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Les thèses rassemblées ici n’ont pas la prétention de dire le dernier mot sur le sujet dont elles traitent. Elles sont plutôt un ensemble de pistes dont certaines pourront être suivies, approfondies, et d’autres peut-être simplement abandonnées. Si nous parvenons à donner quelques points de repères (historiques, entre autres) à une critique qui se cherche encore, nous aurons pleinement atteint notre but. Nous pensons également que ni ce texte ni aucun autre ne pourra, par la seule force de la théorie, abattre le citoyennisme. La véritable critique du citoyennisme ne se fera pas sur le papier, mais sera l’œuvre d’un mouvement social qui devra forcément contenir cette critique, ce qui ne sera pas, loin s’en faut, son seul mérite. A travers le citoyennisme, et parce que le citoyennisme y est contenu, c’est l’ordre social présent tout entier qui sera remis en cause. Le moment nous semble bien choisi pour commencer cette critique. Si le citoyennisme a pu, à ses débuts, entretenir un certaine confusion autour de ce qu’il était réellement, il est aujourd’hui contraint par son succès même à s’avancer de plus en plus à découvert. A plus ou moins court terme, il devra montrer son vrai visage. Ce texte vise à anticiper sur ce démasquage, pour qu’au moins certains ne soient pas alors pris de court, et sachent peut-être réagir de manière appropriée.
I. Définition préalable.
Nous ne donnerons ici qu’une définition préalable du citoyennisme, c’est à dire ne portant que sur ce qu’il est le plus évidemment. L’objet de ce texte sera de commencer à le définir de façon plus précise.
Par citoyennisme, nous entendons d’abord une idéologie dont les traits principaux sont 1°) la croyance en la démocratie comme pouvant s’opposer au capitalisme 2°) le projet d’un renforcement de l’État (des États) pour mettre en place cette politique 3°) les citoyens comme base active de cette politique.
Le but avoué du citoyennisme est d’humaniser le capitalisme, de le rendre plus juste, de lui donner, en quelque sorte, un supplément d’âme. La lutte des classes est ici remplacée par la participation politique des citoyens, qui doivent non seulement élire des représentants, mais agir constamment pour faire pression sur eux afin qu’ils appliquent ce pour quoi ils sont élus. Les citoyens ne doivent naturellement en aucun cas se substituer aux pouvoirs publics. Ils peuvent de temps en temps pratiquer ce qu’Ignacio Ramonet a appelé la « désobéissance civique » (et non plus « civile », qui rappelle trop fâcheusement la « guerre civile »), pour contraindre les pouvoirs publics à changer de politique.
Le statut juridique de « citoyen », compris simplement comme ressortissant d’un État, prend ici un contenu positif, voire même offensif. Pris comme adjectif, « citoyen » décrit en général tout ce qui est bon et généreux, soucieux et conscient de ses responsabilités, et plus généralement, comme on disait autrefois, « social ». C’est à ce titre qu’on peut parler « d’entreprise citoyenne », de « débat citoyen », de « cinéma citoyen », etc.
Cette idéologie se manifeste à travers une nébuleuse d’associations, de syndicats, d’organes de presse et de partis politiques. Pour la France on a des associations comme ATTAC, les amis du Monde Diplomatique, AC !, Droit au Logement, l’APOC (objecteurs de conscience), la Ligue des Droits de l’Homme, le réseau Sortir du nucléaire, etc. Il est à noter que la plupart du temps les personnes qui militent au sein de ce mouvement font partie de plusieurs associations à la fois. Côté syndicats on a la CGT, SUD, la Confédération Paysanne, l’UNEF, etc. Les partis politiques sont représentés par les partis trotskistes, et les Verts. Les partis politiques ont toutefois un statut à part dans le citoyennisme, mais nous y reviendrons. A l’extrême gauche du citoyennisme, on peut inclure la Fédération Anarchiste, la CNT et les anarchistes antifascistes, qui se mettent le plus souvent à la remorque des mouvements citoyennistes pour y rajouter leur grain de sel libertaire, mais se trouvent de fait sur le même terrain.
A l’échelle mondiale on a des mouvements comme Greenpeace, etc., et tout ce qui s’est retrouvé à Seattle en fait de syndicats, associations, lobbies, tiers-mondistes, etc.
La liste complète serait fastidieuse à donner. L’important est que tous ces groupements se retrouvent idéologiquement sur le même terrain, avec des variantes locales. Le citoyennisme est désormais un mouvement mondial, qui repose sur une idéologie commune. De Seattle à Belgrade, de l’Equateur au Chiapas, on assiste à sa montée en force, et il s’agit donc maintenant, pour lui comme pour nous, de savoir au juste quel chemin il prendra, et jusqu’où il pourra aller.
II. Prémisses et fondements.
Les racines du citoyennisme sont à chercher dans la dissolution du vieux mouvement ouvrier. Les causes de cette dissolution sont à la fois l’intégration de la vieille communauté ouvrière et l’échec manifeste de son projet historique, lequel a pu se manifester sous des formes extrêmement diverses (disons du marxisme-léninisme au conseillisme). Ce projet se ramenait, dans ses diverses manifestations, à une reprise du mode de production capitaliste par les prolétaires, mode de production duquel ils sont les enfants et donc les héritiers. L’accroissement des forces productives, dans cette vision du monde, était également la marche vers la révolution, le mouvement réel à travers lequel le prolétariat se constituait comme future classe dominante (la dictature du prolétariat), domination qui menait ensuite (après une très problématique « phase de transition ») au communisme. L’échec réel de ce projet a eu lieu dans les années 1920, et en 1936-38 en Espagne. Le mouvement international des années 1968 a souvent été nommé « deuxième assaut prolétarien contre la société de classe », venant après celui de la première moitié du XXème siècle.
Les années 70, puis les années 80, avec la crise et la mise en place de la mondialisation sous sa forme moderne, marquent le déclin et la disparition de ce projet historique. Cette mondialisation se caractérise par l’automation croissante, donc par le chômage de masse, et les délocalisations dans les pays les plus pauvres, qui jettent hors de l’usine le vieux prolétariat industriel des pays les plus développés. On observe ici une tendance des entreprises à se « débarrasser » au moins formellement d’une bonne partie leur secteur productif pour le reléguer dans la sous-traitance, pour idéalement ne plus s’occuper que de marketing et de spéculation. C’est ce que les citoyennistes nomment la « financiarisation du capital ». Une entreprise comme Coca-Cola ne possède aujourd’hui directement quasiment plus aucune unité de production mais se contente de « gérer la marque », de faire fructifier son capital boursier, et « réinvestir » en rachetant des concurrents plus petits auxquels elle fait également subir une délocalisation forcenée, etc. On a un double mouvement de concentration du capital et d’émiettement de la production. Une voiture peut se composer de pare-chocs fabriqués au Mexique, de composants électroniques taïwanais, le tout étant assemblé en Allemagne, tandis que les bénéfices transitent par Wall-Street.