En juin, Logan Nisin, un plus ou moins ex-militant de l’Action Française, avait été arrêté à Vitrolles pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Dix autres militants de l’extrême-droite l’ont été au petit matin du mardi 17 octobre.
C’est entre la Seine-St-Denis et Marseille que l’ensemble des arrestations ont eu lieu, comme une queue de comète de la mise en examen de Logan Nisin il y a quelques mois. Plusieurs armes à feu ont été retrouvées lors des perquisitions.
Si en juin, Logan voulait tuer tous les "Rebeus, blacks, dealers, migrants, racailles, djihadistes", comme il l’affirmait sur une page facebook d’adulation de Breivik [1], c’est cette fois des hommes politiques qui étaient ciblés. Selon la chaîne de télévision M6, c’est Jean-Luc Mélenchon [2] puis Christophe Castaner [3] qui étaient dans le viseur. Par la suite, Mélenchon aurait demandé la clôture du local de l’Action Française, organisation d’extrême-droite royaliste implantée depuis 2014 aux alentours du quartier antifasciste de la Plaine, rue Navarin.
Ces arrestations interviennent au surlendemain du week-end de rentrée de l’Action Française. Au cours de ce week-end, trois nouvelles plaintes ont été déposées contre eux pour agression, menace de mort et de viol, entre autres altercations, comme en atteste ce témoignage :
Ceux qui vivent alentour du Crs Julien ne sont pas sans avoir eu vent des « réunions » tenues par l’Action Française, et de leurs diverses conséquences. C’est un évènement supplémentaire que j’entends ici relater ; hier, ce groupuscule fascisant tenait sa réunion de rentrée. Les rues Navarin, Tilsit, ainsi que la rue des Bons Enfants, ont été littéralement privatisées et entièrement dévolues à la disposition de cette association de triste mémoire. Des riverains ainsi que mon ami et moi-même avons pacifiquement manifesté notre opposition à cet évènement, en essayant de couvrir leurs discours par de la musique.
Ils ont tenus un siège la nuit durant, vaguement encadrés par les forces de l’ordre.
Ce matin, mon ami sort et reçoit des menaces gestuelles sans équivoque de la part des militants. Par la suite, l’un d’eux passant sous nos fenêtres, l’invective. S’en suit une brève discussion à la suite de laquelle une dizaine de miliciens nous prennent à parti depuis la rue, nous menaçant de mort ouvertement et devant témoins ("Je vais t’éclater la tête sur le bitume" "on va vous griller" "je vais baiser ta pute"). Certains font ostensiblement sauter des bouteilles de verres vides d’une main à l’autre. J’appelle la police, qui arrive rapidement mais n’intervient pas, dans l’attente de renforts. Je rejoins la voiture de police en stationnement à l’entrée de la rue, où deux agents me disent n’avoir rien vu des attitudes menaçantes. Pendant ce temps, mon ami et un voisin disent avoir vu trois militantes tenter de fracturer la porte d’entrée de notre immeuble -invisible depuis la voiture de police- dans l’idée de tendre un guet-apens dans la cage d’escalier. Tentative vaine.
Les renforts policiers arrivant, les miliciens se sont dispersés. Ce n’est qu’une manifestation de leur haine, et malheureusement pas la plus grave.
Le week-end dernier, une nouvelle manifestation contre l’Action Française
Avant la manifestation de ce dernier week-end, plusieurs autres avaient déjà eu lieu contre la présence de l’extrême-droite à Marseille, et en particulier dans ce quartier. De plus, une grande partie du voisinage de la rue Navarin, où est implanté le local de l’Action Française, est excédée par la privatisation de la rue par les royalistes dans le cadre de leur réunion. Du fait d’une énorme présence policière pour protéger l’événement, beaucoup doivent même présenter leurs papiers pour regagner leur domicile. Presque tous les habitants de l’immeuble hébergeant le local ont choisi de quitter leur domicile, parfois définitivement, comme l’a récemment écrit Libération.
Ce week-end, la manifestation a réuni environ 150 personnes au départ de la Plaine, où de nombreux cars d’agents en tenue anti-émeute se trouvaient et procédaient à des contrôles et des fouilles, jusqu’à l’intérieur des terrasses de bar. La veille au soir, des colleurs d’affiche de l’Action Française avaient dûrement tabassé un jeune homme qui passait par là :
Je sais pas comment dire, mais voilà ce qui s’est passé, rue des bons enfants [...]. Un groupe de 30,fachos qui collent des affiches pro nazi. Avec deux amis on sort d’un lieu, un mec à une fenêtre crie un truc du genre "dehors les fachos", les mecs viennent, me tabassent à plusieurs avec des objets, mais je sais plus quoi, le nez pisse le sang, la bouche avec. Un des gars a pris son balai qui sert à mettre la colle à affiche, m’a lavé la gueule avec, ils ont continué à me frapper alors que j’étais à terre en hurlant de me laisser, les deux amis se mettent au milieu comme ils peuvent... Qu’ils crèvent tous. Merci de partager. [4]
La police aurait eu peur de tentative de vengeance lors de la manifestation du lendemain. Au moment où cette dernière finit par s’élancer, elle se trouve vite bloquée par d’importants barrages policiers.
