Ces temps-ci, l’extrême-droite et ses idées ont de nouveau le vent en poupe de l’échelle locale à l’échelle internationale. Trump, Orban, la droitisation générale des discours politiques, la militarisation des rues, la montée du Front National et le développement d’une nouvelle xénophobie, pour ne prendre que quelques exemples, ont aussi fait ressortir plus ouvertement du placard une histoire dont on se serait bien passés : la violence politique de l’extrême-droite bien de chez nous.
De l’Italie à la Norvège
Nous vivons clairement une période de retour de la violence politique dans la vie quotidienne, même en laissant de côté la violence institutionnelle, dite ’légitime’. Les attentats des dernières années en France en ont brutalement fait prendre conscience à la plupart des gens, mais ces attaques ne viennent pas de nulle part : dans le style comme dans la méthode (quand bien même les objectifs sont bien différents), on peut voir une paternité historique des attaques de Daesh dans les attentats néofascistes qui ont marqué l’Italie des années 1970 : attaquer des lieux publics, sans cible précise, si ce n’est le plus de monde possible dans un endroit donné. Des organisations telles que les NAR ou Ordine Nuovo plaçaient des bombes dans les trains (Italicus en 1974), les banques (Piazza Fontana, 1969), les gares (Bologne, 1980), les places publiques (Brescia, 1974), etc.
Si à l’époque, ces attaques meurtrières étaient avant tout commises contre "les rouges" et l’avancée supposée du bloc de l’Est, celles de Daesh s’inscrivent aujourd’hui plutôt dans une guerre mythifiée entre "l’Orient" et "l’Occident", ou l’idée qu’ils s’en font, mais toujours à intégrer dans une pensée politique d’extrême-droite totalitaire.
Et c’est presque exactement sous les mêmes termes que l’extrême-droite européenne plus classique défend aussi la violence et sa légitimation, tout en n’oubliant pas de reprendre cette haine du "rouge" [1], parce que rien ne perd.
Anders Breivik, néonazi qui tua 77 jeunes de gauche en Norvège en juillet 2011 lors d’un camp d’été, est l’un des exemples récents les plus douloureusement proches de cette histoire. Mais bien d’autres choses dramatiques se produisent un peu partout : les attaques par centaines de camp d’accueils de migrants, notamment en Allemagne ; les initiatives telles que celle du bateau "Defend Europe" des Identitaires [2] ; l’augmentation drastique des attaques contre la communauté LGBT dans le sillage de la Manif pour Tous...
Ce ne sont que quelques exemples, mais qui nous serviront à illustrer les faits qui nous intéressent ici de façon plus locale. Car la violence d’extrême-droite est aussi sur les rails dans la région marseillaise, depuis un moment.
Bien de chez nous...
Comme avec Logan Alexandre Nisin, chez qui ont été retrouvés deux pistolets et un fusil Baikal calibre 12 lors de la perquisition du 28 juin 2017. Celui-ci n’est pas un inconnu dans la région, malgré son jeune âge (21 ans) [3].
Il faisait partie du Mouvement Populaire Nouvelle Aurore (MPNA), un groupuscule proche des idées néonazies qui s’était fait connaître pour avoir dégradé en 2014 le buste de Missak Manouchian à Marseille, résistant antifasciste arménien et leader du célèbre groupe de ’L’Affiche Rouge’. Dans une vidéo mise en ligne, il accusait les antifascistes de la Résistance d’être des "tueurs de français".
Il a ensuite beaucoup fréquenté le local de l’Action Française Provence, situé rue Navarin à Marseille, comme le note l’Action Antifasciste Marseille :
Suite à un petit parcours dans le MPNA, Logan a en effet milité au sein de L’Action Française Provence et était un habitué de son local, rue Navarin, ainsi que les multiples agressions perpétuées par ce groupuscule dans les environs du quartier de La Plaine. [...] Logan, via son profil Facebook, revendique certaines des agressions, dont celle d’un militant communiste au quartier de La Plaine.
