaudin assassin », « Gaudin démission » ! À cette colère, la Mairie et la Préfecture n’ont su répondre que par les gaz et les matraques, avec une mention spéciale pour la sauvagerie de la BAC qui s’est déchaînées jusque dans les rues en deuil de Noailles, faisant de nombeux.ses blessé.es.

Les Marseillais.e.s présents.e.s dans le centre-ville ce soir-là évoquent une « chasse à l’homme », des « injures sexistes, racistes et homophobes », des « ratonnades », des « frappes à l’aveugle », des « sévices corporels touchant les organes génitaux » et de « véritables lynchages » de personnes qui ne montraient aucun signe de violence ou qui ne participaient pas à la manifestation : riverains, adolescents, retraités, clients de commerces, journalistes.
Communiqué de presse sur les violences policières du collectif du 5 novembre

Le collectif du 5 novembre : Noailles en colère avait appelé ce samedi 1er décembre à une Marche pour le droit à un logement digne pour tou.te.s, au départ du métro Notre-Dame du Mont à 15h. De quelques centaines, le cortège gonfle rapidement à plusieurs milliers alors qu’il descend vers la Préfecture, et depuis la sono du camion de SUD les prises de paroles se succèdent pour témoigner de la douleur des familles des disparu.e.s, de la détresse des 1500 personnes expulsées indignement de leurs logements, et d’un ras l’bol généralisé face à une gentrification galopante et assassine. À ce moment le cortège a tellement grossi que certains ne sont toujours pas partis du Cours Julien, on recensera près de 12000 à 20000 personnes.

La BAC, dont le collectif du 5 novembre avait exigé le retrait des manifestations comme des quartiers endeuillées, est très présente dans et autour du cortège, infiltrée par groupes de 2. Des renforts de bacqueux en uniforme sont d’ailleurs présent. Une tentative d’arrestation sans cause aucune a d’ailleurs été déjouée avant que la manifestation s’ébranle grace à la réactivité des personnes présentes.

Après ces prises de parole le cortège s’élance rue de Rome entonnant les désormais habituels « Gaudin démission, Gaudin assassin, » et déboule sur la Canebière. Stupeur et incompréhension, un rassemblement de gilets jaunes occupe le haut et le bas de la Canebière, plus bas vers le Vieux Port des attroupements syndicaux (CGT puis FO) sont positionnés sur le passage. La méfiance est palpable, les gens s’observent sans comprendre ce qu’ils pourraient avoir en commun, les colères se croisent mais sans se rencontrer. La marche est plusieurs fois stoppée mais elle ne perd pas son objectif et fini par atteindre le vieux port direction la Mairie. Bien que de nombreux gilets jaunes se soient joints au cortège, l’ambiance se détend et les slogans reprennent.

Arrivé près du siège du pouvoir municipal, le collectif du 5 novembre appellent les gens à finir dans le calme, mais plutôt que de partir la masse se presse près des barrières que gardent quelques CRS et chante de plus belle. Deux petits pétards et un fumi servent de salutations. La foule, très hétérogène, est bien loin d’avoir l’équipement et l’intention délibérée d’un cortège de tête d’en découdre. Mais les flics répondent avec la stupidité et l’arrogance qui les caractérisent si souvent, ils brandissent des grenades à la vue de tous, le sourire aux lèvres, et puis ils gazent à tout va et chargent.

Ils viennent d’embraser Marseille.

Immédiatement des personnes de tout bord défoncent les barrières, enflamment les sapins de noël et construisent des barricades. Gilets jaunes, k-way noir, jeunes (et moins jeunes) des quartiers populaires du centre ville et d’ailleurs, toustes reculent vers la Canebière en s’opposant aux flics. Alors que l’essentiel de la foule érige des barricades sur le bas de la Canebière, des affrontements éclatent dans la rue de la République et ses alentours, de l’autre côté du Vieux-Port vers le Cours Eugène Ballard après une charge sous l’ombrière.

