10h30 au Vieux port : on prend les mêmes et on recommence. Même si il y avait un peu moins de monde que la semaine dernière, qui avait réuni énormément de monde, à la surprise et à la satisfaction générale.
Aujourd’hui, l’idée du p’tit dèj-cortège a refait surface dès 9 heures du matin, dans l’idée de se retrouver bien avant la manifestation pour pouvoir y descendre ensemble en cortège et commencer à arpenter les rues. Ce matin, notamment, un petit-dèj féministe non-mixte était organisé en plus pour constituer un bloc au sein du cortège de tête autonome.
Au départ de la manifestation, les rangs semblent très dispersés, il y a relativement peu de monde. Peut-être est-ce difficile d’appeller deux fois à la grève en une semaine ? Surtout quand il n’y a que peu de perspectives d’avenir et que la naissance d’un réel mouvement social est encore à mettre au conditionnel.
Mais dès le départ, comme d’habitude, les terrasses des cafés se vident tandis que la manifestation grossit et que les files se serrent. Et le cours Lieutaud sera envahi par cette marée humaine. On entend dire au micro d’un camion-sono de la CGT que "Macron, ce mec, il est fatiguééé", tandis que de Sud nous parvient le fait que "la retraite, c’est comme une savonnette". La CNT, quant à elle, agite le spectre de la grève générale, si désirable et si lointaine à la fois.
Au-delà de ces quelques slogans spécifiques, tout le monde a plus ou moins la même chose en tête : lutter contre cette nouvelle Loi Travail, contre cette nouvelle attaque néolibérale frontale, à différents niveaux. Si certains se cantonnent à la critique de la loi sans aller plus loin (voire de quelques parties de la loi), d’autres l’intègrent à une critique politique plus systémique, dont elle n’est qu’une expression. Le capitalisme n’était déjà pas génial avant cette loi, alors il s’agirait de faire un peu plus que de simplement demander que celle-ci ne se fasse pas.
Le dispositif policier, quant à lui, est plus important que la semaine dernière : une dizaine de fourgons de gendarmes mobiles sur le port, des policiers casqués et en armure à l’angle du boulevard Salvator... Très certainement un petit cadeau de la visite d’Emmanuel Macron à Marseille. Celui-ci venait en effet promouvoir la tenue des Jeux Olympiques de 2024 en France, et notamment dans notre ville, où se dérouleront une partie des épreuves. Et un peu plus loin sur le cours Lieutaud, ça ne manque pas : les gaz lacrymogènes viennent saturer l’air.
Mais bizarrement, ces gaz ne sont pas ceux de la police. Non, ce sont ceux des gros bras du service d’ordre (SO) de la CGT, qui ont jugé bon d’arroser le cortège autonome de leurs gazeuses familiales. Tout au long de la manifestation, ils avaient laissé le cortège de tête partir tout seul devant, pour l’isoler, assez classiquement. Mais ils ont subitement décidé que la tête n’allait pas assez vite à leur goût. Après avoir formé une ligne, ils ont commencé à pousser tout le monde sans ménagement en beuglant d’avancer. Avancer où, on se le demande, vu la masse de personnes qui empêchaient les gens en question de faire le moindre pas en avant. Très vite, le SO est passé aux insultes et menaces, entre autres remarques sexistes parfois très graves, envenimant rapidement la situation. Et face à celles et ceux qui commencent à s’énerver de ce comportement inutile et inadmissible, envers d’autres manifestant-e-s qui plus est, le SO n’a rien trouvé de mieux pour réduire la tension que de sortir les gazeuses et de distribuer des coups. Et personne n’est épargné : plusieurs membres de la CGT, qui avaient rejoint le cortège de tête, sont littéralement couvert-e-s de gaz. Pas sûr que cela leur fasse une bonne pub...
On savait le SO de la CGT bas-du-front, mais ils ont cette fois explosé des records d’imbécilité. Rien ne se passait, désespérément rien. Et ils sont parvenus à transformer ce rien en nuage de lacrymogène. Ce n’est pas la première fois que cela se produit. L’année dernière, déjà, le SO de la CGT avait attaqué le cortège à l’aide de gazeuses et de barres de fer. Le même jour, la même scène se reproduisait à Paris. Il y a une semaine, la SO de la CGT à Paris a également violemment agressé cinq camarades féministes libertaires, en envoyant plusieurs à l’hôpital.
Après quatre ou cinq volées de gaz, ils ont finalement compris (il a fallu le temps) que rester en retrait de deux mètres suffirait à ce que tout reste tranquille. Ce qu’ils ont finalement fait, mais trop tard. Quelques slogans ironiques fusent : "Lutte armée avec la CGT !". En fin de manifestation, arrivé-e-s sur Castellane, les cégétistes ayant été gazé-e-s et demandant des explications sont un peu éloigné-e-s pour en parler et pour les calmer, pour que personne d’autre n’entende. L’immense majorité de la manifestation n’en saura rien. "On a senti le gaz plus loin, on pensait que c’était la police ou des minots qui faisaient n’importe quoi", nous confiera plus tard un adhérent à la CGT sur le chemin du retour. "C’est grave là, ils déconnent complètement, ça ne va pas du tout", finit-il lorsque nous lui apprenons que c’était bien le "service d’ordre" qui était à l’origine de tout ça.
Seraient-ce les vieilles recettes stals qui ressortent du placard ? Une volonté d’hégémonie frustrée par le fait de se faire voler la tête de la manifestation ? Une poussée subite de testostérone ? Toujours est-il que pendant ce temps là, Macron et Gaudin palabraient tranquillement, sans contestation. Il semble absurde qu’ils s’en prennent à d’autres manifestant-e-s, alors que nous ne sommes déjà plus très nombreux et nombreuses à encore venir dans les rues.
Cette confrontation a un goût amer, plus acre que celui des gazeuses. C’est le goût du degré zéro de l’action politique. Alors que la manifestation était tout de même plutôt grande, cet épisode a un peu terni le tout.
Espérons que d’autres perspectives collectives naîtront d’ici peu pour ramener plus d’intérêt et de dynamique dans cette lutte, pour que la Loi Travail n’ait pas de beaux jours devant elle. Et que cet automne qui commence aujourd’hui ne soit pas celui du mouvement social.
Pour le mot de la fin, laissons les slogans faire le boulot :
Ni Loi, Ni Travail !
A bas le Front Macronal !
A bas l’Etat, les flics et les patrons !