Nous nous demandons par quel communiqué orwellien, l’AF va réfuter l’appartenance de Logan à son groupe. Cette arrestation confirme encore une fois les violences perpétuées par les militants de l’AF dans Marseille et ses environs. [4]
Avec eux, il participe donc à plusieurs agressions, dont l’une au printemps 2016 devant la fac Saint-Charles alors qu’une assemblée s’y tenait contre la Loi Travail. Il participe au "service d’ordre" de l’Action Française (caché derrière des lignes de CRS) lors des manifestations antifascistes qui voulaient faire fermer ce local du fait de toutes ces agressions. La Provence ajoute que celui-ci était également actif au sein du Front National local [5], prêt "à aller au coup de poing".
Quant à lui, il admire beaucoup Breivik : il est l’administrateur d’une page Facebook "les amis de Breivik", ce qui laisse peu de place à l’ambiguïté. Le mot d’ordre : « Rebeus, blacks, dealers, migrants, racailles, djihadistes, si toi aussi tu rêves de tous les tuer, nous en avons fait le vœu, rejoins-nous ! ».
L’Action Française, quant à elle, s’est fendue d’un communiqué maladroit et globalement pathétique pour se dissocier de lui et tenter de se tirer de ce mauvais pas, dont le contenu est en substance : pourquoi ne pas rejeter toute la faute sur Jean-Marc Rouillan "qui a été condamné pour apologie du terrorisme" ? Rappelons simplement qu’en 10 ans d’existence, l’organisation Action Directe a abattu deux personnes ciblées (un général et un PDG). Breivik, dont Logan se réclame (et que certains membres de l’Action Française sont loin de rejeter), 77 d’un coup. Rouillan et ses camarades se sont toujours battus pour l’émancipation collective et pour une justice sociale, tandis que l’Action Française, Logan et leurs amis néofascistes basent leur action politique sur l’exclusion, la xénophobie et la séparation sociale. Leur stratégie médiatique est simple : tenter de détourner l’attention de leurs actions ou de celles de leurs amis pour en rejeter la faute sur "les gauchistes", même si ça n’a strictement rien à voir. Et qu’au passage, Logan a lui aussi été repéré pour "apologie du terrorisme" par la DLPAJ [6].
Eux qui ont été protégés jour et nuit par la police pendant un moment, qui sont en contact avec des membres de la BAC, qui n’en ratent pas une pour se victimiser auprès des forces de l’ordre pointent ensuite du doigt "l’extrême-gauche marseillaise", qui aurait appelé la police. S’ensuivent dans le communiqué quelques absurdités, comme la notion de "meurtre permanent des forces de l’ordre", que nous découvrons, ou encore la sybilline phrase "l’extrême-gauche marseillaise se réjouissant hier des violences policières de leurs petits camarades bourgeois [???] en manque de sensations fortes et appelant aujourd’hui les forces de police à l’aide [7]". Mais malheureusement, Logan s’est débrouillé tout seul, comme un grand, pour se faire arrêter. Du côté de "l’extrême-gauche marseillaise", ce sont plutôt des ricanements que l’on entend, surtout lorsque l’on se souvient que plus de 50% des corps policiers sont constitués de membres de l’extrême-droite (du FN vers la droite).
On ne peut pas vraiment dire que l’AF brille par sa solidarité, quand bien même celui-ci ne ferait plus partie de leur groupe.
Cela laisse surtout penser qu’à force d’être mêlés à des histoires d’agressions et de violences, ils préfèrent laisser tomber les quelques personnes qui les soutiennent pour éviter de perdre leur locaux. Leur murs leur semblent-ils plus importants que leurs membres ? On dirait bien. Que cela serve de leçon aux autres.
Information de dernière minute : Il semblerait que leurs murs aussi aient des problèmes, car un explosif artisanal a sauté devant la porte du local de l'AF au petit matin du 30 juillet.