Derrière, devant leur local où la réunion est donc interrompue, plusieurs dizaines de militants de l’AF jouent les gros bras, casque et barres en main. Il faut dire qu’ils ont reçu des renforts de toute la France, notamment de Paris et de Bordeaux, pour pouvoir faire bonne figure [5]. A côté des drapeaux jaunes et bleux à la fleur de lys, d’autres aux couleurs bleu-blanc-rouge flottent, ce qui est plutôt ridicule de la part de monarchistes, puisqu’il représente l’assujettissement du roi à la ville de Paris lors de la Révolution. Idem pour la Marseillaise, joyeusement entonnée par des royalistes assez peu au fait de ce concept étrange qu’est l’Histoire.
Mais qu’à cela ne tienne, au-delà du ridicule et se sentant en position de force, ils lancent de très nombreuses bouteilles et cannettes sur les antifascistes par dessus les lignes de police, sans que celles-ci ne bronchent. Mais au moment où la manifestation riposte, la police décide de charger et de gazer à tous vents. Peu de temps plus tard, la manifestation antifasciste repart vers la Plaine/cours Julien pour se disperser.
Au final, le groupuscule d’extrême-droite termine son week-end de rentrée avec trois plaintes déposées contre eux, une nouvelle manifestation et une inimitié du quartier à leur encontre toujours bien présente. De leur côté, ils n’auront pas toujours le renfort des pièces rapportées de toutes leurs sections pour faire semblant d’être plus nombreux et plus forts qu’ils ne le sont.
Des arrestations qui mettent en lumière de nouvelles perspectives
Ce n’est pas la première fois que les milieux d’extrême-droite sont visés par des descentes de police. On a déjà évoqué Logan Nisin, mais une autre opération avait aussi eu lieu contre les membres du réseau néonazi Blood & Honour, dont le responsable en France, Loïc Delboy, vit à Marseille. Là encore, plusieurs armes blanches et à feu avaient été retrouvées. Si Delboy ne fait pas partie de l’AF, il fricote régulièrement avec eux. Parmi leurs autres fréquentations régulières, on retrouve l’organisation Casapound de Parme, qui se proclame ouvertement "fasciste du troisième millénaire", mais aussi les fascistes français du GUD (Groupe Union Défense, en particulier à Lyon), qui s’inspirent de leurs homologues italiens.
Par ailleurs, le 20 mars 2017, un militant antifasciste avait été poignardé à son domicile par deux personnes le traitant de "sale rouge", ce qui laisse peu de place au doute quant à l’idéologie des auteurs.
Si l’incrimination de "terrorisme" ne nous semble pas très intéressante, puisque presque n’importe qui pourrait aujourd’hui rapidement tomber sous ce qualificatif, ces arrestations jettent un pavé dans la mare de l’extrême-droite "radicale" et prête à user de violence parfois volontairement meurtrière. Il semblerait bien que quelqu’un a un peu trop parlé et attiré tout ce petit monde avec lui, mettant quelque chose en évidence : néonazis, néofascistes, royalistes... ces étiquettes importent finalement peu :
Ce soir-là dans une bastide en ruine à Septème-les-Vallons, au nord de Marseille, la petite troupe se lâche. Ponctué par des rites, le repas débute avec la traditionnelle chanson La Royale, rêvant le retour du Roi. S’ensuivent de nombreux chants que tous les militants connaissent pour les avoir scandés lors de camps estivaux dans la Loire. Des chansons contre-révolutionnaires comme La Ligue Noire, militaires avec Les chacals, précèdent La France bouge ouvertement antisémite : « Ô France,[…] / Te voilà donc aux mains / Du Juif immonde / Coureur de grands chemins ». Fin du repas, et les « doyens » se lèvent. Résonne alors un Maréchal Nous Voilà que tout le monde s’empresse de suivre… avec le salut fasciste. [6]
Dans ce marasme des idéologies réactionnaires et d’un nationalisme haineux, tous sont prêts à user d’une violence dramatique. L’Histoire nous permet de voir que lorsque l’extrême-droite prend les armes et utilise la violence, celle-ci s’exerce toujours contre les classes populaires, contre les pauvres, contre les dynamiques de solidarité portées par les luttes anticapitalistes pour l’émancipation collective.
Soyons clairs : par le passé, l’extrême-droite n’a pas fait de cadeau. Aujourd’hui, au moment où elle connait un essor sans précédent [7] dans l’ensemble du monde occidental (et au-delà), nul doute qu’elle n’en fera pas non plus. Derrière leurs stratégies de victimisation, ils charrient les innombrables morts du passé et font de la place pour les prochains.
Qu’ils comencent par mâchonner le cadavre qu’ils ont en bouche. Ensuite, à nous de changer l’avenir en gardant vivante la lutte antifasciste, en développant des structures de solidarité entre les peuples, contre le capitalisme et tous ces autoritarismes. C’est au quotidien que tout ça commence : par la compassion, par l’entraide, par la révolte et par le fait d’assumer que parfois, il va falloir se battre.
Ce qui passe par le fait de refuser la présence de l’extrême-droite, que ce soit ici, dans nos quartiers, ou ailleurs.