Une fois passée la confusion, la lutte semble s’organiser, l’émeute se généraliser. Les pratiques sont diverses, les affinités incertaines mais la rage est commune et il en naît une magnifique solidarité et une détermination qui fait clairement douter la flicaille. Aux cris fédérateur de « Qui sème la misère, récolte la colère, » les nombreux chantiers adjacents servent à ériger de belles barricades qui s’enflamment joliment. Les salves de gaz lacrymo ne font que reculer brièvement la foule qui revient sur les barricades en chantant au son du tambour « Nous sommes tous des enfants de Marseille ». Les quelques tentatives des flics de contourner par le Centre Bourse sont avortées, la foule est mouvante et ne se laisse pas surprendre, les barricades sont déplacées.

Sur la Canebière les chantiers sont dépouillés, les barrières de protection du chantier de l’hotel des Feuillants sont abattues [1],le magasin Orange est dévalisé sous les acclamations de la foule. Gazée latéralement depuis la rue Vincent Scotto, la foule recule, et arrivé au commico de Noailles, on se demande si c’est pas déjà Noël : pas un casqué ne garde les véhicules de police qui sont attaqués et incendiés.

Le cortège est alors coupé en deux par une vague de gaz. Le plus grand groupe recule vers les Réformés, en érigeant d’autres barricades enflammées sur la Canebière. L’autre remonte le boulevard Gambetta, charge les flics sur le Cours Lieutaud, et tient le carrefour en érigeant trois barricades, une pour faire face au commico, l’autre en direction de la préf, la dernière vers la Plaine. L’émeute est généralisé, elle gagne Noailles et ses petites rues, puis se divise en remontant la colline.

Certain.es vont dévaliser le Carrefour du Cours-Julien, d’autres défoncent le portail du chantier de La Plaine, alors que dans la rue de la Bibliothèque une voiture de flic est bloquée sans possibilités de repli. Les quatres occupants en sortent, gazent et se planquent armes à la main derrières d’autres véhicules.

Trop esseulés, tous les petits groupes convergent vers les Réformés où le gros de la foule s’est retrouvée. La confrontation continue et les flics balancent de plus en plus de grenades de désencerclement faisant de très sérieux blessés. La BAC tourne et beaucoup décident de se disperser. Mais un groupe d’une grosse centaine de personnes va continuer d’incendier les rues en remontant le boulevard National, saccageant la fnac de la gare St Charles puis se volatilise dans la Belle de Mai. On espère qu’ils ne se seront pas fait rafler là-bas.

Casseurs, pilleurs, La Provence et consort auront beau matraquer leur mépris, ce qu’ils écrivent ne révèle au mieux que leur ignorance, au pire leur complicité. Car à Marseille, les casseurs et les pilleurs, ce sont la municipalité et la préfecture, qui prennent l’argent des quartiers les plus pauvres, en laissant pourrir les immeubles, les écoles etc, pour l’investir dans des grands projets gentrificateurs.

Selon la Provence, 23 personnes auraient été arrêtées samedi soir, certaines d’entre elles devraient passer en comparution immédiate lundi 3 décembre. Un rassemblement a été annoncé à 16h30, mais les audiences auront lieu en huis-clos. Le tribunal a été évacué du reste de son personnel, et les flics ne laissent personne rentrer, pas même les familles.

On déplore de nombreux.ses blessé.es, notamment par des grenades désencerclantes et lacrymogènes. On vient également d’apprendre qu’une femme de 80 ans est décédée dimanche à l’hôpital, des suites des blessures causées par une grenade lacrymogène. Selon La Marseillaise, elle aurait été touchée au visage par une lacrymo alors qu’elle tentait de refermer ses volets.

Le collectif du 5 novembre appelle « tou.tes les marseillais.es à un deuil citoyen en portant des brassards noirs et en observant 8 minutes de silence à la rue d’Aubagne et partout où [iels seront] le 5 décembre à 9h05, heure de l’effondrement ». Un appel à un grand rassemblement « pour le logement et une ville pour tou.tes ses habitant.es » devant le conseil municipal le lundi 10 novembre est également lancé.

Notes :

[1Projet piloté par la Soléam d’un hotel 4 étoiles « pour tous les Marseillais », qui est emblématique de la volonté de la Mairie de vouloir gentrifier Noailles et d’en expulser sa population.

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